Violences sexuelles durant l’enfance et l’adolescence : une parole qui reste difficile

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Les mouvements féministes, suivis de celui #metoo, ont fait prendre conscience de l’ampleur des violences sexuelles et aidé les personnes agressées à en parler. Toutefois, les agressions sexuelles, particulièrement celles subies pendant l’enfance et dans la famille, restent difficiles à révéler. À partir d’une enquête inédite, Elise Marsicano, Nathalie Bajos et Jeanna-eve Pousson, chercheures à l’université de Strasbourg et à l’Inserm, caractérisent ces violences selon le type d’agresseur et décrivent à qui les personnes abusées durant leur enfance en parlent lorsqu’elles y parviennent.

Les femmes surexposées aux violences sexuelles dans l’enfance et l’adolescence

Dans cette enquête, les violences sexuelles, y compris non familiales, perpétrées avant 18 ans concernent 13 % des femmes et 5,5 % des hommes. Quels que soient l’âge ou le milieu social (appréhendé par la profession du père lorsque l’enquêté·e avait 15 ans), les femmes rapportent plus de violences sexuelles avant l’âge de 18 ans que les hommes. La fréquence plus élevée des déclarations de violences sexuelles avant l’âge de 18 ans chez les jeunes générations, femmes et hommes, peut traduire une augmentation des actes de violences dans le temps et/ou une déclaration plus aisée au fil des dernières décennies, du fait d’une plus grande attention portée à la parole des victimes et d’un élargissement des faits susceptibles d’être qualifiés de violence.

« L’enquête confirme que les violences sexuelles sur personnes mineures concernent tous les milieux sociaux. »

Des violences sexuelles qui ont massivement lieu dans l’entourage familial

La famille est la sphère de socialisation où se produisent le plus de violences sexuelles pour les femmes. Au total, 4,6 % des femmes et 1,2 % des hommes interrogés rapportent des violences incestueuses avant l’âge de 18 ans. Les violences sont également le fait des ami·es de la famille (2,2 % des femmes et 0,7 % des hommes). Ainsi les violences sexuelles intra et para-familiales sont rapportées par 6,8 % des femmes et 1,9 % des hommes.

« Ces violences contre les jeunes filles par un membre de la famille sont commises dans 96,5 % des cas par un homme ; ce chiffre est de 89,7 % pour les jeunes garçons »

Des violences sexuelles qui commencent très jeune et se répètent dans le temps

Près de 40 % des violences sexuelles avant 18 ans ont lieu avant l’âge de onze ans. Les personnes qui déclarent avoir été agressées sexuellement par un membre de leur famille ou un ami de la famille l’ont été plus jeunes que les autres : plus de la moitié des femmes avaient moins de onze ans lors de la première agression sexuelle lorsque l’auteur était un membre ou un ami de la famille. Les mêmes tendances sont observées pour les hommes. En outre, les violences sont plus souvent répétées sur plusieurs années quand il s’agit d’un membre de la famille, et dans une moindre mesure quand il s’agit d’un ami de la famille, par rapport aux autres situations pour lesquelles il s’agit plus souvent d’un événement unique, en particulier pour les femmes. Enfin, les hommes agressés sexuellement sont plus souvent victimes de viols que les femmes. Ces viols sont plus fréquents que les attouchements quand l’agresseur est un membre de la famille ou lorsqu’il s’agit d’un ami de la famille.

« Les violences sont plus souvent répétées sur plusieurs années quand il s’agit d’un membre de la famille »

Une parole qui reste difficile

Plus de la moitié des femmes (51,4 %) et 39 % des hommes concerné·es déclarent en avoir déjà parlé. Plus les personnes sont jeunes, plus elles déclarent en avoir déjà parlé à quelqu’un : c’est le cas de 59,6 % des femmes et 52,2 % des hommes de 18-24 ans contre 42,4 % des femmes et 25,0 % des hommes de plus de 60 ans, preuve que l’on se confie davantage au fil de générations. Parmi les personnes qui déclarent n’en avoir jamais parlé, certaines ont pu essayer de le faire , ou de signaler une situation perçue comme anormale, sans susciter de réactions dans l’entourage. Ces difficultés à parler de ces violences sont sans doute davantage marquées pour les générations plus anciennes, agressées à une époque moins favorable à la remémoration et à l’énonciation d’une parole sur ces actes.

« Plus les violences sexuelles ont duré longtemps, plus les personnes rapportent en avoir parlé. »

Des agressions dont on parle peu hors de l’entourage proche

Lorsque les personnes agressées sexuellement dans l’enfance en ont parlé, elles se sont tournées le plus souvent vers leurs proches : 21,1 % des femmes et 12,9 % des hommes en ont parlé à leurs parents, 17,5 % des femmes et 12,5 % des hommes à leur partenaire, et 17,2 % des femmes et 10,3 % des hommes à un·e ami·e. Un·e professionnel·le de santé a été informé·e dans un peu moins d’un cas sur sept (13,8 % des femmes et 11,7 % des hommes).

« Alors que la propension à en parler est toujours plus élevée chez les femmes que chez les hommes, ce n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de se confier aux représentant·es de la police ou de la justice, pour lesquelles les proportions sont les mêmes pour les femmes et les hommes (7,9 % des femmes et 7,4 % des hommes).

Violences sexuelles durant l’enfance et l’adolescence : des agressions familiales dont on parle peu, Elise Marsicano, Nathalie Bajos, Jeanna-eve Pousson, Population et Sociétés, n° 612, Juin 2023. Ined.