Santé mentale des soignants en psy : quels liens avec les pratiques de soins ?

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La recherche RPsy explore les liens entre activité de soins (dont isolement-contention), risques psychosociaux et santé mentale des soignants. Une étude préliminaire, publiée dans la Revue française des affaires sociales (RFAS) pointe un contexte sensible .

Baptisé RPsy, un projet de recherche explore les liens et les mécanismes en jeu entre les pratiques de soins en psychiatrie, dont l’usage de la contrainte, les risques psychosociaux (RPS) et la santé mentale au travail des soignants en psychiatrie de secteur (adulte). A terme, l’objectif est d’élaborer des recommandations pour favoriser la qualité de vie au travail, en soutenant des pratiques orientées rétablissement/respect des droits des patients. Porté par le Groupement de coopération sanitaire (GCS) et piloté par le Centre collaborateur de l’Organisation mondiale de la santé pour la recherche et la formation en santé mentale (CCOMS), ce travail est conduit dans 8 EPSM (1).

Cependant, la recherche a pris du retard, dû à la crise du covid, mais également aux difficultés de recueil et de qualification des données. Les auteurs pointent que « les critiques dont la démarche participative et le protocole de recherche proposés ont été l’objet sont révélatrices des débats et controverses entourant la production de connaissances sur la santé mentale au travail, entre approches compréhensives versus objectivistes ». Dans ce contexte, une étude préliminaire a été engagée sous la forme d’une investigation sociologique. Publiée dans la Revue française des affaires sociales, elle éclaire le sens de l’engagement des directions des EPSM dans la recherche et les enjeux entourant la question des risques psychosociaux en leur sein.

Cette étude est issue de 47 entretiens semi-directifs, individuels ou collectifs, menés auprès de 52 « acteurs/rices-clés » au sein des directions des ressources humaines, des directions des soins, des services de santé au travail, des commissions médicales d’établissement, des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, voire des directions de l’information médicale. Ces premiers résultats mettent en lumière les difficultés, les limites et les enjeux d’une politique de prévention des RPS au sein des établissements, source de tensions et de divisions entre les partenaires sociaux et les directions, ce qui témoigne d’une coopération difficile susceptible d’en affaiblir la portée.

Selon les auteurs de cette étude, « un des apports majeurs de cette phase préliminaire a été la rencontre des différents acteurs et notamment des représentants syndicaux, à la fois représentants du personnel et acteurs de terrain. Ils et elles sont un rouage essentiel de l’accès aux soignants à toutes les étapes de la recherche. Car un autre enjeu est de saisir l’impact des pratiques de soins sur la santé mentale au travail des soignants, tant la question paraît taboue parmi eux. Ce déni, articulé aux stratégies de défense collectives visant à préserver une identité professionnelle et à l’idéologie du “soignant fort”, constitue un frein à l’expression des difficultés et souffrances vécues.« 

« Saisir la manière dont s’articulent les différentes formes de contraintes exogènes – liées aux transformations organisationnelles de l’institution psychiatrique et endogènes – les mesures de contrainte dans la relation de soin encore (trop) souvent considérées comme une nécessité face à un patient dont la capacité de discernement altérée met en danger sa personne ou autrui, et leurs retentissements sur la santé mentale au travail des soignants, à partir des représentations et de l’expérience subjective qu’ils et elles en ont, nous paraît d’autant plus pertinent que ces questions sont rarement abordées sous cet angle dans les recherches ».

Projet RPsy : Méthodologie
- une étude quantitative comportant deux volets : une enquête individuelle auprès des professionnels des EPSM menée à partir d’un outil standardisé, le questionnaire « SATIN », qui permet d’établir un diagnostic sur les conditions de travail et la santé (dont les RPS) susceptible d’aider les EPSM à ajuster leur politique de prévention des RPS et de promotion de la qualité de vie au travail (QVT), et dont la particularité est de privilégier une approche subjective pour saisir le ressenti des salariés (santé perçue et évaluation de l’environnement de travail comme source de bien-être ou de mal-être), à l’opposé d’une approche normative des relations entre les caractéristiques de l’environnement de travail et la santé ; et un recueil d’indicateurs indirects sur la QVT (taux d’accidents du travail, de maladies professionnelles, d’arrêts maladie…) et de données sur l’activité des secteurs de psychiatrie adulte (taux de soins sans consentement, de mesures d’isolement et de contention…). 
- une étude qualitative, centrée sur deux sites présentant des configurations-types, relève d’une  approche sociologique compréhensive. Elle repose sur des entretiens semi-directifs approfondis et des focus groups avec des soignants afin d’explorer l’expérience subjective des pratiques de soins, dont le recours à la contrainte, et leurs effets sur la santé au travail, d’identifier les facteurs et processus en cause, de faire dialoguer les différentes conceptions du soin et de co-élaborer des pistes-solutions pour améliorer le bien-être au travail par les pratiques de soins et réciproquement.

Les « focus groups » prévus dans le volet qualitatif de cette recherche afin d’explorer le lien entre pratiques de soins/contrainte et santé mentale au travail à partir du vécu des soignants de psychiatrie « pourraient contribuer, selon les auteurs, « à l’émergence d’un espace de dialogue sur ces enjeux et sur les critères du travail bien fait« . Cet espace pourrait favoriser « les « disputes de métier » autour de la qualité des soins et la recherche de pistes-solutions pour les dépasser qui puissent être intégrées dans des perspectives de QVT dans les établissements« . Il pourrait également constituer une première étape « car il gagnerait, ensuite, à dépasser les seuls
professionnels pour s’ouvrir aux bénéficiaires de l’action tant il est devenu indispensable de faire avec les usagers de la psychiatrie et les aidants
« .

1- CH de Rouffach (Haut-Rhin), Les Hôpitaux de Saint-Maurice (Val-de-Marne), le CH les Murets à la Queue-en-Brie (Val-de-Marne), l’EPS Barthélémy-Durand à Étampes (Essonne), l’EPSM Val-de-Lys-Artois à Saint-Venant (Pas-de-Calais), l’EPSM Lille-Métropole à Armentières (Nord), le CH Guillaume-Régnier à Rennes (Ille-et-Vilaine), le CH La Chartreuse à Dijon (Côte-d’Or).

« Santé mentale au travail des soignants de psychiatrie : un détour réflexif sur les enjeux épistémologiques et institutionnels de la recherche RPSY », Isabelle Maillard, Marie Costa, Jean-Luc Roelandt, Mathilda Labey, Revue française des affaires sociales 2022/4, pages 193.