29/04/2020

Un service de médecine à « orientation psychiatrique » ?

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Anna, infirmière au CMP est redéployée pour quelques temps, Covid-19 oblige, dans son ancienne unité installée récemment dans un bâtiment dernier cri du Centre Hospitalier. De nombreux détails l’interpellent qui semblent présager de la psychiatrie du future…

Mon établissement, comme bien d’autres, a vu son activité entièrement réorganisée depuis le début de la pandémie. Des unités classiques ont fermés ou fortement réduit leur activité et une nouvelle organisation a été mise en place. Nous disposons de plusieurs unités dédiées aux patients touchés par le Covid-19 qui ferment tout ou en partie puis rouvrent au gré des admissions de patients porteurs du virus. Au plus fort de la crise nous étions en capacité d’accueillir près de deux cent personnes infectées. S’il y a quinze jours nous avons observé une diminution des entrées de patients touchés par le Covid-19, l’accalmie a été de courte durée. Les chiffres repartent à la hausse. Selon l’Agence régional de santé de ma région, nous sommes dans un cluster (foyer épidémique) fluctuant dans une partie du département.

Comme je l’ai déjà évoqué, les informations qui nous parviennent au CMP suivent parfois les mouvements d’entrées et de sorties de l’établissement. On passe donc d’un jour à l’autre de l’espoir à l’inquiétude résignée. Inscrite sur une liste de volontaires depuis quelques semaines, on m’a proposé d’effectuer un remplacement en unité d’accueil au Centre psychiatrique. Dans ce service de soins plusieurs collègues ont été réaffectés en Unité Covid. Certains sont aujourd’hui en arrêt de travail car touchés par le virus. J’ai appris au début du confinement que ces services de soins dédiés à la prise en charge du virus pouvaient être des unités Covid médicales, Covid gériatriques, soins de post aigus Covid et bien sûr les réa Covid. Par ailleurs, dans certaines spécialités des secteurs ont été spécialement aménagé pour accueillir si besoin des patients infectés comme la maternité et le pôle de psychiatrie. Estelle, une collègue de l’unité de réhabilitation psychosociale me disait qu’elle attendait l’entrée d’un patient infecté. Il sera accueilli dans une aile spécialement aménagée.

De retour en intra

Me voici donc de retour en intra après plus de dix ans de secteur. La même unité quelques dix ans après. Il s’en est passé des choses au cours de cette période. La particularité de mon hôpital, c’est que pendant quarante ans l’activité de psychiatrie s’y est effectuée à dix kilomètres de celle des soins dits généraux. L’intra de psychiatrie a longtemps été représenté par un bâtiment cubique typique des années soixante-dix, presque oublié au milieu des champs et des vaches, pourvu d’un grand parc arboré, d’une salle de sport et d’un jardin potager. Une architecture datée mais tournée vers la psychothérapie institutionnelle. Un Centre Hospitalier, deux lieux, deux activités parallèles. Jusqu’à la suppression du diplôme d’Infirmier de Secteur psychiatrique (ISP) en 1992 il y avait sur le site de la psychiatrie une école d’infirmière, une pharmacie détachée, une administration, et sans doute beaucoup d’autarcie. Au fil du temps, la « maison mère » s’est faite plus présente. Depuis peu, et compte-tenu de l’état dégradé du bâtiment,  l’activité de psychiatrie a été rapatriée dans un bâtiment moderne au cœur du Centre Hospitalier.     

Redéployée pour quelques temps dans mon ancienne unité, je reprends vite mes marques d’autant que l’organisation a peu changée. Des patients décompensés, en phase aigu qui entrent ou sortent de l’unité après un séjour voulu le plus court possible. L’accueil de mes collègues m’aide beaucoup. Le service est composé d’un secteur ouvert, d’un secteur fermé et d’une zone d’isolement peu utilisée. Pas de choc donc de ce côté-là. Par contre, c’est l’environnement qui m’interpelle tant du côté des tenues de mes collègues que de la technologie présente. Le nouveau décor de l’activité de psychiatrie de même que la présentation des soignants ne correspondent plus aux standards que je connaissais. Bien entendu, depuis son ouverture j’u suis allée pour le visiter, à son inauguration ou pour participer à des synthèses de patients, mais, « en action », je mesure le changement. Je suis impressionnée par les nouveaux locaux. Dès le premier jour, j’ai l’impression d’évoluer dans le vaisseau spatiale « Discovery One » du roman d’Arthur C. Clarke « 2001, l’odyssée de l’espace » dont Stanley Kubrick a tiré un film culte (1).

Un bâtiment dernier cri

Un badge électronique a remplacé les classiques et symboliques clés pour l’ouverture des portes de l’unité. Pas la peine de fermer derrière soi, tout est automatique. Un bruit métallique signale que la porte est cadenassée. Le bureau infirmier est constamment fermé, impossible d’y pénétrer sans le passe magnétique. J’ai appris il y a peu que dans certaines unités de médecine ou de chirurgie, ce sont les empreintes digitales des soignants qui permettent d’ouvrir les armoires à pharmacie. C’est peut-être l’étape suivante… Dans ce bâtiment dernier cri, lorsque vous déambulez dans un couloir, la lumière s’allume d’elle-même. Hal 9000 (2) est-il aux commandes ? Il parait que c’est très pratique la nuit. Plus besoin de chercher à écouter la « musique du service », la lumière vous informe qu’un patient est en mouvement. Pour ma part, cet éclairage qui s’allume et s’éteint dès que quelqu’un emprunte un couloir me parasite un peu. Je m’y habituerai sans doute.

D’autres détails m’interpellent. Un matin, lorsque je peine à déplacer le chariot du petit déjeuner on m’apprend qu’il est équipé d’une assistance. Une pression sur un bouton et le chariot avance presque tout seul. Touche-t-il un pécule ? J’ai aussi mis plusieurs secondes à comprendre comment ouvrir un volet dans une chambre. L’interrupteur se trouve à l’extérieur de la chambre. Tout est automatisé. Plus amusante est l’odeur des armoires les moins utilisées qui sentent encore le meuble suédois en kit.

Dans le bureau infirmier, je constate non sans humour que le cahier noir subsiste toujours. A mes débuts, ce cahier noir servait à noter les informations de service mais aussi les transmissions de tous les  patients. Un véritable totem. Le dossier patient n’existait pas vraiment. Aujourd’hui, dans ce service, ce cahier noir a une vocation administrative, on y note les mouvements de patients. On m’apprend que le dossier informatisé devait être instauré ce mois-ci, compte tenu de l’épidémie cela n’a pu se faire. Pour le reste, c’est un bureau infirmier classique avec sa planification murale, un ordinateur et des affiches au mur. Certaines sont apparues avec l’épidémie. Une d’elle rappelle les gestes barrières, une autre le numéro de la cellule d’écoute de la médecine du travail à destination des agents. Et puis, il y a toutes ces feuilles au format A4 qui font partie du décor mais que l’on ne regarde plus vraiment. Tiens, je remarque que dans ce bureau il n’y a plus de fauteuils bas. Dommage, c’est pratique et confortable pour faire un entretien infirmier, surtout pour celui qui arrive en état de tension. Autrefois, je pouvais accueillir un entrant autour d’un café et lui proposer de s’installer sur un de ses fauteuils. Ce n’est plus vraiment la norme.

Vivement le retour des activités de CATTP

Dans cette unité tout la prise en charge somatique est optimum. Pas un patient qui n’ait eu son scanner, sa radio ou son bilan sanguin complet. Les ECG prescrits sont analysés dès leur réalisation. Je suis étonné de voir un chirurgien se rendre au chevet d’un patient quelques jours avant son intervention. La préparation préopératoire et le retour de bloc se feront directement dans l’unité. Le médecin anesthésiste fait sa consultation pré anesthésique dans l’unité. C’est une première pour moi. Le rapprochement géographique a peut-être du bon. Etonnée et ravie de voir que les patients sont mieux suivis physiquement qu’à l’époque où je travaillais en intra. Il n’empêche, on se croirait en « service de médecine à orientation psychiatrique ». Est-ce représentatif de l’avenir de la psychiatrie ? Mystère.

Côté costume c’est assez simple. A mon arrivée on m’a attribué un trousseau composé de tuniques avec col en V et de pantalons. Les même que dans les séries médicales américaines. Me voilà déguisée en Meredith Grey dans «Grey’s Anatomy » (3) d’ailleurs, même le masque que je dois porter est chirurgical. Par tradition, l’infirmière comme le médecin sont en blanc. Pour être franche, déjà il y a une dizaine d’années nous portions ces uniformes (notamment le matin) car pratiques pour les soins salissant (les antiseptiques comme les neuroleptiques en gouttes laissent des traces indélébiles sur les vêtements) ou les toilettes complètes. L’après-midi, une blouse suffisait. Elle pendait généralement dans le poste de travail sur un porte manteau. Maintenant, c’est la tenue officielle. Je n’ai pas osé demander si elle était obligatoire, je ne suis que de passage au fond. Est-ce dû à l’effet Covid ou à l’uniformisation hospitalière ? Difficile à dire. Du côté du corps médical, c’est la blouse. On m’apprendra que les jeunes médecins les réclamaient depuis l’arrivée dans le nouveau bâtiment. Dans la série « Grey’s Anatomy » c’est finalement plus simple, les chirurgiens opèrent, brancardent, « nursent », soignent, écoutent, font les radios et parfois transportent les malades. Les scénaristes de cette série ont ainsi recréé le cadre unique de la psychiatrie (4) pour la chirurgie. Je vous invite à vérifier. Dans cette série, il faut chercher les très rares infirmières (de bloc opératoire), c’est difficile car elles ne prononcent jamais un seul mot et les autres corps de métier n’existent pour ainsi dire pas. Le chirurgien assure toutes les tâches !

Dans ma réalité psychiatrique, au contraire, les fonctions de chacun sont bien visibles. Bref, les psychiatres ressemblent à des médecins, les infirmières aux infirmières, les aides-soignantes aux aides-soignantes. Des psychologues ont récemment revendiqué d’avoir les même tenues que les psychiatres. Question de standing. Même le plus délirant des patients parvient à identifier le grade de chacun, c’est pratique. Je me suis demandée le premier jour si on faisait le matin un tour des chambres avec le médecin comme en chirurgie. Cette mode vestimentaire n’a pas encore cours en extra hospitalier pour l’instant. En même temps, difficile de faire une activité marche en tunique pantalon. Pour la piscine, une tenue de bain avec le logo de l’hôpital, le nom de l’agent et de son grade serait cocasse. Par contre, on sait depuis les années 80 avec la chanteuse Sabrina (5) que les maillots de bains blancs sont à proscrire…

A l’issue de ma journée je regagne le vestiaire, ravie de quitter ma panoplie de chirurgienne, il fait chaud dans l’unité. J’étouffe un peu sous le masque même s’il est un accessoire rassurant. Si jamais j’étais réaffectée en unité Covid psy c’est à une astronaute que je ressemblerai dans ce vaisseau psychiatrique. Je me rhabille, « en civil ». C’est amusant, ma tenue de ville est aussi ma tenue de travail en CMP. Quant aux tenues de CATTP, elles varient au gré de l’activité, short-baskets pour le sport, coupe-vent parfois pour le vélo et maillot de bain (une pièce bien entendu) pour la piscine. Vivement le retour des activités de CATTP. Sabrina, comme je t’envie dans ta piscine (5)…

Anna Mondello, infirmière en CMP

  1. 2001, l’odyssée de l’espace est un film de science-fiction de 1968 de Stanley Kubrick
  2. Hal 9000 est l’ordinateur de bord qui commande l’ensemble du vaisseau Discovery One dans « 2001, l’odyssée de l’espace dont il tente de prendre le contrôle au mépris de la vie des astronautes
  3. Meredith Grey est le personnage principal de chirurgien d’une série télé américaine « «Grey’s Anatomy »
  4. Le était un système de fonctionnement que l’on trouvait encore jusque dans les années 1980 dans bon nombre d’hôpitaux psychiatriques Il s’agissait d’organiser là un rôle thérapeutique unique des infirmiers en psychiatrie auprès des patients dans les  actes de la vie quotidienne, ménage, repas mais aussi les soins, l’accompagnement en promenade. Ils étaient aidés en cela par les malades qui touchaient un pécule. Ce système commença à se modifier avec l’arrivée d’agents des services intérieurs (ASI) dans certains hôpitaux psychiatriques puis par un décret d janvier 1979 d’agents de servce hospitalier, d’aides-soignants et plus tard d’aides médico-psychologiques.
  5. Sabrina Salerno est une chanteuse italienne connue principalementpar son seul prénom. Sa carrière a connu son apogée dans les années 80 avec un clip tourné dans une piscine (« Boys ») dans lequel elle portait un maillot de bain blanc visiblement trop petit…