L’Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique, soutenue par de nombreux signataires, formule dans un Livre blanc de la psychiatrie dix propositions « lucides, combatives et modernes ». Questions à Denis Leguay, psychiatre des hôpitaux (Angers), coordinateur de la rédaction de ce livre blanc.
Santé mentale : Quel est l’objectif de celivre blanc ?
Denis Leguay : Le Livre blanc (1), c’est d’abord une trame de propositions pour le système de soins psychiatriques. Ce travail est porté aujourd’hui par l’Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique (Idepp). Des personnalités
diverses et représentatives se sont associées à titre individuel à cette démarche, démontrant qu’il existe un fort consensus des acteurs sur le rôle de la psychiatrie dans la société, sur les « fondamentaux » à respecter et promouvoir, et sur le cadre et l’organisation qui doivent en découler. Les polémiques délétères auxquelles on assiste aujourd’hui, par exemple sur la question de la prise en charge des enfants autistes, et le premier bilan (plutôt frustrant) de l’application de la loi de juillet 2011(2), nous incitent à proposer un « contrat sociétal » entre tous les partenaires de la santé mentale.
S. M : Dans le contexte actuel du nouveau Plan psychiatrie et santé mentale (PPSM) 2011-2015, et dans l’hypothèse d’une loi de santé mentale promise par le candidat Hollande, où se situe le Livre blanc ?
D. L : Nous voulions formuler des propositions au moment même où s’élaborait le PPSM (3) tout en prenant position dans le débat électoral. Au-delà d’orientations générales et de propositions concrètes, comme le suggère le PPSM, nous souhaitons qu’une Loi de santé mentale vienne fixer un cadre, des objectifs, une organisation, et des moyens. Pourquoi une loi ? Parce qu’il y a urgence et que nous tenons à une mise en pratique. Par ailleurs, définir le rôle sociétal de l’appareil de soins psychiatriques relève de la loi. La principale question, soulevée d’ailleurs par la loi de juillet 2011 (3) et qu’il faut revoir, est celle des rapports et du rôle de la psychiatrie dans la problématique de l’ordre public.
S. M : Quel est l’esprit des propositions de ce livre blanc ?
D. L : Lucide, combatif, et moderne !
– Lucide : la psychiatrie est sinistrée et des besoins importants ne sont pas satisfaits. Depuis quinze ans, ses moyens ont diminué et les demandes ont explosé. Même si, avec la reconnaissance du handicap psychique, des relais de prise en charge sont en construction dans le champ du médicosocial, on est loin du compte. Un plan de rattrapage est indispensable, et ce serait l’honneur des gouvernants futurs de s’y atteler enfin.
– Combatif : il y a des solutions, les perspectives sont claires, les besoins peuvent être évalués, les acteurs sont inventifs et mobilisés. Mais il faut arrêter cette instrumentalisation des conflits de doctrine, auxquels se prêtent hélas encore quelques nostalgiques de luttes idéologiques dépassées. L’immense majorité des acteurs se retrouvent sur des valeurs, une vision intégrative des concepts, quelques principes d’organisation, le constat des réalités cliniques et le pragmatisme à y opposer.
– Moderne : il faut avancer. Cessons de dire qu’il nous manque seulement des moyens, et de cultiver une posture victimaire. Ne nous prêtons pas aux antagonismes stériles, il faut entendre les besoins de la société. Nous devons la convaincre que nous la défendons, en posant quelques conditions, comme l’indépendance des psychiatres en tant que « juges du besoin de soins », ou la reconnaissance de la dimension incontournable du registre psychodynamique. Enfin, il faut se fixer des objectifs de progrès. La psychiatrie est une discipline médicale, elle évalue ses résultats et recherche en permanence l’efficience. Elle peut définir des objectifs de réduction de la mortalité, de la morbidité, et se donner les moyens de les atteindre. Il faut sortir de cette culture fataliste, trop partagée par la société, et les représentations qu’elle nourrit, les pouvoirs publics et leurs contraintes économiques, et les professionnels et le découragement qui les a envahis.