Un établissement condamné après le suicide d’un patient

N° 217 - Avril 2017
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La famille d’un patient qui s’était suicidé après avoir quitté l’hôpital sans prévenir a obtenu réparation. Pour le juge, l’absence de prescription d’anxiolytiques a constitué une perte de chance.

L’Établissement public de santé mentale (EPSM) du Morbihan vient d’être condamné à verser 256164 euros à la famille d’un patient en soins libres qui s’était suicidé dans les heures suivant sa sortie. Le tribunal administratif de Rennes (TA) (1) a en effet jugé que dans la situation, l’absence de prescription de médicament anxiolytique avait constitué une faute. Pour comprendre comment le juge se prononce sur la prescription médicale, revenons sur les faits et la décision du TA.

Responsabilité de l’établissement

Pour engager la responsabilité d’un établissement de santé, il faut convaincre le tribunal que trois éléments sont réunis : l’existence d’un fait dommageable, un lien de causalité permettant d’imputer la responsabilité à l’établissement et la démonstration de réalité des préjudices.
Suite à un passage à l’acte suicidaire, M. R., 36 ans, avait été admis en soins libres au sein d’une unité médico-psychologique. Trois jours plus tard, il avait quitté l’établissement sans prévenir et son corps avait été retrouvé le lendemain matin dans un étang proche de l’hôpital.
Pour la famille, une faute avait été commise. S’appuyant sur une expertise psychiatrique, le TA a décomposé chaque étape de la prise en charge et a tenu le raisonnement suivant : « Il résulte de l’instruction, et notamment du rapport final de l’expertise du 8 avril 2013, que M. R. souffrait d’une dépression probablement réactionnelle à la crainte de perdre son emploi depuis le mois de janvier 2006, que le diagnostic de cet état dépressif était clairement posé lors de son admission le 4 août 2006 à l’EPSM du Morbihan, et que l’importance de l’anxiété et l’existence d’idées suicidaires, dont souffraient l’intéressé, étaient connues de cet établissement; que selon l’expert, le choix de l’hospitalisation en service libre, dans une unité ouverte, était correct dès lors que l’intéressé avait fini par consentir aux soins et aucun défaut de surveillance ne peut être reproché à l’EPSM du Morbihan dans la mesure où la surveillance infirmière a été conforme aux pratiques professionnelles habituelles ; que, par ailleurs, le changement de médicament antidépresseur, prescrit lors de l’hospitalisation, était justifié compte tenu de l’inefficacité de celui administré auparavant par le psychiatre consulté par l’intéressé en juillet 2006; qu’en revanche l’expert relève le caractère discutable au regard des données actuelles de la science de l’absence de prescription d’un traitement anxiolytique de M. R. dès son admission le 4 août 2006, dès lors, d’une part, que l’intéressé venait de faire une tentative de suicide et présentait des troubles anxieux importants qu’une couverture anxiolytique initiale était susceptible de réduire, et, d’autre part, qu’un traitement antidépresseur, tel que celui mis en œuvre, même efficace, ne donne pas des résultats immédiats ; qu’ainsi, et alors même que M. R. aurait refusé un tel traitement, ce qui n’est pas établi en l’espèce, en s’abstenant de lui prescrire un médicament anxiolytique de nature à atténuer son anxiété et à diminuer les risques de passage à l’acte suicidaire, l’équipe médicale de l’EPSM du Morbihan a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l’établissement ».

Perte de chance

La lecture de ce considérant est particulièrement éclairante sur la manière dont le juge administratif procède par élimination pour déterminer l’existence d’une faute éventuelle dans l’organisation ou le fonctionnement d’un service.
– Il commence par vérifier si le mode d’hospitalisation retenu était adapté ou si l’état du patient imposait de basculer vers une hospitalisation sous contrainte (Soins à la demande d’un tiers, en urgence ou non [SDTU] ou pour péril imminent). Il est en effet parfaitement envisageable d’adapter les modalités de prise en charge en fonction de l’évolution de l’état du patient. Sur ce point, il existe une obligation de moyens à la charge des établissements.
– Ensuite, le tribunal examine la manière dont la surveillance du patient a été réalisée afin de déterminer si un défaut de vigilance peut être reproché à l’équipe.
– Enfin, il analyse la manière dont les prescriptions médicamenteuses ont été envisagées et rédigées. En défense, l’EPSM soulignait le refus du patient de prendre des anxiolytiques et la volonté des soignants de rechercher une alliance thérapeutique. Sur la base de l’expertise, et conformément aux conclusions du rapporteur public, le juge considère que compte tenu de la situation, « le médecin devait donc le prescrire, la circonstance que le patient était réticent ou risquait de ne pas prendre le médicament ne pouvant justifier l’absence de prescription ». Un traitement « proposé » au patient en soins libres dans une prescription écrite aurait permis à l’établissement de remplir ses obligations. L’absence de prescription d’anxiolytiques est donc un fait dommageable, de nature à faire perdre une chance de rétablissement au patient.
Cette affaire complexe est une nouvelle illustration de la judiciarisation de la psychiatrie et de la difficile conciliation entre l’éthique soignante et le droit.

Éric Péchillon, Professeur de droit public, Université Bretagne Sud

1– TA 16 mars 2017, Madame L. veuve R. contre EPSM du Morbihan, req. 1404240

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