Dans une « Lettre ouverte » adressé au Président de la Haute Autorité de santé (HAS), trois psychiatres de renom, engagés régulièrement dans les travaux de la HAS, récusent l’inscription de la pair-aidance dans une recommandation. Des associations et psychiatres engagés dans le rétablissement s’indignent et rappellent la nécessité de rester en phase avec les évolutions de terrain. Un collectif de pair-aidants pointe pour sa part la nécessaire valorisation de ce métier « en devenir », dans « la complémentarité » avec l’ensemble des professionnels.
Mise à jour Deux nouvelles réactions ont été publiées le 12 décembre : – les professionnels des centres de réhabilitation psychosociale soulignent le rôle primordial des pair-aidants au sein des équipes de soin ; – l'association des jeunes psychiatres et jeunes addictologues (AJPJA) « soutient pleinement la pratique de la pair-aidance et le développement de recommandations de bonnes pratiques la concernant ».
Dans une note de cadrage de 2021, la HAS indique le contexte de ces travaux, qui visent à « répondre au besoin de définir et de diffuser des bonnes pratiques, partagées par l’ensemble des professionnels de santé et sociaux intervenant auprès des publics en situation de précarité porteurs de troubles psychiques et appuyées sur les expériences réussies existantes (pratiques individuelles et d’équipe, organisations et dispositifs). »
Le Dr Yvan Halimi, Président du Comité de suivi Psychiatrie et Santé Mentale, le Pr Jean-Louis Senon, Membre expert de la Commission recommandations, pertinence, parcours et indicateurs (CRPPI) et Dr Alain Mercuel, Coprésident du groupe de travail «Grande Précarité et Troubles Psychiques », ont adressé une lettre ouverte au Président de la Haute Autorité de Santé, pour l’informer de leur décision de se désolidariser d’une recommandation à paraître sur « Grande précarité et troubles psychiques ». Cette décision est en lien avec le traitement de la pair-aidance dans ce projet, qui viendrait assujettir en amont d’autres travaux à venir.
Pour ces experts, la pair-aidance est un « sujet majeur pour la discipline, qu’il convient de traiter en premier » en particulier pour préciser le contexte législatif. Le Pr Senon, contacté par téléphone, pointe un problème de méthode : « Il faudrait commencer par le travail central sur la pair-aidance, et ensuite le décliner suivant les populations cibles ». La proposition de suspendre les travaux psychiatrie-précarité n’a ainsi pas été retenue.
Selon ces experts « si l’on s’accorde aujourd’hui à considérer que la pair-aidance constitue pour les années à venir un levier majeur d’amélioration de la qualité des soins en psychiatrie, chacun peut comprendre que, si l’éclairage qu’apporte l’expérience vécue par ces patients peut s’avérer des plus précieux, c’est à la condition essentielle que leur vulnérabilité psychique particulière, inhérente à leur pathologie, ne fasse pas l’objet d’instrumentalisation par les autres acteurs du champ de la santé mentale (notamment par un paternalisme médical), d’endoctrinement voire d’emprise sous l’influence d’organisations sectaires ».
Ils pointent une « situation sans précédent » (…) « qui vient malheureusement traduire un climat de travail très nouveau et inhabituel pour nous à la HAS » et ne leur permet plus de poursuivre utilement leurs fonctions dans cette institution.
« C’est à notre très grand regret que, par cette lettre ouverte, nous nous voyons dans l’obligation de nous désolidariser auprès de vous de la recommandation sur « Grande Précarité et Troubles psychiques ». Car, à l’évidence, nous n’avons pas été entendus quant au traitement de la pair-aidance dans cette recommandation qui apparait comme une véritable recommandation dans la recommandation alors que l’importance majeure de ce sujet nécessite un travail spécifique approfondi. (…)
Néanmoins plusieurs instances et des psychiatres engagés dans le rétablissement réagissent avec « beaucoup d’inquiétude et d’indignation » à ce courrier et renouvellent leur soutien à la HAS.
Pour eux Il n’est pas « entendable de renvoyer la référence à la pair aidance à de futurs travaux, dont on pressent au vu des présupposés énoncés dans le courrier qu’ils n’aboutiront pas rapidement. Une telle demande relève d’une posture dilatoire à laquelle nous ne saurions souscrire. Nous pensons que des recommandations sur la pair aidance en santé mentale seront utiles et nécessaires. Elles ne sauraient toutefois s’inscrire dans les schémas de pensée que véhicule ce courrier, par ailleurs peu clair, voire abscons dans certains de ses développements. Elles devront par ailleurs être évolutives et flexibles, à l’instar d’une pratique en construction et qui le sera encore pendant de nombreuses années
Les signataires de ce courrier se tiennent donc à la disposition de la HAS « pour réfléchir avec vous et vos services à une évolution de la composition du Comité de suivi « psychiatrie et santé mentale » qui permette une représentation des acteurs plus en phase avec la réalité des évolutions et des transformations que nous observons et accompagnons sur le terrain en psychiatrie, loin des conservatismes exprimés. Il importe notamment que cette instance fasse une place aux pairs aidants ».
Pour sa part, un « groupe de pair-aidants professionnels (…), qui œuvrent quotidiennement à l’accompagnement du rétablissement de personnes vivant avec des troubles psychiques sévères, des addictions et dans une très grande précarité » et « attaché à la valorisation » de ce métier en devenir, a également vivement dans une lettre ouverte (ci-dessous).
Le groupe souligne : « Nous sommes d’accord sur le fait que la pair-aidance mériterait un sérieux travail pour définir le périmètre de son activité et de lui créer un cadre légal propre. Ceci étant dit, nous tenions à souligner qu’en tant que pair-aidant, nous sommes des professionnels de santé (psychique, addictologique, somatique et/ou sociale) et non pas des usagers. Il est crucial de rappeler que notre vulnérabilité psychique est rattachée à notre vie privée. » Le pair-aidant ou le médiateur en santé pair est « une personne avant tout, rétablie et qui a le recul nécessaire sur son parcours, pour ne pas se mettre en difficulté », écrivent-ils, pointant combien leurs expériences de la maladie ouvrent « un espace auquel les professionnels n’avaient pas accès ». Ils estiment agir en « complémentarité avec l’ensemble des professionnels (…) pour améliorer l’accès à des soins de qualité », se disant « fiers de leur valeur ajoutée ».