Avec son rapport « Promotion de l’alcool : les réseaux sociaux, un nouveau Far West », l’association Addictions France partage des résultats très préoccupants sur l’exposition des jeunes au marketing de l’alcool via les réseaux sociaux. 79% des 15-21 ans déclarent en effet y voir des publicités pour de l’alcool toutes les semaines. L’association plaide pour interdire cette démarche et ainsi aligner la réglementation sur celle en vigueur pour la télévision et le cinéma.
Un contexte préoccupant
En France, la consommation d’alcool, bien qu’en baisse depuis plusieurs décennies, reste à des niveaux préoccupants. Selon Santé Publique France, plus d’une personne sur cinq a une consommation excessive d’alcool. En janvier 2024, l’OFDT a publié des chiffres sur la consommation des adolescents : près de 15% des élèves de 4e et 3e et plus d’un tiers des jeunes de 17 ans ont connu un épisode de binge drinking1 dans le mois précédent l’enquête2. Ce niveau de consommation n’est pas anodin : 1er facteur d’hospitalisation, 2ème cause de mortalité évitable, 2ème facteur de risque de cancer et de mortalité routière, implication dans le développement de 200 maladies… Consommer de l’alcool comporte des risques et engendre un coût pour la société estimé à 102 milliards d’euros par an3.
Des mesures de prévention insuffisantes
Pour réduire les risques et les dommages liés à ces consommations, l’Organisation mondiale de la santé préconise 4 mesures de prévention jugées « coût efficace » : réduire l’accessibilité de l’alcool aux mineurs ; agir sur le prix de l’alcool ; faciliter le repérage des consommations à risques par les professionnels de santé ; encadrer strictement la promotion de l’alcool. L’adoption de ces recommandations doit permettre de créer un environnement favorable à la santé, notamment pour les plus jeunes. Pour limiter les dommages liés à l’alcool, il s’agit en effet de retarder le plus possible l’âge des premières consommations, plus susceptibles d’entrainer des consommations importantes à l’âge adulte. Des jeunes de plus en plus exposés à la promotion de l’alcool sur les réseaux sociaux. En France, depuis 1991, la loi Evin encadre le marketing de l’alcool : elle régit le contenu de ces publicités et limite les supports de diffusion afin de préserver, notamment les plus jeunes, de l’incitation à boire. Alors que la publicité sur Internet n’avait pas été prévue à l’origine, elle a fini par être autorisée en 2009, permettant la diffusion de publicités sur les réseaux sociaux alors même que plus de 80% des adolescents et des jeunes adultes, plus influençables, sont présents sur ces plateformes.

Les influenceurs à la manoeuvre
Entre promotion de l’alcool par les influenceurs, développement de contenus attractifs associant l’alcool à une émotion positive et algorithmes ciblés, le marketing de l’alcool est devenu omniprésent, interactif et disponible en permanence. En deux ans et demi, les associations Avenir santé et Addictions France ont relevé plus de 11 300 contenus valorisant l’alcool sur les réseaux sociaux. Addictions France, qui a étudié finement ces contenus, constate que :
– les marques et les influenceurs incitent à consommer4 ;
– les réseaux sociaux permettent aux marques de pousser les frontières de la créativité pour créer des concepts de publicités toujours plus attractifs5 ;
– l’incitation constante à la consommation d’alcool entrave les actions de prévention en direction des jeunes, sujet sur lequel le Gouvernement s’était engagé à agir6.

Les travaux d’Addictions France montrent les limites du cadre actuel de régulation. Il est aujourd’hui impossible d’avoir connaissance de tous les contenus alcool diffusés sur les réseaux. Alors que ces publications touchent des millions de personnes, c’est seulement après leur diffusion, et quand le mal est déjà fait, que des actions sont envisageables, avec un succès limité. Rappelons que la loi du 9 juin 2023 encadrant l’activité des influenceurs n’a pas interdit le marketing de l’alcool sur les réseaux sociaux. Du côté des plateformes, qui portent une responsabilité dans les contenus qu’elles hébergent, les dispositifs mis en place pour signaler les contenus illégaux apportent des résultats en demi-teinte : Instagram n’a pas supprimé 45% des contenus qui lui ont été signalés.
Du côté de la justice, les procédures lancées par Addictions France sont longues et, lorsqu’une sanction est prononcée, elle est peu dissuasive. Les réseaux sociaux continuent donc de constituer une zone de non droit, un « Far West » qui permet une exposition massive des jeunes aux contenus valorisant l’alcool. C’est pourtant ce que la loi Evin cherchait à éviter. Selon l’EHESP, 79% des 15-21 ans déclarent voir des publicités pour de l’alcool toutes les semaines sur les réseaux sociaux. Selon une autre enquête de l’OFDT, 23% avouent que ces publicités leur ont donné envie de boire.

Ce que demande Addictions France
Au regard des travaux menés par Addictions France, une seule conclusion s’impose : interdire la promotion de l’alcool sur les réseaux sociaux et ainsi aligner la réglementation sur celle en vigueur pour la télévision et le cinéma. Cette mesure apparait aujourd’hui comme la seule à même d’éviter l’incitation à la consommation auprès de populations particulièrement vulnérables. En complément, une véritable réflexion autour de l’applicabilité de la loi devra être menée. Si l’interdiction formelle de diffuser de la publicité en faveur de l’alcool sur les réseaux sociaux permettra de prévenir la diffusion de ces contenus, un arsenal renforcé de mesures pour contrôler les contenus et sanctionner les contrevenants à la loi devra également être mis en place.
1- Le Binge drinking ou l’alcoolisation ponctuelle importante (API) consiste à boire au moins 5 verres d’alcool lors d’une même occasion.
2- Les usages de substances psychoactives chez les collégiens et lycéens – Résultats EnCLASS 2022, OFDT, Janvier 2024
3- OFDT, « Le coût social des drogues : estimation en France en 2019 », juillet 2023.
4- Karine Gallopel-Morvan, Jacques-François Diouf, Nicolas Sirven, Erell Guégan, “Influence des messages en faveur de l’alcool diffusés sur les réseaux sociaux.Une expérimentation sur 1917 jeunes français de 15-21 ans”, mai 2023
5- Barry AE, Bates AM, Olusanya O, Vinal CE, Martin E, Peoples JE, et al., “Alcohol marketing on Twitter and Instagram : evidence of directly advertising to youth/adolescents.” Alcohol Alcohol. 2015.
6- Voir la Stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et les Conduites Addictives.
• « Promotion de l’alcool : les réseaux sociaux, un nouveau Far West », septembre 2024, rapport Association Addictions France.