Julie, 17 ans, entre furtivement dans le bureau et s’assied en face de moi en regardant ses pieds. « Je ne sais pas bien pourquoi je suis venue…». C’est sa mère qui lui a demandé de prendre rendez-vous, « pour vérifier que tout va bien ». La jeune fille raconte avoir eu « une période difficile » deux ans auparavant. Elle avait fugué, se trouvait « nulle » et manquait beaucoup de confiance en elle. La psychologue de son lycée et son médecin généraliste l’avaient aidée à « mettre les choses à plat », et la vie avait repris son cours. Pourtant, Julie est là aujourd’hui.
« C’est spécial… »
Face à son silence, je pose des questions, sur ses études, sur ses camarades. Élève studieuse en première générale, Julie raconte qu’elle n’a pas beaucoup d’amis mais qu’ils sont un vrai soutien : « Avant, j’avais plein de copains mais ce n’était pas moi qui les avais choisis. Maintenant j’ai fait le tri et je préfère avoir en moins mais de vrais amis. »
Quand j’en viens à sa famille, je perçois un malaise, même si la jeune fille s’exprime très facilement. « Vous savez, c’est spécial, j’ai été adoptée. On m’a trouvée bébé au bord d’une route, au Sénégal, et les policiers qui m’ont récupérée m’ont emmenée à l’orphelinat. Je n’en ai aucun souvenir, et il n’existe aucune trace de ma famille biologique. Plus tard, j’ai été adoptée par ma mère et j’ai toujours vécu en France, je ne suis jamais allée dans mon pays d’origine. » Je restitue à Julie que je comprends ses questionnements sur ses racines. « Il y a aussi autre chose, j’ai deux mères, et elles sont blanches. En primaire, c’était compliqué pour moi. Les autres enfants m’interrogeaient sur ma couleur de peau, me demandaient pourquoi j’avais deux mères et où était mon père. Je disais que je ne savais pas et on se moquait de moi. Mes mères ont essayé de faire des recherches sur mon parcours mais elles n’ont rien trouvé, elles ont fait ce qu’elles ont pu. »
Je demande à Julie si elle a des frères et sœurs. Elle m’explique qu’elle a une grande sœur, Lou, 19 ans, adoptée elle aussi. Lou est très proche de ses mères. « En fait, j’ai l’impression qu’elles rient ensemble et je me sens toujours exclue. Toutes les trois, elles me reprochent de faire la gueule, de rester à l’écart et de ne pas faire des jeux en famille par exemple. Moi j’ai besoin de mon espace. Ma grande sœur a une chambre contiguë à la mienne et quand elle invite ses copines, elle met la musique à fond, ce qui m’empêche de travailler. Si je me plains, ma mère rit et me conseille de m’installer dans la cuisine. Elle me dit que c’est important d’avoir des copines et ne comprend pas que je n’invite jamais personne. Moi j’ai honte. Mes mères se disputent souvent. J’ai arrêté d’inviter des amis par honte. Ma grande sœur s’en fiche et elle dit que c’est normal et que tout le monde se dispute. »
Julie se plaint de ne pas avoir suffisamment d’autonomie. « Dès que je veux faire quelque chose, mes mères le font à ma place. Elles vérifient mon emploi du temps et mon sac d’école. Elles viennent s’installer dans ma chambre quand je suis au téléphone avec des amis et restent là à m’écouter. Qu’est-ce que je dois faire pour qu’elles me respectent, est-ce qu’il faut que je refasse une dépression ou que je fugue pour qu’elles comprennent que j’ai besoin d’air?
– Vous avez essayé de leur dire fermement de sortir, par exemple en les accompagnant vers la porte?
– Non, je n’ose pas élever la voix devant elles. Je n’ai pas l’habitude. Elles me regarderaient bizarrement. Vous savez, moi je suis la gentille, celle qui portait les sacs de tout le monde à l’école. Je ne sais pas dire non. »
Pour l’aider à considérer ses ressources, j’interroge Julie sur ce qu’elle voudrait vraiment, sur ce qui pourrait faire évoluer la situation. « Je ne sais pas. Je voudrais juste que mes mères me laissent vivre ma vie. J’aimerais bien avoir plus confiance en moi, faire des expériences sans ma famille, comme les filles de mon âge. Mais j’ai l’impression que je ne suis pas intéressante, que les autres me jugent. »
Trouver sa place…
Le but de ce premier entretien infirmier est d’évaluer les besoins des jeunes. Julie ne présente pas de symptômes dépressifs et n’a pas besoin de voir un psychiatre. En revanche, un soutien psychologique lui serait certainement bénéfique. Elle a besoin d’être épaulée pour construire sa personnalité de jeune adulte et trouver son chemin et sa place dans une dynamique familiale compliquée. Cette fois, mon rôle se bornera à cette écoute, et à une orientation, par exemple vers un thérapeute libéral ou vers la Maison des adolescents, structure d’accompagnement éducatif et psychologique pour les jeunes et leurs parents.
Virginie DE MEULDER
Infirmière, consultation jeunes adultes Nineteen, GHU Paris