Hôpital public Beaujon, Clichy. Le service de psychiatrie ne compte plus qu’un seul psychiatre. Le Dr Jamal Abdel Kader s’efforce, au mépris des impératifs de rendement et du manque de moyens, de prendre le temps et de rendre leur voix à ses patients. Mais comment soigner dans une institution malade ? Le film documentaire « État limite » du réalisateur Nicolas Peduzzi, en alignant son point de vue sur celui d’un psychiatre, fait des troubles psychiatriques un traitement plus distancié mais dont la charge sociale et politique résonne douloureusement avec l’actualité. En salle le 1er mai prochain.
« Il y a quatre ans, explique Nicolas Peduzzi, la crise sanitaire a révélé l’ampleur du mal-être de l’institution, mais les causes de la gangrène étaient évidemment plus profondes. J’ai voulu les interroger, comprendre où et comment s’était ouvert la brèche, et je me suis mis à filmer le quotidien des soignants de l’hôpital Beaujon. Là, j’ai rapidement rencontré Jamal, figure indispensable et controversée. Indispensable : c’était le seul médecin psychiatre de l’établissement ; controversé ; malgré sa jeunesse, malgré tout son amour pour l’hôpital, il travaille vent debout contre les évolutions drastiques de l’institution, qui contredisent frontalement ses valeurs humanistes. Chaque jour, baskets aux pieds, il gravit et dévale à l’infini les escaliers de fer, courant d’un service à un autre et d’un chevet à un autre. Jamal, c’est Sisyphe, et Beaujon sa montagne« .

« Je me suis efforcé de filmer l’hôpital public tel qu’il est vécu par ceux qui le peuplent, médecins et patients confondus, et tel que je l’ai moi-même perçu au fil de mes mois d’immersion : comme une institution crépusculaire. »
Et de poursuivre : « Jamal est un personnage à part, hors du commun, dostoïevskien, un peu border en fait, qui substitue au monde tel qu’il est, le monde tel qu’il voudrait qu’il soit. Le problème, c’est que le réel menace toujours de le rattraper. C’est son corps qui a donné l’alerte le premier : une douleur lombaire s’est installée au fil des semaines. Et avec la douleur, le doute. Le film soulève ainsi le masque de confiance affiché par Jamal pour révéler ses doutes : a lui aussi, il semble parfois que les lignes ne bougeront pas assez vite, et que l’épuisement, la solitude, le manque de reconnaissance et le découragement finiront par avoir raison de sa vocation« .
« État Limite raconte évidemment quelque chose de la psychiatrie, mais il touche plus généralement à l’état de l’hôpital public en France. Le constat que fait Nicolas, comme Jamal, comme tous ceux qui choisissent de tendre l’oreille aux alertes de ses professionnels, c’est que l’institution se meurt. »

Jamal Abdel-Kader
Fils de médecins syriens établis en France, Jamal Abdel-Kader a grandi dans les couloirs de l’hôpital public. C’est là qu’il se sent chez lui, là qu’il a décidé de poursuivre sa vocation de psychiatre. Depuis 5 ans, il exerce en tant que médecin de liaison dans des hôpitaux publics parisiens. L’essentiel de sa patientèle se compose de personnes affectées de maladies génétiques graves, de personnes en fin de vie, de rescapé.e.s de tentatives de suicide exigeant un suivi quotidien et personnalisé. En parallèle, il forme de futur.e.s soignant.e.s à la pratique délicate de la psychiatrie.
• Etat limite, lm documentaire de Nicolas Peduzzi, 2023 – 102 min, en salle le 1er mai 2024.