« Allo Dominique, tu penses que tu pourrais organiser un tournoi de ping-pong inter-pavillons dans ton unité la semaine prochaine ?
– Bonjour Patrick, un tournoi de pingpong, pourquoi pas mais habituellement, tu proposes des activités plus artistiques. Le sport, ce n’est pas ton truc, non ?
– Tu as raison. C’est une idée. Tu as entendu parler de Zoltan Dimitrescu, un réfugié roumain hospitalisé sous contrainte dans notre unité ? Il est très persécuté, très sensitif, il suffit d’un rien pour qu’il s’agite et devienne violent. Comme il ne parle pas français, c’est très compliqué de communiquer. Il n’y a que Françoise, une patiente polyglotte, qui y parvienne parfois, quand elle-même n’est pas envahie par ses voix.
– J’en ai entendu parler. Les collègues ont été appelés plusieurs fois la semaine dernière pour le contenir physiquement et lui imposer une injection. Ils disent que c’est une “armoire à glace”.
– Oui, oui. Un seul truc semble l’apaiser et lui proposer une proximité relationnelle acceptable : le ping-pong. Il a pris la balle et les raquettes et a indiqué de la tête à quelques patients et soignants qu’il souhaitait faire une partie. Françoise a été la première. La pauvre, elle n’avait pas le niveau et désarticulée comme elle l’est, c’était mission impossible, mais elle a fait rire Zoltan. Rire, tu te rends compte ? Bref, j’ai joué aussi mais je n’y connais rien, j’arrivais à peine à lui renvoyer la balle, il m’a balayé. J’ai essayé de l’inclure dans les activités picturales ou plastiques que j’anime mais il m’a regardé comme si je le prenais pour un môme, comme si je lui manquais de respect. Je me suis dit qu’on pouvait partir du ping-pong pour essayer d’entrer en contact avec lui.
– Pourquoi un tournoi ?
– Il pourrait jouer avec plusieurs partenaires de son niveau et peut-être entrer en relation avec l’un d’eux. Ce qui me frappe, c’est qu’il est très attentif à Françoise, presque tendre. Il semble vraiment se soucier d’elle sans qu’il y ait quoi que ce soit de scabreux dans son attitude. Un tournoi dans votre unité permettrait aux collègues chez nous de souffler. Ils sont sans arrêt sur le qui-vive. Au moins, pendant la durée du tournoi, ils pourraient se relâcher et Zoltan s’immerger dans une autre ambiance. Il ne se sentirait pas au centre de l’attention générale, ce qui, à mon avis, contribue à nourrir son sentiment de persécution. Et puis s’il remportait ce tournoi, ça le gratifierait et lui donnerait une autre image de lui.
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