N° 291 - Octobre 2024

Sexisme à l’hôpital : repères

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Ces derniers mois, le mouvement #metoo a émergé à l’hôpital, dénonçant des agissements sexistes. De quoi parle-t-on ? Que dit le droit ?

Les violences sexistes et sexuelles (VSS) englobent tout acte commis contre la volonté d’une personne et qui porte atteinte à sa dignité en raison de son identité de sexe ou de genre. Ces comportements, qui peuvent aller des injures au viol de façon éventuellement cumulative, ne forment que la partie émergée d’un iceberg dont le sexisme constitue le socle.
En contexte de travail, le sexisme se définit par un ensemble d’attitudes, de propos et de comportements fondés sur des stéréotypes de sexe et se traduit de diverses manières : clichés, gestes, regards, « blagues », remarques, discriminations, violences, meurtres.
Le sexisme « ordinaire » peut, dans le monde du travail, comme dans la vie quotidienne, revêtir de multiples formes :
– les prétendues blagues sexistes, notamment lorsqu’elles sont racontées à un ou une collègue de travail qu’elles mettent mal à l’aise ;
– les remarques et incivilités en raison du sexe : propos dénigrants, dégradants ou avilissants, temps de parole inégalement réparti, parole plus ou moins abruptement coupée en réunion…
– les critiques mobilisant des clichés et stéréotypes, par exemple sur une femme pas assez « féminine » ou à propos d’un homme pas assez « viril » ;
– les dénominations familières et condescendantes (« ma petite », « ma mignonne », « ma belle », « ma chérie », « mon poulet », « mon coco ») ;
– la fausse séduction, via des remarques perçues comme insistantes sur la tenue vestimentaire ou la coiffure ;
– le « sexisme bienveillant », qui consiste à valoriser une personne en vantant des qualités attachées à des stéréotypes de sexe : le sens de l’écoute ou la sensibilité d’une femme, le courage ou l’audace d’un homme…
– les considérations sexistes sur la maternité ou les charges familiales…
Le droit français considère sexiste « tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » (1). Ce n’est pas seulement l’intention plus ou moins ouvertement hostile de l’auteur qui importe : le sentiment d’offense ressenti par la personne, qu’elle en soit le destinataire direct ou le récepteur indirect, est au moins aussi essentiel. Que l’agissement soit délibéré ou non, c’est ainsi le résultat, la sensation d’humiliation ou de gêne qu’il produit, qui importent, chez la « victime » directe, mais aussi chez les témoins de la scène. Car les agissements sexistes peuvent avoir un impact sur la santé psychologique au travail, à différents niveaux.

Impacts individuels et collectifs
– En matière d’emploi, le sexisme constitue l’un des critères de discrimination sanctionné par la loi. Il contribue par exemple, consciemment ou non, à freiner la progression professionnelle d’un individu en raison de son sexe, à rémunérer davantage, à responsabilités égales, un homme qu’une femme, ou à privilégier dans le recrutement, pour un poste donné ou dans une profession tout entière, les candidatures d’un sexe plutôt qu’un autre. Ces iniquités justifient un sentiment d’injustice, au travail et/ou dans la société dans son ensemble, susceptible de porter atteinte à la santé psychologique.
– Le sexisme dégrade les conditions de travail. Il porte bien évidemment atteinte aux relations entre deux personnes, et est source de possibles conflits interpersonnels. Mais il détériore aussi l’ambiance de travail au sein d’une équipe. Paradoxalement, dans un collectif exclusivement composé de personnes du même sexe, le sexisme à l’égard du sexe opposé peut avoir un effet fédérateur, tout en ne portant préjudice à personne puisque l’Autre est, dans ce cas de figure, un idéal-type et non une personne de chair et de sang. Cette « bénignité » disparaît dès qu’une personne de l’autre sexe intègre l’équipe, et c’est alors un phénomène de bouc-émissarisation qui risque de s’installer, avec son lot de stigmatisations, de vexations, de discriminations.
C’est pourquoi les attaques contre le sexe ou le genre peuvent étayer des tentatives de déstabiliser ou de rabaisser une personne, et donc alimenter un sentiment de harcèlement individuel ou collectif. En pratique, les alertes pour harcèlement mêlent d’ailleurs assez fréquemment les deux dimensions, morale et sexiste/sexuelle.
– Enfin et plus largement, les agissements sexistes altèrent, directement et indirectement, le sentiment de sécurité psychologique, c’est-à-dire la possibilité laissée à une personne d’exprimer librement sa personnalité, ses idées, ses préoccupations, ses interrogations, ses erreurs, sans crainte d’être jugée ou de subir des représailles ni être discriminée.
En portant atteinte à toutes les facettes du rapport positif à soi et de l’identité individuelle, sociale et professionnelle, le sexisme est susceptible d’altérer la santé psychologique. Il s’avère donc incompatible avec le fonctionnement satisfaisant, individuel et organisationnel, d’un collectif de travail, justifiant une ligne de conduite simple : « Qui ne dit mot ne consent pas ».

Philippe Zawieja*, Jean-Christophe Villette**,
*Psychosociologue du travail, directeur de la recherche,
**Psychologue du travail et des organisations, directeur général ;
Cabinet Ekilibre Conseil

1– Article L. 1142-2-1 du code du travail.