Un avis du Conseil supérieur de la santé belge se concentre sur les contacts entre pairs organisés par des pairs aidants dans un cadre non clinique. L’analyse des données montre une image essentiellement positive, les individus se sentant « entendus, vus et compris » en partageant leur propre expérience comme une source précieuse de soutien et d’inspiration.
Les contacts avec les pairs sont de plus en plus utilisés dans les soins de santé mentale. Néanmoins, il manque à l’heure actuelle de cadre structurel et de reconnaissance de leur valeur ajoutée, à la fois individuelle et sociale, dans le cadre des soins. Suite à un appel à projet « santé mentale » et à une proposition de l’asbl UilenSpiegel, le Conseil Supérieur de la Santé (CSS) a décidé d’élaborer des recommandations à ce sujet ; et plus spécifiquement sur les contacts asymétriques intentionnels dans le cadre des soins de santé mentale avec des personnes souffrant de vulnérabilité mentale en dehors du cadre institutionnel et clinique.
L’avis se fonde sur une analyse systématique de la littérature scientifique, sur une étude Delphi menée auprès des parties prenantes et, en outre, sur l’analyse de l’expérience vécue par les participants à des séances de conseil par les pairs. La littérature scientifique montre une diversité considérable dans la recherche sur le contact entre pairs (différentes définitions, cadres théoriques, contenus, contextes de soins, méthodologies, types de résultats, mesures des résultats…), mais malgré l’hétérogénéité et même les ambiguïtés, toutes les études montrent des effets positifs directs et indirects et une absence d’effet négatif dû au contact entre pairs.
La valeur ajoutée réside dans le contact entre des personnes ayant des expériences similaires, ce qui facilite la reconnaissance naturelle et le soutien dans le cadre d’un processus de rétablissement en santé mentale en général, ainsi que dans des groupes cibles spécifiques.
– Dans le cadre d’un contact entre pairs de nature réciproque, un soutien informel et naturel peut se produire.
-Dans le cadre d’un contact formel entre pairs, de nature plus unidirectionnelle, un cadre professionnel est nécessaire pour garantir aux participants une certaine qualité et pour protéger le pair aidant lui-même. Ce cadre est lié au rétablissement du pair aidant et comprend également des éléments d’éducation et de formation à des compétences spécifiques.

Les pairs aidants, outre le fait de conseiller les pairs, peuvent remplir une fonction importante de signal à l’égard des politiques et de la société. De plus il est essentiel que leur contribution précieuse soit pleinement reconnue et financée. A l’heure actuelle, les études scientifiques se concentrent principalement sur les contacts formels entre pairs au sein du système de soins traditionnel, alors que la valeur ajoutée des contacts entre pairs hors du cadre des soins reste peu examinée. Les effets psychosociaux potentiellement similaires à ceux obtenus dans les soins conventionnels soulignent la nécessité de poursuivre les recherches dans ce domaine afin d’éviter d’obliger les pairs à fonctionner au sein des structures de soins existantes
En utilisant la méthode Delphi*, les pairs aidants, les professionnels de la santé mentale, les patients et leurs familles ont été interrogés dans les parties francophone et néerlandophone du pays. Au cours de trois séries de questions, un consensus a été atteint sur 38 des 52 affirmations concernant la valeur ajoutée des contacts avec les pairs et la nécessité de s’organiser professionnellement. Dans l’ensemble, aucune proposition n’a été rejetée, mais les commentaires des participants ont mis en évidence un certain nombre d’opinions divergentes, en particulier entre les différents groupes cibles interrogés. Ces avis ont été analysés et mis en correspondance avec les déclarations restantes qui n’ont pas été
acceptées.
L’analyse montre que le soutien par les pairs, en tant que complément des soins cliniques, peut être utile à différents stades du processus de rétablissement et apporte une valeur ajoutée tant au patient qu’au pair aidant lui-même. Dans le cadre de ce rôle complémentaire aux soins de santé conventionnels, résoudre les manquements et les problèmes avec les prestataires de soins de santé conventionnels n’est en aucun cas la tâche implicite des pairs aidants. L’organisation professionnelle du soutien par les pairs nécessite un statut basé sur plusieurs descriptions de poste spécifiques qui reflètent la diversité des rôles au sein du soutien par les pairs. Ce statut est essentiel pour la reconnaissance du pair aidant, pour sa protection et celle du patient. Ce statut peut leur permettre d’être rémunérés selon des barèmes établis en fonction des descriptions de fonction. L’expérience est un prérequis, et la formation pratique peut couvrir différents sujets. Le soutien supplémentaire comprend un soutien logistique et financier, ainsi que l’intégration dans des équipes de soutien, des organisations et un réseau professionnel.
L’analyse des données relatives à l’expérience vécue par 51 patients au sein de groupes de pairs montre une image essentiellement positive, les individus se sentant « entendus, vus et compris » en partageant leur propre expérience comme une source précieuse de soutien et d’inspiration. Ils ont indiqué qu’en plus de leur expérience personnelle, leurs compétences professionnelles pouvaient contribuer à un conseil efficace. Le soutien par les pairs en ligne a été perçu comme largement accessible, via la suppression de l’obstacle du déplacement, mais avec comme limite le peu de visibilité du langage corporel.
Cette approche multi-méthodes fournit des indications sur la reconnaissance du contact avec les pairs dans les soins de santé mentale, avec des effets potentiellement positifs sur divers paramètres. À partir de ces résultats, des recommandations sont formulées pour mettre en place un cadre clair et une structure organisée afin de garantir l’organisation professionnelle des contacts entre pairs. Les conditions qui seront mises en place à cet effet pour le terrain requièrent toutefois la mise à disposition des ressources financières nécessaires. L’avis comprend des recommandations concrètes destinées spécifiquement aux groupes de pairs, aux autorités, au secteur des soins et à la société.
Recommandations pour les groupes de pairs
- Réfléchir de manière critique à son propre fonctionnement et contribuer à l’élaboration du cadre de qualité nécessaire.
- Collaborer à l'élaboration d'une forme d'organisation durable.
- Mettre l'accent sur une culture organisationnelle axée sur l’apprentissage et l’évaluation de la pratique (aussi informelle soit-elle).
- Assumer une fonction de signalisation.
- Assurer le suivi et l'évaluation des groupes de pairs existants.
- Promouvoir la collaboration avec les soins conventionnels.
Recommandations pour les autorités
- Créer un profil de fonction et de compétences pour la pair aidance asymétrique et intentionnelle.
- Investir dans le développement des contacts entre pairs en dehors du cadre clinique.
- Investir dans la recherche sur les groupes de pairs en dehors du contexte clinique.
- Impliquer les pairs aidants dans l'élaboration des politiques.
Recommandations pour les soins de santé et la société dans son ensemble
La coopération transdisciplinaire entre les prestataires de soins de santé et la société devrait être promue. Cet avis est le résultat d'une approche transdisciplinaire à laquelle ont participé, sur un pied d'égalité, des personnes souffrant d'une maladie mentale, des patients, des proches, ainsi que des prestataires de soins de santé conventionnels et des chercheurs de différents horizons. La stigmatisation qui entoure les personnes souffrant de vulnérabilité mentale est encore très répandue dans notre société. Ne pas être reconnu, c'est ne pas être accepté. Le CSS est convaincu que les rencontres entre les différents acteurs contribuent à un système de soins plus inclusif et plus efficace. Cet aspect n'est pas encore suffisamment pris en compte dans la formation des prestataires de soins conventionnels et dans le cadre des travaux axés sur les politiques. Enfin, si cet avis ne s’est pas spécifiquement penché sur les contacts avec les pairs pour les proches, ceux-ci devraient également faire l’objet d’une attention spécifique.
*À l’origine, la méthode Delphi est, comme le focus group, un outil de recherche. Elle vise à obtenir un avis aussi consensuel que possible sur des événements futurs grâce à un processus structuré de communication organisant la production, l’agrégation et la modification des opinions d’un groupe indépendant d’experts. Les entreprises (et plus généralement les grandes organisations) utilisent aussi depuis longtemps Delphi. Elles s’en servent pour mobiliser les acteurs internes autour de scénarios futurs à la fois possibles et souhaitables. Delphi est donc un outil de construction d’un consensus, d’une culture organisationnelle commune.
• Conseil Supérieur de la Santé, Belgique, Le contact avec les pairs dans les soins de santé mentale, février 2024, CSS n°9743, (PDF).