Un malade chronique sur six discriminé au travail

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Selon le 16e baromètre sur la perception des discriminations dans l’emploi, une personne sur six atteintes de maladies chroniques est confrontée à une discrimination. Plus de 73 % d’entre elles reconnaissent avoir traversé une période où leur santé mentale s’est dégradée et une proportion importante de moins de 35 ans déclarent des discriminations en raison de maladies psychiques (dépression, anxiété chronique).

Ce baromètre vise à rendre compte des discriminations telles qu’elles sont perçues et vécues par les personnes atteintes de maladie chronique dans l’emploi et mieux appréhender les enjeux qui y sont associés. Il s’intéresse :

  • à la fois aux discriminations spécifiques liées à l’état de santé ou au handicap et à d’autres formes de discriminations, d’inégalités ou d’attitudes hostiles qui peuvent y être fréquemment associées [partie I].
  • Les conséquences (professionnelles, émotionnelles, psychologiques et sociales) de l’état de santé et des discriminations sur les personnes font également l’objet d’une attention particulière [partie II].
  • Enfin, si elle concerne tous les acteurs et actrices de l’organisation, la gestion de la maladie chronique au travail interroge plus particulièrement le rôle des services de prévention et de santé au travail [partie III] et les responsabilités et obligations des employeurs et employeuses [partie IV].

Perception et expériences de discrimination dans l’emploi des personnes atteintes de maladie chronique

  • Une personne active sur dix déclare avoir été témoin de discrimination ou de harcèlement discriminatoire lié à l’état de santé et/ou au handicap au cours de son parcours professionnel.
  • Environ une personne sur six atteintes de maladie chronique a été confrontée à une discrimination ou un harcèlement discriminatoire en raison de son état de santé ou de son handicap.
  • Les personnes ayant une maladie visible ont trois fois plus de risques d’avoir été confrontées à une discrimination ou un harcèlement discriminatoire en raison de l’état de santé ou du handicap que celles avec une maladie invisible ; celles qui connaissent des limitations dans leurs activités habituelles du fait de leur maladie ont quatre fois plus de risques d’être discriminées que celles qui n’en ont pas.
  • Plus de 4 personnes actives atteintes de maladies chroniques sur dix déclarent avoir vécu au moins une situation de discrimination ou de harcèlement discriminatoire, tous critères confondus, dans le cadre de sa recherche d’emploi ou de sa carrière, contre environ un cinquième du reste de la population, soit une fréquence 2 fois plus
    importante.
  • 55 % des personnes malades déclarent avoir vécu une situation de harcèlement moral dans l’emploi, contre 35 % pour le reste de la population active.
  • 30 % des personnes malades ou reconnues handicapées rapportent avoir été confrontées, lors d’entretiens de recrutement, à des propos stigmatisants contre 13 % du reste de la population active.
  • Les conditions d’emploi (le fait d’être à temps partiel et de se sentir souvent isolé au travail), la catégorie socioprofessionnelle ainsi que la pénibilité du métier sont corrélées au fait d’être exposé à une discrimination en raison de l’état de santé ou du handicap.
  • Par rapport au reste de la population active, les personnes atteintes d’une maladie chronique victimes de discrimination dans l’emploi se tournent significativement plus que les autres vers la médecine du travail (17% contre 8%), le référent handicap et l’inspection du travail (9% contre respectivement 3% et 4%).

Quels impacts sur les trajectoires professionnelles et les individus ?

  • Seulement la moitié des malades ont informé leur employeur ou supérieur hiérarchique de leur état de santé et, parmi ceux qui ne l’ont pas fait, 40 % déclarent avoir peur des répercussions négatives (sanctions, mesures
    de représailles, perte de confiance, crainte d’une redistribution des tâches sur d’autres collègues) sur leur travail ou d’un changement d’attitude de la part de leur entourage professionnel.
  • Lors d’une candidature pour un poste, plus de la moitié des malades ne parlent jamais de leur problème de santé : un tiers d’entre eux se taisent par peur d’un refus d’embauche.
  • Lors de la recherche d’un emploi, 59 % des personnes atteintes de maladie chronique se sont autocensurées en ne répondant pas à une offre d’emploi qui correspondait pourtant à leurs compétences, contre 34 % pour le reste de la population active.
  • Parmi les personnes déclarant que leurs problèmes de santé ont eu des conséquences sur leur emploi, la moitié rapportent des répercussions négatives susceptibles d’être constitutives d’une discrimination : licenciement, non-renouvellement du contrat ou mesures de représailles, dégradation des conditions de travail, changement d’attitude de l’entourage professionnel, blocages dans les possibilités d’avancement, difficulté à trouver un emploi stable.
  • Un tiers environ des personnes atteintes d’une maladie chronique doutent ou ne pensent pas que leur état de santé leur permettra d’exercer le même poste d’ici deux ans, contre 16 % du reste de la population active.

Notons qu’une proportion élevée de jeunes âgés de moins de 35 ans déclarent des discriminations en raison de maladies psychiques (dépression, anxiété chronique). Depuis quelques années, et notamment depuis la crise sanitaire, la prévalence des épisodes dépressifs a connu en France une accélération sans précédent et la progression la plus importante a été observée chez les jeunes adultes de 18 à 24 ans

La discrimination ou le harcèlement discriminatoire ont également des répercussions durables et importantes sur la santé mentale des personnes qui en sont victimes : plus de 73 % des malades chroniques ayant vécu une discrimination reconnaissent avoir traversé une période où leur santé mentale s’est dégradée (tristesse, fatigue, dépression). Comme le soulignent Huillier et Waser (2016), ces conséquences émotionnelles et psychiques tiennent pour les personnes concernées à la « double peine », celle qu’impose la maladie et celle liée aux discriminations et plus largement au traitement social de la maladie dans le cadre professionnel.

« Je n’ose pas parler de ma dépression et de mon anxiété et j’invente une autre maladie plus physique. » 

« J’ai pris des anxiolytiques. J’ai pris énormément de poids, et la DRH me dit que c’est lié à mon jour supplémentaire de télétravail ! J’ai quand même pris 10 kilos, et mon médecin m’a dit, non c’est l’angoisse permanente, de devoir en permanence m’expliquer, me justifier, contester. » 

Autre constat, 47 % des personnes actives malades ont déclaré hésiter à livrer des informations à leur médecin du travail, car ils ne le connaissent pas et ne l’ont pas choisi. Malgré les craintes, les préconisations de la médecine du travail sont généralement bien accueillies par les salariés concernés : 78 % d’entre eux approuvent les recommandations formulées par le médecin. Cependant, 29% des salariés atteints d’une maladie chronique ne bénéficient pas d’un aménagement alors qu’ils en auraient besoin, et dans près d’un tiers des cas, l’employeur ne suit pas les préconisations de la médecine du travail.

« 30 % des personnes malades ou reconnues handicapées rapportent avoir été confrontées, lors d’entretiens de recrutement, à des propos stigmatisants contre 13 % du reste de la population active ». 

Les discriminations dans l’emploi s’accompagnent souvent de situations de dévalorisation : remarques ou « blagues » déplacées, sous-occupation, attribution de travail inutile ou sans lien avec les compétences de la personne, dévalorisation injuste du travail, remise en cause de la maladie ou du handicap… 

« 40 % des personnes malades dont les problèmes de santé sont connus de leur employeur et de leur supérieur ne bénéficient du soutien et de la compréhension ni de l’un ni de l’autre« . 

Les résultats de l’étude appellent donc les acteurs du secteur à se mobiliser. La Défenseure des droits souhaite :

  • réaffirmer le principe de non-discrimination dans l’accès à l’emploi des personnes atteintes de pathologies chroniques.
  • renforcer les dispositions légales en matière de lutte contre les discriminations fondées sur l’état de santé ou le handicap.
  • corriger les effets délétères de la réforme des pensions d’invalidité à l’égard de certains assurés qui se trouvent, en raison de leur état de santé et de leur handicap, limités dans leurs perspectives d’évolution dans l’emploi, voire empêchés de poursuivre leur activité professionnelle à hauteur de leur capacité de travail, ce en contradiction avec les principes et droits reconnus par la CIDPH.
  • souligner l’importance d’une bonne évaluation de la pénibilité des métiers, les maladies chroniques d’origine professionnelle touchant avant tout les ouvriers et les employés. En conséquence, elle recommande aux pouvoirs publics de mettre en oeuvre une politique volontariste de prévention renforcée des emplois les plus à risque, notamment dans les secteurs employant une part importante de salariés non qualifiés.
  • promouvoir une approche globale et collective de la prévention de la santé au travail et de la lutte contre les discriminations liées à l’état de santé ou au handicap.
  • souligner l’importance pour chaque employeur de rendre l’obligation de formation des recruteurs instituée par la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté pleinement effective et d’y intégrer les enjeux liés aux maladies chroniques et aux discriminations fondées sur l’état de santé et le handicap
  • encourager les employeurs, privés comme publics, à mener régulièrement des campagnes internes de sensibilisation et de formation pour améliorer l’information sur les enjeux de santé et les aménagements au sein des organisations.
  • considérer les capacités et les ressources des individus plutôt que leurs limitations ou restrictions d’aptitudes, favoriser le dialogue et la coordination entre les acteurs du maintien dans l’emploi et les salariés dont la santé est fragilisée, mettre en place des dispositifs de recueil et de traitement des signalements de discrimination ou encore identifier les bonnes pratiques respectueuses des droits fondamentaux des personnes malades ou handicapées.
  • renforcer les moyens dédiés aux acteurs clés de la prévention de la santé au travail et de la lutte contre les discriminations, afin notamment de consolider le droit au recours des salariés (médecin d u travail et Inspection du travail)
  • créer des conditions favorables afin d’encourager l’expression des besoins d’aménagements par les salariés et agents souffrant d’une maladie chronique
  • Enfin, au-delà des enjeux de prévention, d’accompagnement et d’aménagement dans l’emploi, la Défenseure des droits recommande aux pouvoirs publics de prendre les mesures appropriées pour « sortir de la précarité les personnes malades ou handicapées qui, en raison de leur maladie ou handicap, ne peuvent subvenir à leurs besoins, en leur garantissant un revenu d’existence adéquat pour leur permettre de participer pleinement et effectivement à la société sur la base de l’égalité avec les autres. »
En France, depuis la loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la maladie chronique est reconnue comme un handicap. Ainsi, les personnes atteintes d’une maladie chronique peuvent bénéficier de la protection juridique offerte aux personnes en situation de handicap contre toutes formes de discrimination. Or, seule une minorité de personnes font les démarches pour obtenir une reconnaissance administrative de la qualité de travailleur handicapé (RQTH).

16e baromètre sur les discriminations dans l’emploi : « Concilier maladies chroniques et travail : un enjeu d’égalité », Défenseur des droits et Organisation Internationale du Travail, 8 décembre 2023. (PDF)