Distance et proximité sont souvent en débat dès que le soin se fait relation. La plupart du temps, il s’agit, en fait, de la prise en compte, perçue comme embarrassante, d’une série d’éprouvés allant de la sensation au sentiment en passant par l’émotion. Ces termes soulignent une évidence : pas de prise de distance possible sans l’acceptation d’une certaine proximité, d’un partage d’affect qui nourrit l’empathie et la réflexion. Le souci actuel des institutions d’objectiver et de mesurer les pratiques soignantes afin de les rendre quantifiables risque toujours de repousser les émotions vers un registre qualifié de « subjectif », vite pensé comme une variable parasitant la dimension « rationnelle » et rigoureuse du soin. Pourtant, cette opposition ne tient pas. Le neuro-biologiste Damasio a depuis longtemps corrigé « l’erreur de Descartes » séparant l’esprit, la « chose pensante », du corps non pensant caractérisé par une « étendue » et des organes « mécaniques ». Damasio ré-ancre l’esprit dans le corps en étudiant les effets des pathologies neurologiques sur la perception des émotions et le développement d’une pensée et la capacité à effectuer des choix rationnels et assumés. Il souligne que c’est la perception des émotions et des sentiments qui fonde la capa- cité à produire des raisonnements et également des choix. Paradoxalement, selon Damasio, la « passion » nourrit la « raison ». Les « transmissions ciblées » se nourrissent de « transmissions sensibles », sans ressenti repérable, pas de possibilité de choix rationnel, pas de projet construit ajusté et viable.
Mais se saisir de son monde émotionnel au sein d’un cadre professionnel et de normes d’emploi collectives n’est pas toujours aisé. Le détour par l’autre, par autrui, pour se « réfléchir » dans son regard est bien souvent nécessaire… D’autant plus que les émotions diverses qui s’imposent à nous dans le cadre des soins psychiatriques ne sont pas forcé- ment les plus agréables à vivre, même si elles sont parfois incontournables. C’est dans ce registre qu’œuvrent pour partie les groupes d’analyse de la pratique et les supervisions collectives. Le travail groupal, qui interroge la dimension relationnelle et intersubjective du soin psychique, va soutenir l’expression et la transformation de cet ensemble sensible formé par des sensations, des émotions ou des sentiments, voire des passions… La mise en groupe en elle-même ne suffit pas : se reconnaître dans le vécu d’autrui avec ses différences est une étape qui sera la base d’une dynamique exploratoire des vécus de chacun.
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