22/08/2016

De l’électricité dans l’air…

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A son retour de vacances, Christophe retrouve un service où règnent une grande tension et de l’agressivité. La peur le saisit… Comment travailler avec ce sentiment ? Comment désamorcer l’explosion ?…

En cette fin du mois d’août, la chaleur est étouffante. En venant à l’hôpital dans ma vieille voiture sans climatisation, j’ouvre toutes les fenêtres pour supporter le court trajet. Le vent brûlant fouette mon crâne douloureux, sans apaiser la migraine. Je transpire à grosses gouttes, en tentant de me convaincre que j’épargne à la planète une climatisation assassine…
 
Une tension sourde
C’est le début de l’après-midi et le service transpire aussi. Il transpire la canicule mais aussi la tension, qui envahit l’espace, perce à travers les murs et les vitres, nous accablant tous.
Est-ce la chaleur ? La folie ? La tristesse d’un mois d’août à l’hôpital ? Le groupe de patients semble électrique, au bord de l’explosion. Les regards sont fuyants, préoccupés, noirs ; les attitudes contraintes, crispées et contractées. De petits groupes déambulent, le pas pressé, irrité. Des patients frappent avec une force et une impatience inhabituelles sur la porte du poste de soin pour quelques demandes, formulées avec un ton exaspéré. Nous sentons cette tension sourde, diffuse, l’équipe du matin l’évoque lors des transmissions, signalant une bagarre entre plusieurs patients, et quelques insultes à l’encontre des infirmières liées à quelques frustrations au cours du repas. Tous les usagers ne sont pas agressifs mais les plus virulents sont bien sûr les plus visibles. Nos collègues paraissent épuisés par cette matinée difficile et nous confient leurs sentiments de malaise, d’incompréhension et d’insécurité.
Ainsi, à peine arrivé dans le service, j’ai peur.
Le regard plongé dans le bleu du ciel à travers la grande baie vitrée, je regrette intensément la Normandie où je viens de passer quelques jours de vacances. Entre Évreux et Granville, sous la fraîcheur d’un temps plus clément, entre terres et mer, entre cathédrale et port de pêche, j’ai savouré le calme et la beauté de cette région. La chaleur de sa pluie, la douceur de son soleil. Sans mal de tête…
Comment reprendre le travail dans de telles conditions? J’ai chaud, j’ai mal et j’ai peur. Comment se risquer hors du poste de soin pour affronter cette lame surchauffée, ces patients agressifs, cette fièvre assommante?
 
« Et si nous allions nous immerger ?»
Ma collègue Germaine, également de retour de congés, perçoit mon trouble. Elle me connait maintenant depuis de nombreux mois et sait mes doutes, mes constantes rêveries, mes frayeurs. « Et si nous allions nous immerger, Christophe ? » me lance-t-elle. Nous immerger ? Je ne comprends pas tout de suite. Captant ces mots, mon esprit s’évade, loin de là. Je m’imagine plongeant dans l’eau froide de la Manche, tête la première, et nageant loin, le plus loin possible. L’eau glisse sur ma nuque puis le long de mon dos et, dans ma songerie, ma migraine disparait…
Mais Germaine m’extirpe de cet asile normand pour me ramener vers un autre. Nous allons nous asseoir dans la salle commune. Ma collègue s’intéresse à mes vacances, me posant cent questions, où suis-je allé, comment était-ce, qu’y ai-je fait, ai-je aimé? Puis elle me raconte les siennes. La situation est étonnante. Alors que je ruisselle de chaleur sous ma blouse, alors que la tension est à son comble à quelques mètres de nous, alors que je surveille du coin de l’œil les patients potentiellement menaçants, Germaine poursuit notre discussion, imperturbable. Elle semble insensible à cet environnement bouillonnant. Elle est fascinante, et terrifiante à la fois, car elle m’emporte. Mais elle vise juste.
Lentement, un à un, une petite dizaine des patients, des plus calmes aux plus agacés, tendent l’oreille, se rapprochent. Tranquillement, ils intègrent notre discussion, jusqu’à parler de choses et d’autres, de leurs vacances passées, de leur famille, de leur souffrance, de leur joie, de leur colère, et bien d’autres choses encore. Je ne vois plus le temps passer. C’est l’heure du goûter, que nous prenons ensemble tout en continuant à discuter.
Plus tard, Germaine m’entraîne vers la petite salle de télévision, où nous nous installons en silence. De longues minutes à regarder un programme sans intérêt. Jusqu’à ce que d’autres patients nous rejoignent. Encore. Puis nous parlons. Encore.
En fin d’après midi, la chaleur reste accablante mais les tensions semblent s’être envolées par je ne sais quel miracle, et je suis rassuré. Que s’est-il passé ?
 
Une fenêtre sur la rencontre
«Nous nous sommes immergés, m’explique Germaine. Nous sommes allés dans le feu du service, nous y sommes allés paisiblement, sans demande particulière envers les patients. Nous nous sommes juste assis tout près d’eux. Nous nous sommes rendus disponibles, à proximité, offrant ainsi la possibilité d’une rencontre. Le feu te faisait peur, Christophe, mais il brûlait nos patients. Alors, nous sommes venus représenter l’oasis, l’abri, la fenêtre dont ils pouvaient se saisir s’ils le souhaitaient, ou pas… Notre immersion parmi eux a ouvert un lien possible. Ils s’en sont saisis. Et c’est tant mieux.»
L’immersion comme une fenêtre que les patients peuvent ouvrir. Germaine précise encore que cette immersion est une fonction que nous pouvons mettre en œuvre sans qu’il n’y ait aucun feu, juste pour aller à la rencontre, à côté… Beaucoup d’autres éléments ont certainement contribué à apaiser les tensions, invisibles, imperceptibles, mais notre immersion en fait certainement partie. Ce jour là, la Normandie a été ma fenêtre, Germaine a été celle des patients.
Depuis, je repense souvent à cette immersion surréaliste avec Germaine, en terre brûlante, et à cette fenêtre que nous avons construite. Et, tensions ou pas, je m’immerge souvent dans le service auprès des patients, pour aller à leur rencontre.
En attendant le plongeon dans la Manche, fraîche et réconfortante.

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