Le Comité consultatif national d'éthique livre dans un avis une série de recommandations sur le "juste prix" du médicament dans un contexte de forte inflation
De nouveaux médicaments constituent des innovations thérapeutiques à haute valeur ajoutée. On y trouve par exemple des traitements anticancéreux, à base d’anticorps
monoclonaux ou des traitements « personnalisés », de certains lymphomes à base de lymphocytes « activés », ou des thérapies géniques pour des maladies génétiques. Ces
traitements, issus de la recherche biomédicale, voient le jour dans un modèle totalement différent de celui jusqu’à présent mis en oeuvre par l’industrie pharmaceutique.
Ces traitements sont très probablement amenés à se développer et leurs indications à s’élargir et concerneront ainsi de plus en plus de patients. Toutefois, les prix exorbitants
de ces thérapies innovantes (jusqu’à deux millions d’euros par patient) posent la question de leur accès pour tous les patients qui pourraient en avoir besoin. De plus, leurs prix très élevés pourraient compromettre l’équilibre financier du système de santé solidaire comme celui qui prévaut en France, conduire à faire des choix et restreindre l’accès aux soins pour d’autres types de pathologies.
Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s’est autosaisi de ces questions majeures pour la santé publique et l’avenir de notre système de soins dans son avis 135 « Accès aux innovations thérapeutiques : Enjeux éthiques ». La pandémie Covid-19 met également en lumière l’importance de mener une réflexion éthique sur l’accès aux innovations thérapeutiques avec l’arrivée de vaccins de nouvelle génération, de cocktails d’anticorps monoclonaux.
Le CCNE s’interroge en particulier sur les enjeux éthiques liés à deux questions : Comment concilier, d’une part, l’accès de ces traitements très coûteux à tous ceux qui le nécessitent et la pérennité du système d’Assurance Maladie et, d’autre part, les intérêts des entreprises pharmaceutiques ? Comment justifier de tels prix et comment pourrait-on définir des prix justes ?
Le modèle économique des entreprises pharmaceutiques a changé depuis une vingtaine d’années. Il est marqué à la fois par une externalisation de la recherche (menée très souvent par des start-ups qui sont ensuite rachetées par les grands groupes pharmaceutiques) et une financiarisation du secteur, conduisant à rechercher des profits très élevés pour répondre aux exigences des actionnaires. Les analyses produites par les entreprises pharmaceutiques révèlent toutefois que les coûts de production ne représentent en moyenne que moins de 5% du montant total d’uneinnovation et surtout que les dépenses en recherche et développement sont inférieures à celles affectées au marketing.
La fixation du prix répond à un processus complexe, fruit de négociations opaques et déséquilibrées entre les pouvoirs publics et les entreprises du secteur.
Dans son avis 135, le CCNE analyse les principes à faire valoir pour rendre les négociations équitables, avec l’objectif de rechercher un « juste prix », même si les intérêts des parties en présence sont quelque peu divergents. Comment de tels prix peuvent-ils être pratiqués sans justification claire, alors même que les patients sont captifs, car n’ayant la plupart du temps aucune alternative ? Comment aboutir à une éthique de la « juste négociation » ?
Le CCNE propose des recommandations visant à rendre possible la conciliation de deux objectifs : l’optimisation de l’accès au meilleur soin pour chacun et l’optimisation de la
recherche d’un moindre prix dans le cadre des négociations. Cet objectif se décline selon le triptyque suivant : (1) exiger la transparence ; (2) renforcer et/ou élargir les compétences de la puissance publique ; (3) développer une politique de coopération à l’échelle européenne, voire internationale.
(1) L’exigence de transparence est éthique et démocratique avant d’être stratégique sur le plan économique. Cette volonté passe par la mise en place d’un « Ségur du
médicament » réunissant toutes les parties prenantes du secteur, y compris des représentants de la société, pour réfléchir aux modalités de développement d’une politique de transparence fondée sur la définition de règles explicites des coûts. Le plafonnement des dépenses autorisées au titre du lobbying pour les entreprises. pharmaceutiques, ainsi que l’encadrement plus strict des pratiques des visiteurs médicaux doivent constituer des mesures permettant de limiter les effets d’influence sur les autorisations de mise sur le marché sur le territoire européen, ainsi que sur les pratiques des médecins prescripteurs, encouragés à développer la réflexion éthique et pluridisciplinaire dans les processus décisionnels d’allocation des médicaments innovants.
(2) Le renforcement des instances publiques préparant les négociations pourrait s’envisager en faisant appel à des chercheurs et personnalités du secteur public et. universitaire pour réaliser des analyses médico-économiques et évaluer en vie réelle l’efficacité des médicaments innovants et coûteux. Ce renforcement comprend également la consolidation des bureaux chargés de délivrer des brevets afin qu’ils disposent de tous les moyens et informations légaux et réglementaires nécessaires pour évaluer l’effectivité des innovations proposées par les industriels. Enfin, le CCNE propose de créer un « pôle public et autonome du médicament » afin d’envisager la mise en place d’entités publiques (ou mixtes) de production des médicamentsinnovants. A but non lucratif mais rentables, celles-ci seraient fondées sur la coordination d’équipes de recherche et de pharmaciens.
(3) Le troisième volet des recommandations du CCNE est d’inciter à promouvoir une politique de coopération européenne et internationale avec un double objectif : réfléchir aux enjeux relatifs à la qualification juridique de certains médicaments innovants comme « biens publics mondiaux », réfléchir également à la création d’une agence européenne spécialisée dans l’analyse économique des produits de santé, ou d’élargir les compétences de l’EMA (Agence européenne du médicament). Plus globalement, il est urgent de renforcer la souveraineté sanitaire à l’échelle nationale et européenne dont une telle agence serait chargée.