Face à un patient « difficile », connu pour ses antécédents violents, des soignants s’interrogent sur la possibilité d’exercer leur droit de retrait. Plus généralement, que dit le droit sur ce refus de prendre en charge un patient ?
LE DROIT DE RETRAIT : DE QUOI PARLE-T-ON ?
Si ce droit de retrait est parfois un peu rapidement brandi pour justifier le refus d’accomplir un acte, une mission, son exercice pratique répond à un cadre juridique précis (1).
Le droit de retrait est un principe introduit dans le Code du travail depuis 1982. Un salarié peut ainsi se retirer d’une situation « dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé » après avoir alerté son employeur (2). Une menace pour la santé ou la sécurité du professionnel doit exister. La difficulté résidera dans l’appréciation de la notion de « danger grave et imminent » puisque ces notions ne sont pas définies par le droit. De cette façon, l’exercice de ce droit comporte une part de subjectivité puisqu’il relève de l’appréciation personnelle du soignant. En cas de judiciarisation, les juges examineront a posteriori si les conditions du droit de retrait étaient justifiées en s’intéressant à la réflexion et à la façon dont le danger a été évalué. Par exemple, le droit de retrait est apparu justifié aux juges dans les cas de refus d’un professionnel de conduire un véhicule de chantier dont les freins étaient défectueux (3) , ou d’un salarié de procéder au nettoyage de véhicules dans un atelier dont la température relevée était de 3 °C (4) .
LES LIMITES DE L’EXERCICE À L’HÔPITAL
« Le droit de retrait est exercé de telle manière qu’elle ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent » (5). Cet autre principe légal vient se greffer à la réflexion autour de l’évaluation de la gravité et de l’imminence du danger. Si le droit de retrait peut s’exercer de manière individuelle ou collective, la décision ne doit pas créer une nouvelle situation de danger grave et imminent.
Dès lors, est-il compatible avec la prise en charge des patients au sein d’un service public hospitalier ?
La situation de défectuosité d’une machine, d’un équipement, le non-respect des normes de sécurité fondent majoritairement l’exercice du droit de retrait des salariés. En ces espèces, la caractérisation du danger grave et imminent semble plus évidente. Qu’en est-il du potentiel risque d’agressivité de la part d’un patient? Le cadre juridique semble de lui-même marquer une périlleuse application dans le champ de la santé. Il ne faut pas omettre l’obligation de continuité du service public hospitalier, l’obligation de soins.
LE DROIT AU REFUS DE SOIN
Cependant, le code de déontologie des infirmiers prévoit le refus de soins, hors les situations d’urgence, à charge pour le soignant d’organiser la continuité des soins : « Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un infirmier a le droit de refuser ses soins pour une raison professionnelle ou personnelle. Si l’infirmier se trouve dans l’obligation d’interrompre ou décide de ne pas effectuer des soins, il doit, sous réserve de ne pas nuire au patient, lui en expliquer les raisons, l’orienter vers un confrère ou une structure adaptée et transmettre les informations utiles à la poursuite des soins. » (6). Le soignant doit donc se justifier, de façon objective, et bien sûr non discriminatoire (refus sans lien avec ses origines, ses mœurs, sa situation sociale ou de famille, ses croyances ou sa religion, son handicap, son état de santé, son âge, son sexe…). Dans ce cas, la loi impose la continuité des soins.
TROUVER UNE ALTERNATIVE…
En psychiatrie, dans le cadre d’une potentielle situation d’agressivité d’un patient, le refus de soins individuel ou collectif implique donc la recherche d’une solution alternative. Si le refus de soins individuel d’un soignant peut s’accompagner de réorganisations institutionnelles internes, le refus collectif d’accueillir un patient au sein d’une unité semble peu réaliste. On mesure d’ores et déjà la difficulté pratique au regard de la sectorisation en psychiatrie. Le secteur concerné serait amené devoir trouver un accord de prise en charge avec un autre secteur. Dès lors, on perçoit clairement les limites pratiques de l’applicabilité du droit de retrait et du droit au refus de soins. Face à une situation complexe, l’équipe peut cependant objectiver sa ou ses difficultés, en pointant des événements précédents, pour obtenir par exemple davantage de moyens.
Valériane Dujardin-Lascaux
Juriste, EPSM des Flandres.
1– Articles L4131-1 à L4131-4, Articles L4132-1 à L4132-5 du Code du travail. Article 5-6 du décret n° 82-453 du 28 mai 1982 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique
2– Article L4131-1 du Code du travail.
3– Cour d’appel de PARIS, arrêt du 16 janv. 1992 – N° 91/34223.
4– Cour d’appel de DOUAI, arrêt du 20 avril 2012 – N° 11/01756.
5– Article L4132-1 du Code du travail.
6– Article R.4312-12 du Code de la santé publique.