01/10/2019

« La blouse tu porteras »

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Les notes de service enjoignant aux soignants de psychiatrie de porter la blouse se multiplient. L’impact clinique de cette mesure sur la relation soigné/soignant mériterait d’être étudié. Une argumentation théorique risquant d’être inaudible, l’auteur a imaginé une fable surréaliste (1) qui pousse le phénomène jusqu’à l’absurde.

Il faut moderniser notre système de soins et financer cette modernisation. Le développement de l’intelligence artificielle, d’une imagerie de plus en plus sophistiquée, de molécules constamment plus individualisées et d’un management enfin efficient nous donne un avant-goût de ce que devrait être le soin du XXIe siècle. Malgré tous les progrès accomplis, une discipline résiste encore : la psychiatrie. Qui supporterait le spectacle consternant de ces usagers livrés à eux-mêmes à peine canalisés par des soignants habillés comme leurs consœurs du début du XXe siècle ?

Une note de service parmi d’autres

Il fallait réagir et de nombreuses directions (des soins, des ressources humaines et générales) l’ont fait. On ne compte plus les notes de service destinées à rendre le port de la blouse ou de la tenue complète obligatoire.

Lisons une de ces notes de service affichée en 2018 dans un CHS de province : « Conformément au règlement intérieur et aux normes d’hygiène hospitalière, le port de la tenue professionnelle complète pendant le temps de travail est obligatoire. » (2) Voilà qui ne souffre aucune contestation. « Cette tenue est entretenue par le service blanchisserie de l’établissement et ne doit pas être emportée à votre domicile. » Profondément humaine et désireuse d’éviter tout risque psychosocial la direction n’exige plus que les soignants lavent eux-mêmes leur blouse. « Cette règle est applicable dans toutes les unités d’hospitalisation intra hospitalière adultes et concerne tous les professionnels affectés sur ces unités. » Une seule exception, la pédopsychiatrie : « Pour la pédopsychiatrie la règle est adaptée à chaque unité et précisée sur la fiche de poste. » Il existe aussi une exception relative : « Avec autorisation du cadre de santé de l’unité, le non-port de la tenue est admis pour les accompagnements et pour les sorties à l’extérieur de l’établissement. » Il convient de saluer cette souplesse et cette adaptation aux circonstances : lorsque l’on accompagne un patient à son domicile, à pôle emploi ou voter faut-il ou non revêtir la tenue complète ? Lorsque l’on prépare une sortie cinéma ou à la piscine avec un groupe de patients, faut-il les penser avec blouse ou sans ? De nombreuses discussions cliniques pourront en découler qui enrichiront le parcours de soin de chaque patient. Il n’existe évidemment pas de règles sans sanction : « Le non-respect de cette règle donnera lieu à un signalement à la DRH. »

Des tenues désuètes

Certains insisteront sur le caractère dérisoire de cette note. Je les entends s’exclamer : « Si c’est ça la modernisation du système de soin et de la psychiatrie ! ». Ils ont raison, bien sûr, mais il ne faut pas aller trop vite. À une mesure en succédera une autre puis une autre. Il ne s’agit que d’un premier pas. Bien timide. D’autres viendront.

Il faut bien convenir que ces blouses, ces tenues complètes viennent d’une autre époque. Des chercheurs les font remonter au Moyen Âge, aux robes de bure des nonnes. (3, 4) Comment notre psychiatrie (hyper)moderne peut-elle attifer ses soignants de vêtements aussi datés ? On souffrirait d’un burn-out à moins. Des soignants vêtus d’habits modernes, pratiques et qui les mettent en valeur sont des soignants qui vont bien, qui sont heureux au travail. Ils gagnent le respect des patients. On diminuerait ainsi les manifestations de violence. Moderniser le système de soin implique donc de moderniser la parure des soignants (le terme parure doit être préféré à ceux de « blouse » ou de « tenue », éviter à tout prix de parler « d’uniforme »).

Un appel d’offres pour moderniser nos tenues

Il convient donc de lancer un appel d’offres à destination des stylistes et des grands couturiers. Le cahier des charges sera élaboré par une commission de directeurs et quelques hygiénistes qui se réuniront au ministère de la santé.

Les soignants, eu égard à la diversité de leurs responsabilités, ne sauraient se contenter d’une seule parure. Il faut une tenue simple pour les toilettes et tous les soins qui impliquent un risque de souillure. Il en faut une autre pour tous les soins qui exigent une asepsie rigoureuse. Il en faut une autre pour les entretiens. L’hygiène hospitalière ne saurait tolérer que la même blouse soit utilisée pour une consultation et pour un change matinal. Lorsque le soignant, par ailleurs, sort de son unité de soin, il est en représentation, il véhicule l’image de l’institution, une parure spécifique doit donc être pensée. Doit-elle être la même que celle qu’il revêt pour accueillir les familles ? C’est sûrement un point qui fera débat. Chaque soignant aura ainsi un jeu de cinq parures qu’il endossera aux différents moments de la journée, en fonction de son activité. Ce sera un repère idéal pour les patients. Ils sauront qu’il ne faut pas demander un traitement si besoin à l’infirmière habillée avec sa parure de sortie.

La parure doit être genrée. Sans nous substituer aux stylistes, nous pouvons repérer qu’hommes et femmes ne portent pas leur tenue de la même façon, que les plis tombent différemment. Certaines tenues devront être cintrées. Le genre ayant explosé, il serait moderne d’avoir un type de parure par genre. Les infirmier.e.s « trans » aussi doivent pouvoir se sentir à l’aise dans leur blouse. Nous n’irons pas jusqu’à proposer la blouse « drag queen » comme certains ne manqueront pas de nous y inciter.

Les soignants en psychiatrie ayant à intervenir en cas d’agitation ou lors de mises en isolement/contention, il serait opportun de créer la tenue « robot-cop » renforcée aux épaules, aux coudes, aux genoux avec une coquille incorporée. Certains recommandent le port du casque et du gilet pare-balles. Nous disons attention : les soignants doivent rester des soignants. Dès que se manifestent les prémisses d’un état d’agitation, les soignants se rendent au vestiaire et revêtent leur tenue sécurisée. Le nombre d’accidents de travail liés à la violence devrait considérablement baisser.

Financer la modernisation du système de santé

Ces différents aménagements des parures des soignants auront un coût qu’il faudra financer. Ce point ne présente guère de difficultés. Ainsi que tout observateur attentif ne manquera pas de s’en rendre compte, la blouse blanche est immaculée, vierge de tout contenu. D’un point de vue communicationnel c’est un gigantesque gâchis. Attention, il ne s’agit pas de transformer nos infirmières en femme-sandwich. Elles ne ressembleront pas à des pilotes de course automobile. Un message d’éducation thérapeutique inscrit sur le dos de la parure compléterait fort à propos les contenus d’ETP. « Pensez à prendre votre traitement », « En cas de fringale, mangez une pomme », « Désobéissez à vos voix ». Le contenu des messages suivrait le déroulement des séances d’ETP. Chaque fois que l’infirmière tournerait le dos au patient, il lirait le message inscrit sur un scratch. Les personnes hospitalisées seraient naturellement réceptives à ces slogans qu’elles verraient plusieurs fois par jour. En termes de santé publique et de prévention de la récidive, les effets ne pourraient être que positifs.

Il est possible d’aller plus loin encore et de rentabiliser réellement l’opération. Plutôt que des messages de santé publique, les parures pourraient s’ouvrir à la publicité de marques. Attention, il y faudrait de l’éthique. Pas de réclame pour les armes, ni les voitures (en psychiatrie ou dans un service d’Urgence ce pourrait être contre-productif). Les messages pourraient présenter des applications utiles pour les usagers. Les patients étant souvent désargentés (AAH), les soignants pourraient relayer les messages de hard-discount. Je ne suis pas inquiet sur ce point, l’imagination des professionnels du marketing permettra sûrement de trouver des contenus susceptibles de capter les temps de cerveau, même fatigués, disponibles.

Il faut bien aborder la question du financement. Qui bénéficiera des revenus ainsi générés ? Les établissements naturellement. Les GHT sont parfaitement conçus pour discuter directement avec les entreprises. L’humanisation des hôpitaux en serait facilitée, les voitures utilisées par les équipes seraient remplacées plus régulièrement. Il serait même possible d’intéresser les équipes de direction qui recevrait un pourcentage de la manne générée. Recruter des soignants ne serait plus problématique, chaque nouveau soignant étant un support de promotion supplémentaire. Il faudrait évidemment accorder un défraiement (modeste) aux soignants. Une dizaine d’euros mensuels suffiraient à assurer la paix sociale. En tant que lanceur d’idée, je me contenterai d’un pécule modeste mais néanmoins conséquent d’une dizaine de milliers d’euros.

Pour moderniser notre système de soin sans que cela coûte un « pognon de dingue », il n’est besoin d’aucune révolution. Il suffit juste de s’adapter aux règles du marché.

Dominique Friard

1– VIAN (B), Le goûter des généraux, in Théâtre I, Editions 10/18, Paris, 1998. Ce texte doit beaucoup au joueur de trompinette.
2– Le CHS n’est pas cité par souci de ne pas jeter l’opprobre sur un établissement qui ne se distingue pas des autres en la matière.
3– LHEZ (P), De la robe de bure à la tunique pantalon : étude de la place du vêtement dans la pratique infirmière (1870-1990), Thèse de doctorat en sciences de l’éducation, soutenue en 1994, Bordeaux 2.
4– FRIDE (A), Charenton ou la chronique de la vie d’un asile, de la naissance de la psychiatrie à la sectorisation, Thèse de doctorat de 3ème cycle en psychologie. Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Université Paris V, 1983.

Pour ceux qui souhaitent aller plus loin sur les histoires de blouses et leurs effets sur les patients (white coat syndrom, white coat hypertension ou syndrome de la blouse blanche) :

– BARUS-MICHEL (J), Le réel institutionnel, in La thérapeutique institutionnelle existe-t-elle ? Psychiatrie française, 1988 ; 2 : 7-15.
– FRIARD (D), LEYRELOUP (A.M), LOUESDON (J), RAJABLAT (M), STOLZ (G), WINDISCH (M), Psychose, psychotique, psychotrope : quel rôle infirmier ?, Editions hospitalières, Paris, 1996.
– GERARD (J.L.), Infirmiers en psychiatrie : nouvelle génération, Editions Lamarre, Paris, 1993.
– GOFFMAN (E), Asiles : Etudes sur la condition sociale des malades mentaux, Paris, Editions de minuit, 1990.
– KAËS (R), Réalité psychique et souffrance dans les institutions, in L’institution et les institutions, Etudes psychanalytiques, Paris, 1988.
– HELVACI (M.R), SEYHANLI (M) (2006). « What a high prevalence of white coat hypertension in society!« . Intern. Med. 45 (10): 671–4.
– PARIZOT (S), L’institution vivante : mirage ou mythe ?, in Psychiatrie Française, 1988 ; 19 : 45-56.
– PICKERING (T), JAMES (G), BODDIE (C), HARSHFIELD (G), BLANK (S), LARAGH (J) (1988). How common is white coat hypertension?. JAMA. 259 (2): 225–8.
– RUXER J, MOZDZAN M, BARANSKI M, WOZNIAK-SOSNOWSKA U, MARKUSZEWSKI L. (October 2007). «  »White coat hypertension » in type 2 diabetic patients ». Pol. Arch. Med. Wewn. 117 (10): 452–6.

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