Soins psychiatriques sans consentement : trop « d’atteintes aux droits des patients »

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En France, en 2022, 285 947 personnes majeures ont été hospitalisées à temps plein en psychiatrie, dont 76 000 sans leur consentement. La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté pointe de nombreuses atteintes à leurs droits et propose 27 recommandations pour les aider à mieux accéder aux moyens de recours.

Une semaine après un avis portant sur la situation des mineurs, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), Dominique Simonnot, a évalué, dans un rapport publié jeudi 11 décembre, l’effectivité du contrôle juridictionnel de l’hospitalisation sans consentement dans les établissements psychiatriques. Elle constate « de nombreuses atteintes aux droits des patients, en particulier concernant leur liberté d’aller et de venir et le recours à des mesures d’isolement et de contention hors du cadre strict défini par le Code de la santé publique ». Certains dysfonctionnements s’expliquent, « au moins en partie, par la crise que traverse aujourd’hui la psychiatrie française », note-t-elle, « s’agissant tant de conditions d’accès dégradées, de la pénurie de moyens ou encore d’inégalités territoriales ».

 « La formation des soignants en matière de droits des patients est très limitée, il en résulte que l’information des patients est souvent très incomplète » – la CGLPL.

« La vulnérabilité des patients ne favorise pas leur défense »

Les mesures d’isolement et de contention sont soumises au contrôle du juge. Il s’agit de mesures de « dernier recours (…) destinées à prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou pour autrui », rappelle Dominique Simonnot. Si la généralisation de ce contrôle (en 2022) a favorisé le « développement d’une réflexion sur le recours à ces mesures » et une « diminution des pratiques abusives », elle n’a contribué « que très imparfaitement à la protection des patients », déplore-t-elle.

Le rapport pointe une situation qui, là encore, « varie considérablement » sur le territoire, « entre établissements, et même au sein d’un même établissement ». Autre constat : « des formes de contraintes échappent encore à tout cadre légal et au contrôle du juge ». Le cas des urgences, où « les contraintes imposées ne sont pas contrôlées » est en cela emblématique. De même, « l’isolement et la contention des mineurs sont pratiqués sans base légale et sans contrôle ». Si, en psychiatrie, la majorité des enfants sont hospitalisés en « soins libres » à l’initiative des titulaires de l’autorité parentale, parmi ceux qui sont admis en soins sans consentement, le rapport constate « un grand nombre de contraintes ainsi qu’un usage massif de l’isolement et dans une moindre mesure, de la contention ». (L’insuffisante protection des mineurs a fait l’objet d’un avis publié au Journal officiel le 4 décembre 2025 ). Enfin, le placement en unité de soins intensifs en psychiatrie (USIP) échappe lui-aussi « à tout cadre et à tout contrôle ».

« Des formes de contrainte échappent encore à tout cadre légal et au contrôle du juge » – Dominique Simonnot

27 recommandations

Le rapport avance 27 recommandations (voir ci-dessous) pour mieux protéger le droit des patients, et préconise notamment de leur permettre de se saisir plus aisément de leurs moyens de recours, tout en reconnaissant les difficultés du terrain : « Une attention spécifique doit être portée aux modalités de délivrance de l’information. Il est nécessaire de délivrer celle-ci aux patients et à leurs proches à différents moments de l’hospitalisation, pas seulement au moment où la mesure est prise, de manière collective (affichage) et individualisée (remise d’un livret d’accueil accompagnée d’explications). Le ministère de la santé pourrait mettre à disposition des établissements des ressources librement accessibles en ligne pour l’information des patients et des familles ».

Le rapport met également en avant la nécessité de mieux former les soignants et de spécialiser certains juges et avocats. Il appelle par ailleurs à saisir la justice pour rechercher la responsabilité des établissements en cas de « conditions indignes d’hospitalisation », pour les responsabiliser et faire avancer la réflexion. Afin de « combler les lacunes du droit » notamment pour les mineurs, ou encore dans certains lieux, les urgences et les unités de soins intensifs en psychiatrie, le rapport appelle à « mettre fin au recours à l’isolement et à la contention hors du cadre de l’hospitalisation sans consentement ». Pour faire reculer ces pratiques, le taux de recours à la contention et à l’isolement pourrait ainsi devenir un « indicateur contraignant » influant sur le financement des établissements. « Si la très grande complexité du sujet et de ses enjeux, tout comme les contraintes particulièrement fortes qui pèsent tant sur les services de psychiatrie, de pédopsychiatrie et d’urgences que sur les juridictions, ne doivent aucunement être sous-estimées, elles ne peuvent justifier l’absence d’évolution de la situation », conclut le rapport qui appelle de manière générale à une plus grande prise en compte des droits des patients dans le cadre de la procédure de contrôle juridictionnel existante ainsi qu’au déploiement d’une politique ambitieuse de moindre recours aux soins sans consentement et aux mesures d’isolement et de contention.

Le dossier de presse Effectivité des voies de recours en psychiatrie de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté est accessible en ligne.

Publié aux éditions Lefèbvre-Dalloz, le rapport détaillé est disponible en librairie. Il sera mis en ligne en intégralité sur le site internet du CGLPL à compter du 22 janvier 2026 (délai conventionnel de six semaines en accord avec l’éditeur).

Synthèse des recommandations 
- Recommandation 1 . Accompagner la remise de documents d’information écrits par des explications, fournies de préférence par un membre de l’équipe soignante. 
- Recommandation 2. Lors de la notification de la décision d’admission ou de maintien en soins sans consentement, remettre aux patients les certificats médicaux qui fondent cette décision ainsi que la liste de leurs droits, sur un support qu’ils peuvent conserver. 
- Recommandation 3 
Mettre à disposition des établissements de santé et du public des ressources pour l’information des patients sur leurs droits, en plusieurs langues, expliquant de manière simple leurs droits aux patients hospitalisés sans consentement. 
- Recommandation 4 
Mettre en place un suivi des avis de non-auditionnabilité, s’agissant du contrôle juridictionnel tant des mesures d’hospitalisation complète que des mesures d’isolement et de contention, ainsi qu’une remontée des données correspondantes. 
- Recommandation 5 
Ne recourir aux systèmes de télécommunication pour les auditions dans le cadre du contrôle des mesures d’isolement et de contention que lorsque l’état du patient fait obstacle à sa présentation au juge. 
- Recommandation 6 
Réintroduire un magistrat dans la composition des commissions départementales des soins psychiatriques afin de leur conférer une plus grande légitimité sur le terrain juridique. 
- Recommandation 7 
Introduire un représentant du bâtonnier dans les commissions départementales des soins psychiatriques. 
- Recommandation 8 
Assurer l’attractivité des fonctions de membres de la commission départementale des soins psychiatriques. 
- Recommandation 9 
Généraliser les conventions organisant la concertation entre établissements hospitaliers et juridictions et associer les barreaux à ces échanges. 
- Recommandation 10 
Généraliser la transmission dématérialisée des documents entre les établissements hospitaliers et les juridictions par une plateforme conforme aux exigences du code de procédure civile et du code de la santé publique dans le cadre des instances liées aux mesures d’admission en soins sans consentement et aux mesures d’isolement et de contention. 
- Recommandation 11 
Définir une procédure applicable en cas de fugue du patient hospitalisé sans son consentement. 
- Recommandation 12 
Relancer les travaux du comité de suivi et lui confier, notamment, l’amélioration et l’actualisation, le cas échéant, des outils et supports suivants, essentiels pour assurer la formation continue des différentes parties prenantes : les formulaires d’information et de saisine du juge judiciaire ; les fiches réflexe à destination du juge judiciaire ; l’élaboration et la diffusion régulière d’un socle documentaire pratique à destination, d’une part, des juridictions, d’autre part, des établissements de santé, enfin des juridictions et des établissements de santé. 
- Recommandation 13 
Diffuser l’ensemble de ces outils et supports tant aux établissements de santé qu’aux juridictions, afin d’assurer un niveau d’information uniforme de tous les acteurs de la procédure. 
- Recommandation 14 
Accompagner de manière proactive la spécialisation des juges et la création d’une véritable filière de juges spécialisés en contentieux des soins sans consentement et des mesures d’isolement et de contention. 
- Recommandation 15 
Diffuser les bonnes pratiques inspirées des barreaux pilotes en matière de soins sans consentement et d’isolement et de contention. 
- Recommandation 16 
Généraliser les permanences dédiées pour les soins sans consentement et pour l’isolement et la contention, avec une formation spécifique des avocats. 
- Recommandation 17 
Conférer aux bâtonniers un droit de visite des établissements de santé mentale habilités en soins sans consentement à l’instar de celui qui leur est reconnu pour les autres lieux de privation de liberté. 
- Recommandation 18 
Instaurer un statut légal du mineur hospitalisé en psychiatrie garantissant le respect effectif de ses droits fondamentaux et conforme en tous points aux stipulations de la Conventoin internationale des droits de l’enfant. 
- Recommandation 19 
Décompter toute mesure d’isolement et de contention appliquée aux urgences dès sa mise en oeuvre au titre d’une part des soins sans consentement, d’autre part de l’isolement et de la contention. Si à la suite d’une telle mesure le patient n’est pas placé en soins sans consentement, indemniser le préjudice né d’une contrainte illégale.
- Recommandation 20 et 21. Évaluer les USIP existants et en établir un état des lieux précis, définir par voie réglementaire leur cadre juridique. 
- Recommandation 22 
Recenser et évaluer les mesures mises en oeuvre pour contribuer à l’objectif de moindre recours à l’isolement et à la contention et identifier les financements correspondants. 
- Recommandation 23 
Mettre en place un pilotage ministériel de la politique de réduction du recours à l’isolement et la contention intégrant un véritable plan de formation de l’ensemble des soignants intervenant auprès de patients en soins sans consentement et une démarche de parangonnage sur les pratiques d’hospitalisation sans consentement, d’isolement et de contention au plan international. 
- Recommandation 24 
Prendre en compte des indicateurs quantitatifs portant sur le taux ou la baisse du recours aux mesures d’isolement et de contention pour fixer le montant de certaines dotations versées aux établissements. 
- Recommandation 25 
Intégrer des indicateurs quantitatifs portant sur la baisse du recours aux mesures d’isolement et de contention dans les critères impératifs de certification des établissements par la Haute autorité de santé. 
- Recommandation 26 
Mobiliser la procédure prévue par l’article L. 6122-13 du code de la santé publique en cas de non-respect de l’obligation, prévue par les conditions techniques de fonctionnement, de disposer d’espaces d’apaisement et de chambres d’isolement dignes. 
- Recommandation 27. Développer des outils nationaux de suivi des mesures d’isolement et de contention.