Benzodiazépines : l’entrée en Ehpad à risque de prescriptions inappropriées

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Selon une étude de l’Irdes, les prescriptions de benzodiazépines chez les personnes âgées augmentent au moment de l’entrée en Ehapd, souvent initiées durant les deux premiers trimestres, et elles sont rarement interrompues par la suite. Au-delà des chiffres, les auteurs explorent des pistes d’amélioration des pratiques.

Les benzodiazépines sont les médicaments anxiolytiques et hypnotiques les plus consommés en France. Leur utilisation prolongée est associée à une diminution de leurs effets, à un risque de dépendance et à une augmentation des effets indésirables, tels que les troubles de la mémoire et les chutes. Or, une étude française récente de grande ampleur montre que 48 % des résidents en Ehpad sont concernés par une prescription potentiellement inappropriée de benzodiazépines, contre 21,5 % des personnes âgées vivant à domicile (1). Si ce phénomène peut s’expliquer par de nombreux facteurs indépendants de l’établissement, cette étude étudie si l’entrée en Ehpad joue un rôle particulier dans sur ces prescriptions inappropriées. L’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) propose sur son site une rencontre avec les auteurs.Trois questions à…

• Pourquoi s’intéresser aux prescriptions potentiellement inappropriées de benzodiazépines en Ehpad ?

Les benzodiazépines, qui sont utilisées pour traiter l’anxiété ou l’insomnie, font partie des listes de prescriptions potentiellement inappropriées pour les personnes âgées, définies à partir des recommandations et des recherches internationales. Ces prescriptions potentiellement inappropriées renvoient à deux cas de figure : le fait de prescrire des benzodiazépines à longue durée d’action, et la prescription dite « chronique », supérieure à trois mois. Dans ces deux cas, le rapport bénéfice-risque est susceptible de devenir défavorable en raison d’une augmentation des risques d’effets délétères (somnolence diurne, troubles de la mémoire, chutes, accidents…), et de dépendance au médicament. La très forte prévalence des prescriptions potentiellement inappropriées en Ehpad, qui concerne 54 % des résidents en France, est principalement liée à des prescriptions de benzodiazépines. Elle peut s’expliquer par de nombreux facteurs indépendants de l’établissement, tels que l’état de santé dégradé des résidents, ou encore les pratiques de prescription du médecin traitant. Cette étude propose d’analyser le rôle propre de ces établissements médico-sociaux, en mesurant l’impact de l’entrée en Ehpad sur ces prescriptions potentiellement inappropriées.

• Les résultats montrent une augmentation significative de ces prescriptions au moment de l’entrée en Ehpad : pouvez-nous en dire plus ?

En effet, on observe une augmentation de 10 points des prescriptions potentiellement inappropriées de benzodiazépines après l’entrée en Ehpad. Nos résultats indiquent également une forte initiation de ces prescriptions dans les deux premiers trimestres suivant l’entrée en Ehpad pour les résidents n’ayant jamais consommé de benzodiazépines auparavant. Nous montrons également que, lorsqu’elles sont initiées à l’entrée dans l’établissement, ces prescriptions sont rarement interrompues par la suite. De même, il y a peu de déprescription pour les personnes qui sont entrées en établissement avec une prescription potentiellement inappropriée de benzodiazépines. Par ailleurs, les établissements qui disposent d’une proportion plus élevée d’infirmiers ou qui sont rattachés à un hôpital public présentent une hausse des prescriptions moins importante au moment de l’entrée en Ehpad.

• Quelles sont les pistes d’amélioration à envisager au vu de ces résultats ?

La première consisterait à mettre en place une évaluation systématique des traitements médicamenteux par une équipe pluridisciplinaire. Nos résultats soulignent que les deux premiers trimestres constituent un moment clé au cours duquel une intervention serait pertinente, et une évaluation pourrait permettre de prévoir dès cette période la déprescription du médicament, telle que recommandée par la Haute Autorité de santé (HAS), avant que la personne ne développe une accoutumance.

D’autre part, les infirmières, notamment l’infirmière cadre, jouent un rôle central de coordination des soins médicaux, notamment avec les médecins traitants de ville responsables du suivi médical des résidents. Le renforcement du nombre de professionnels au sein des Ehpad ayant une expertise médicale, ainsi qu’une meilleure articulation avec la filière gériatrique pourraient favoriser l’ajustement des prescriptions, faciliter la collaboration avec les médecins généralistes et spécialistes, et permettre la mise en place de campagnes de formation à destination des soignants.

Enfin, outre le renforcement des compétences médicales et la réévaluation régulière des traitements, la réduction des prescriptions d’anxiolytiques et d’hypnotiques passe également par le développement d’alternatives non médicamenteuses pour réduire les troubles anxieux et du sommeil. L’adaptation de l’environnement et la disponibilité du personnel sont des leviers importants pour réduire l’anxiété des résidents. Ainsi, les guides de la HAS, ainsi que de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) dans le cadre de sa campagne d’avril 2025 sur les benzodiazépines, recommandent d’envisager en première intention des alternatives non médicamenteuses.

Mais ces alternatives non médicamenteuses, qui nécessitent la mobilisation de personnels, sont plus coûteuses pour les Ehpad que la prescription de benzodiazépines. Notre étude renvoie donc à la question plus large du financement de la bonne prise en charge des personnes âgées dépendantes alors que la croissance des besoins de financement va s’accélérer à partir de 2030.

1– Drusch S., Le Tri T., Ankri J., et al. (nnnn). “Potentially inappropriate medications in nursing homes and the community older adults using the French health insurance databases”. Pharmacoepidemiology and Drug Safety, Vol. 32, Issue 4. April.

Communiqué de presse, Trois questions à…, 15 septembre 2025.

Prescriptions potentiellement inappropriées de benzodiazépines : quel est l’impact de l’entrée en Ehpad ? Penneau A., Perronnin M., Pichetti S., Juillard-Condat B. (Irdes) avec la collaboration de Vincent R. (Irdes), Questions d’économie de la santé n° 300 – Mai 2025, en pdf

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