Déconfinement : prérequis et mesures phares du Conseil scientifique

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Cet avis a pour objectif d’indiquer les conditions minimales nécessaires pour préparer de façon cohérente et efficace une levée progressive et contrôlée du confinement. Cet avis est organisé en 2 parties : Les prérequis minimaux de sortie du confinement, et des scénarios de sortie de confinement. Il est complété par un jeu d’annexes.

Le document de 42 pages (dont 24 de fiches techniques) est daté du 16 avril pour sa partie principale et du 20 avril pour les fiches techniques. Ces publications interviennent alors que le premier ministre, Edouard Philippe, présentera le plan de déconfinement lors d'une intervention mardi à 15 heures devant l'Assemblée nationale, qui sera suivie d'un débat et d'un vote.

Cet avis porte sur les deux mois qui suivent la sortie du confinement.

La sortie progressive et contrôlée ne signifie pas lever les mesures de contrôle
Le Conseil scientifique tient tout d’abord à clarifier que préparer les conditions de sortie progressive du confinement ne signifie pas annoncer que les mesures de contrôle contre COVID-19 doivent être levées. Ces mesures doivent rester fortes car un relâchement trop soudain des mesures de contrôle pourrait se traduire par une remontée rapide du nombre de cas et par un retour des formes graves en hospitalisation et en réanimation.
Grâce au confinement, le taux de transmission de SARS-CoV-2 dans la population française a été réduit d’au moins 70%. Cette réduction extrêmement importante de la transmission a permis de casser la dynamique d’expansion de SARS-CoV-2. Elle doit être maintenue dans la durée pour pouvoir largement résorber les admissions en réanimation pour COVID-19 et plus généralement, le nombre de cas de COVID-19 sur le territoire national.
Au moment de la sortie de confinement, si toutes les mesures de contrôle sont levées d’un coup, une seconde vague épidémique de COVID-19 est attendue. En effet, pour un virus aussi transmissible que SARS-CoV-2, on estime qu’il faudrait qu’au moins 70% de la population soit immunisée pour éviter une reprise épidémique. Même si des incertitudes importantes persistent sur le niveau actuel d’immunité dans la population française, en tout état de cause, ce niveau est très inférieur à 70%, se situe entre 5 et 20% selon les régions plus ou moins touchées, avec toute la prudence qui s’impose.

Une adhésion de la société aux mesures strictes de confinement difficilement acceptable dans la durée
Envisager les conditions de sortie progressive du confinement doit non seulement prendre en compte le fardeau économique du confinement, qui est considérable, mais aussi le poids que le confinement fait peser sur l’ensemble de la société, avec par exemple des difficultés de suivi d’autres pathologies, plus difficilement prises en charge dans le contexte épidémique, ou encore l’augmentation des troubles psychiques, des troubles du sommeil, des formes de violence ainsi que de la consommation de médicaments et d’alcool, etc. Le confinement pèse lourdement sur l’état général de la population et constitue une souffrance pour nombre de nos concitoyens, comme l’ont souligné de précédents avis.

Objectifs pour une sortie progressive et contrôlée du confinement
La sortie de confinement doit être vue comme la poursuite de la stratégie de contrôle de l’épidémie jusqu’alors adoptée, et non comme une rupture ou une nouvelle stratégie.
Dans l’état actuel des connaissances, deux objectifs principaux doivent être poursuivis :
– Le contrôle de l’épidémie : le virus continuera à circuler à la sortie du confinement avec des niveaux différents selon les régions. Il est impératif de limiter l’apparition de nouvelles infections.
–  La limitation du nombre de formes graves et de décès : Les cas détectés doivent bénéficier d’une prise en charge optimale pour éviter une aggravation et un décès. Il faut également s’assurer que les mesures mises en place ne s’accompagnent pas d’une augmentation des décès dus à des causes autres que COVID-19 par défaut de prévention ou de prise en charge.
A ces objectifs, s’ajoutent des objectifs sociaux et économiques qui doivent être intégrés à la réflexion stratégique.

Prérequis et mesures à mettre en place avant toute levée progressive et contrôlée du confinement
Pour pouvoir atteindre ces objectifs afin de progressivement et partiellement relâcher les contraintes du confinement tout en maintenant un faible niveau de transmission de SARS-CoV-2, une série de prérequis et de mesures à mettre en place est proposée dans cet avis. Ils doivent permettre d’identifier très rapidement et de façon aussi exhaustive que possible les cas suspects sur le territoire national afin de les tester et de les isoler s’ils sont positifs. Les contacts des cas doivent également être identifiés, testés et, eux-aussi, isolés.
Le Conseil scientifique tient d’emblée à souligner les nombreux défis associés à la mise en place de telles mesures. Elles doivent s’appuyer sur des moyens technologiques, logistiques et humains extrêmement importants, permettant de couvrir de façon efficace et rapide l’ensemble du territoire national. Les outils numériques ont également un rôle important à jouer pour renforcer son efficacité.
Etant donné les caractéristiques de SARS-CoV-2, ces mesures devront être complétées par d’autres mesures de contrôle fortes, avec notamment le maintien de mesures barrières et de distanciation sociale importantes et la protection des populations les plus vulnérables. Ces mesures pourront être renforcées ou relâchées selon l’évolution de l’épidémie.
A ce stade, étant donné les nombreuses incertitudes, la grande transmissibilité du virus, la proportion inconnue de formes asymptomatiques, les défis logistiques et technologiques, l’hétérogénéité de l’adhésion de la population, la résurgence de l’épidémie après le confinement reste possible. Dans pareil cas, un nouveau confinement ne pourra être exclu. Tout doit être mis en oeuvre pour éviter un tel scénario.

Les données disponibles à ce jour indiquent que le confinement pratiqué depuis le 17 mars a permis de réduire la transmission du virus de 84%, avec un nombre de reproduction estimé à 0.5 pendant le confinement, alors qu’il était de 3.3 avant l’initiation du confinement. Ceci s’est traduit par une diminution importante du nombre d’admissions en réanimation qui est passé d’approximativement 700 cas par jour fin mars à 220 cas par jour le 14 avril. Si cette tendance se poursuit, on s’attend à observer 10-50 admissions par jour en réanimation le 11 mai. Etant donné les durées de séjour observées, le nombre de lits occupés en service de réanimation pourrait alors être de l’ordre de 1400-1900. Cela pourrait correspondre à 1000-3000 personnes nouvellement infectées par SARS-CoV-2 par jour le 11 mai. Ces évaluations sont susceptibles de changer fortement, notamment s’il y a un relâchement, même partiel, de l’application du confinement (Salje et al, 2020). La proportion de porteurs asymptomatique est encore mal connue, évaluée autour de 20% ou plus, avec toute la prudence que ce chiffre impose (voir Fiche 1).

Dans son avis principal, le conseil scientifique, mis en place auprès de l'exécutif pour le conseiller dans le cadre de l'épidémie de Covid-19, retient six "prérequis" à remplir et six "mesures phares" qui devront être opérationnelles avant d'envisager une sortie du confinement.

Prérequis minimaux indispensables pour une sortie du confinement :

– Mise en place d’une gouvernance en charge de la sortie de confinement

– Des hôpitaux et des services sanitaires reconstitués

– Des capacités d’identification rapide des cas, de leurs contacts, et d’isolement des patients et de tous les porteurs sains contagieux (voir Fiche 4)

– Un système de surveillance épidémiologique capable de détecter les nouveaux cas et une reprise de l’épidémie (voir Fiche 5)

– Critères épidémiologiques

– Des stocks de protection matérielle pour l’ensemble de la population

Le Conseil scientifique propose une stratégie de sortie de confinement reposant sur :
1. Une identification des cas probables la plus large permettant un diagnostic précoce et la mise en oeuvre de mesures d’isolement ;

2. Une identification des contacts des cas diagnostiqués permettant de réaliser un dépistage systématique de la présence du virus, et un isolement en cas de positivité, y compris pour les personnes asymptomatiques ;

3. Des mesures systématiques de réduction des risques de transmission dans la population générale appliquées pendant plusieurs mois en fonction de la cinétique de l’épidémie, notamment le port d’un masque dans les lieux publics et le maintien des règles d’hygiène et de distanciation sociale ;

4. Des mesures spécifiques de contrôle de l’épidémie par sous-populations prenant en compte l’âge et la situation sociale ;

5. La réalisation à intervalle régulier d’enquêtes permettant d’estimer l’immunisation dans la population. Ces mesures peuvent être localisées en cas de détection d’un cluster.

6. La mise en place d’une communication ciblée sur les différents publics cibles

Avis n°6 du Conseil scientifique COVID-19, Sortie progressive de confinement prérequis et mesures phares, 20 avril 2020