22/12/2015

Magie de Noël…

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Noël approche à grands pas et, dans ce service fermé, un atelier «décoration de l'unité» est proposé à tous les patients. Beaucoup d'entre eux laissent libre cours à leur imagination pour fabriquer guirlandes, étoiles et autres boules de noël en polystyrène. L'ambiance est à la bonne humeur et à la nostalgie… jusqu'à ce que Christophe, l'infirmier, découvre qu'un paire de ciseaux a disparu…

Une âme d’enfant…
Notre service accueille une vingtaine de patients hospitalisés sous contrainte et reste fermé jour et nuit. Ce temps de création est un moment d’évasion apprécié par la plupart des malades qui ne peuvent pas sortir, certains depuis longtemps.
Est-ce la magie de Noël? Autour des tables, assis en cercle, les uns à côté des autres dans la convivialité, nous oublions un temps nos différences de statut, entre ceux qui portent la blouse blanche, et ceux qui ne la portent pas. Nous sommes tous à cet instant-là de grands enfants émus qui replongent des années en arrière pendant quelques heures. Il ne manque plus que la neige.
Malheureusement, peu de temps après, le bel esprit de cette journée disparait. En effet, malgré les mille lumières, les couleurs vives et les nombreux reflets qui illuminent désormais le service, mes illusions s’envolent et une forme de noirceur m’envahit soudainement. Car une paire de ciseaux a disparu.
Notre vigilance a-t-elle été endormie par notre excitation fébrile devant tous ces papiers brillants, ces étoiles de crépon et ces rubans éclatants? Mon incapacité honteuse à produire une quelconque guirlande qui ressemble à une guirlande a-t-elle troublé mon esprit? Quoi qu’il en soit, il nous manque un outil coupant, probablement subtilisé par un patient, et l’heure est grave. Il est impensable, dans ce type d’unité, de laisser un objet potentiellement dangereux à la portée de tous et nous devons absolument le retrouver.
 
La situation est grave
Je regroupe les patients peu avant l’heure du dîner pour tenter de récupérer l’objet du délit. Mais le seul tranchant que je ressens est celui des remontrances acérées de ceux qui ne comprennent pas mes évocations de sanctions en cas de non-retour des ciseaux. En effet, avec une maladresse évidente, je fais preuve d’une fermeté certainement malvenue en voyant que le groupe reste muet et l’outil introuvable. J’ai ainsi, sans le vouloir, déclenché les foudres des dix-neuf patients qui n’ont rien volé et qui ne comptent pas souffrir de quelques sanctions par la faute d’un vingtième, coupable lui du méfait.
J’explique la gravité de la situation et la possibilité que nous avons de procéder à des fouilles dans les chambres ou de mettre en place des restrictions de liberté dans le quotidien du service, comme par exemple la suppression de certains ateliers. Mais mes mots produisent l’effet inverse de celui attendu.
Pris dans une subite tempête de tension et quelques insultes diffuses, comme un imprévu blizzard de décembre, je peine à calmer les esprits déçus voire ulcérés par la tournure désastreuse des choses.
Et, alors que les guirlandes semblent danser sous le souffle de colère qui embrase lentement le groupe de patients, je me souviens de mes lointains Noëls en Ariège, dans les Pyrénées…
Je revois les veillées impatientes, les nuits agitées, les réveils pressés et les courses folles de l’enfant que j’étais vers les cadeaux le matin. Je me souviens de l’odeur du sapin et des étoiles dans mes yeux.
Ces mêmes étoiles ont brillé dans les yeux des patients, quand ils confectionnaient avec patience et méticulosité les décorations que je viens d’éteindre. Je n’aurais pas aimé moi-même qu’à l’époque quelqu’un vienne m’enlever ces étoiles comme je viens de le faire aux patients.
Nous avons perdu les ciseaux, la tension grandit dans le service, les guirlandes sont belles, et il ne neige toujours pas.
 
Comment récupérer les ciseaux ?
Finalement rien ne change. Nous restons des enfants émerveillés quand Noël approche, et tristes quand il s’éloigne. Seuls quelques cheveux blancs nous rappellent les années passées. Ces maudits cheveux blancs que l’on découvre un par un, et avec émotion chaque matin, toujours un peu plus nombreux…
Germaine, comme un miracle, est à nouveau venue m’aider.
En quelques mots, elle apaise tout le groupe et dédramatise la situation, en promettant qu’il n’y aurai aucune sanction pour personne. Puis elle sort fumer quelques cigarettes avec les patients pendant de longues minutes.
Une nouvelle fois, je m’étonne de la légèreté avec laquelle ma vieille collègue appréhende les situations qui m’inquiètent au plus haut point.
Que va-t-il advenir de cette paire de ciseaux? Comment Germaine va-t-elle gérer cette problématique?
Quelque temps plus tard, ma collègue a réussi à récupérer les ciseaux. J’en suis presque sidéré.
 
Tout en douceur…
Plus tard, Germaine m’a tout expliqué. Ce jour-là, elle a continué à échanger avec les patients de Noël, des leurs et du sien et elle a tenté de les rassurer et de les apaiser. Puis elle leur a simplement dit ses inquiétudes quant aux ciseaux perdus et son besoin de les retrouver pour être plus sereine.
Deux patients, apparemment touchés et dans une très bonne relation avec elle, sont alors allés convaincre l’auteur du larcin, qu’ils connaissaient, de rendre l’objet. Ce dernier voulait découper des draps pour en faire des ceintures à tous les patients aux pantalons trop larges… Mais pour Germaine, avait-il dit, il avait rendu les ciseaux.
«Christophe, peut-être as-tu été trop catégorique quand tu leur as parlé. Peut-être as-tu crispé les esprits de quelques-uns. Je leur ai demandé la même chose que toi, mais en douceur et sans tension de ma part. J’ai passé du temps auprès d’eux et ils m’ont rendu les ciseaux», m’explique Germaine.
Elle a raison. Elle n’évoque que le lien. Ce lien que je la vois créer et entretenir depuis son premier contact jusqu’au dernier avec chaque patient, mais aussi pendant les situations de crise comme cela a été le cas ce jour-là. «En douceur et sans tension…»
Ce n’est pas toujours facile mais depuis cette journée, j’essaie d’être doux et sans tension, en toute circonstance. J’essaie, pour l’esprit Noël, pour la neige qui ne tombe pas toujours, pour Germaine, pour les patients, mais aussi pour moi, grand enfant avec des cheveux blancs.