Pour une infirmière, choisir l’intérim c’est d’abord échapper « aux impératifs de plannings »

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Face à une vague historique de départs de professionnels après plusieurs années passées en milieu hospitalier, observée depuis 2019, l’Agence d’emploi des métiers de santé (Agems) a proposé aux infirmiers exerçant en intérim de s’exprimer sur leur choix de quitter l’hôpital. Les résultats de cette enquête1 pointe qu’une meilleure rémunération n’est pas leur première motivation, devancée par les impératifs de planning et les difficultés d’organisation de services ou d’établissements.

L’Agems le souligne d’emblée, « les établissements de santé souffrent d’une crise profonde d’attractivité et ce bien avant la crise sanitaire. Les carrières longues au sein d’une même structure n’attirent plus et la déliquescence des conditions de travail accentue encore la « fuite » des soignants. « Mercenariat », « manque d’éthique », « drogue douce », les qualificatifs ne manquent pas pour qualifier les professionnels qui font le choix de l’intérim, historiquement destiné à pallier l’absence inopinée de courte durée…« 

« Ce qui est le plus difficile en intérim, c’est de voir la grande souffrance des personnels en poste que l’on rencontre lors des missions. »

Balayons d’emblée la question de la rémunération qui n’est pas le premier facteur que prennent en compte les infirmiers lorsqu’ils quittent un poste fixe en établissement de santé pour exercer en intérim, ni le premier critère qui les inciteraient d’ailleurs à le reprendre. En effet, une très large majorité d’IDE intérimaires interrogés placent les impératifs de planning en première position dans leur choix de quitter leur établissement : alternance jour/nuit imposée, difficile obtention de temps de travail réduit, inscription à un DU ou à un master nécessitant des journées libres, engagement associatif… Comme le souligne l’Agence, « les tensions RH actuelles complexifient fortement la conception des plannings d’équipes et la sécurisation des journées de repos n’est souvent pas assurée, rendant impossible une organisation personnelle à moyen terme. » D’ailleurs, la tendance qui se dessine sur l’appétence des IDE intérimaires à reprendre un poste fixe dans un service hospitalier est plutôt timide : 35% de « peut-être », 16% « probablement » et 7% « certains ». Là encore l’impossibilité de « planning adapté » ainsi que la non application d’un ratio IDE/patients demandé de longue date, sont des éléments péjoratifs.


« J’étais en CDI auparavant mais j’ai des contraintes familiales qui ne sont pas compatibles avec un poste. »

Sur le profil des primo-diplômés, ils ne sont que 19% des IDE à avoir pris la décision d’exercer directement en intérim en sortie d’Ifsi. Là encore la perspective d’une rémunération présentée comme plus attractive n’est pas le premier élément de décision. La « liberté de planning » ressort en première position, immédiatement suivi de la « volonté de découvrir de nouveaux services avant de prendre un poste ». « Ne pas être dans la routine et continuer à apprendre » reste pour ces jeunes diplômés une motivation importante. « S’il ne s’agit pas d’évaluer la pertinence pédagogique de la réforme de la formation infirmière de 2009, rajoute l’Agence, on peut toutefois s’interroger sur l’impact de cette mesure dans la découverte globale de typologies de services différentes au cours des trois années de formation infirmière« . Pour l’Agems, cela présuppose « la volonté de rejoindre ultérieurement une équipe de soins fixe et la mise en oeuvre d’une stratégie « d’auto formation », donc une vision à moyen terme, loin des clichés de « l’infirmier mercenaire » n’ayant pour objectif que l’appât du gain immédiat. » L’ensemble des IDE a d’ailleurs été interrogé sur la question d’un salaire brut horaire comme « minimum acceptable » (converti en salaire mensuel brut pour 35 heures, il s’établit à 3 124 euros mensuels brut) ainsi qu’un « bon salaire » (estimé à 3 488 euros mensuels brut). « Ces résultats sont donc en contradiction avec le « mercenariat » à moins de considérer que le souhait d’être rémunéré à environ 1,1 fois le salaire moyen en France2 pour 3 années d’études est une revendication excessive, analyse l’Agems. En effet, appliqués à l’ensemble des infirmiers, ces salaires ne feraient que placer la France dans la moyenne OCDE32 en matière de rémunération des infirmiers à l’hôpital par rapport au salaire moyen. »

« J’étais intéressé par plusieurs spécialités. Si j’avais signé dans un service j’aurais eu envie d’en changer tous les 2 ans. »

Méthodologie de l'enquête et caractéristiques des enquêtés
• Questionnaire anonyme auto administré envoyé à l'ensemble des professionnels infirmiers en soins généraux d'AGEMS, actifs en 2022. 
• 1143 réponses reçues, 1047 questionnaires exploités. 
• La proportion femmes/hommes dans la population infirmière intérimaire est identique à celle de l'ensemble des IDE exerçant en France. En revanche, l'âge est significativement inférieur, avec 32 ans en moyenne contre 41 ans pour les IDE exerçant en milieu hospitalier (Drees 2021). 
• L'ancienneté moyenne dans la profession infirmière est de 5,5 ans en moyenne pour les intérimaires AGEMS actifs entre 2020 et 2022. 
• Les jeunes diplômés des sessions de mars et juillet 2022 ne représentent que 2,6% de l'effectif global AGEMS. 

1- « Intérim infirmier : trajectoires RH et perspectives » – Agence d’emploi des métiers de la santé (AGEMS), novembre 2022.
2- INSEE 2022
3- Statistiques de l’OCDE sur la santé 2021