Soins sans consentement : le juge n’a pas à « jouer au docteur »

N° 277 - Avril 2023
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Pour apprécier la justification d’une mesure d’hospitalisation complète, le juge des libertés et de la détention doit se fonder sur les éléments médicaux disponibles, sans y substituer sa propre appréciation.

Confirmant l’autonomie limitée du juge des libertés et de la détention (JLD) par rapport aux différents certificats et écrits médicaux qui lui sont soumis, un arrêt récent de la Cour de cassation (1) mérite attention. Il précise que lorsque les conclusions des psychiatres certificateurs convergent sans réserve dans le sens d’une nécessité de maintenir des soins sous la forme d’une hospitalisation complète, le juge judiciaire est en quelque sorte lié par ces « paroles expertes » et ne peut apprécier si une mainlevée pour un motif « clinique » serait néanmoins opportune et justifiée.

Le juge n’a pas à porter d’appréciation médicale
Le 15 janvier 2021, une femme est admise en soins psychiatriques sans consentement en hospitalisation complète, à la demande de son père. La mesure est ensuite « allégée », un programme de soins étant privilégié durant plusieurs mois. En novembre 2021, une rechute conduit à une réadmission en hospitalisation complète, décidée par le directeur d’établissement. Ce dernier saisit le JLD deux jours plus tard aux fins de statuer sur la prolongation de la mesure, en application de l’article L. 3211-12-1 du code de la santé publique.
En appel, le premier président décide par ordonnance de lever l’hospitalisation, avec effet différé dans les 24 heures (2). Le juge constate certes que l’ensemble des éléments médicaux nécessaires à la procédure se prononcent pour la poursuite de l’hospitalisation complète sous contrainte. Pour autant, une mainlevée en faveur d’un programme de soins lui paraît adaptée à la situation de l’intéressée, « qui a déjà passé de longs mois au sein de l’hôpital ». Relevant que les permissions de sortie se sont révélées positives, il estime qu’une telle mainlevée à effet différé permettrait à l’hôpital de mettre en place un programme de soins dans l’intérêt de la patiente, lui laissant ainsi la possibilité de poursuivre ses études, en dépit de sa pathologie chronique dont elle semble, à l’audience, désormais consciente.
Ce raisonnement est censuré par la Cour de cassation, qui précise que « lorsqu’il est saisi sur le fondement du second texte, aux fins de se prononcer sur le maintien de l’hospitalisation complète d’un patient, le juge doit examiner le bien-fondé de la mesure au regard des éléments médicaux, communiqués par les parties ou établis à sa demande, sans pouvoir porter une appréciation d’ordre médical ». Le premier président ne pouvait ainsi lever la mesure tout en constatant « que les certificats médicaux, dont le caractère régulier et circonstancié n’était pas contesté, se prononçaient tous en faveur du maintien de l’hospitalisation complète ». La liberté du JLD d’apprécier si les conditions d’une hospitalisation à la demande d’un tiers sont réunies apparaît ainsi très réduite.

Quel périmètre d’intervention du juge ?
Ce n’est pas la première fois que la Cour de cassation cantonne ainsi le pouvoir des juges du fond. Dans une affaire antérieure, à propos d’une admission pour motif de péril imminent, la première chambre civile (3) a ainsi affirmé que le juge ne saurait dénaturer le contenu des certificats médicaux, ni substituer sa propre appréciation aux psychiatres certificateurs pour évaluer l’aptitude du malade à consentir aux soins (en particulier si ce consentement est fiable et stable), en se fondant notamment sur les déclarations du patient à l’audience (4).
Rappelons qu’aux termes de l’article L. 3212-1, I du code de la santé publique, l’admission à la demande d’un tiers, comme celle fondée sur l’existence d’un péril imminent, supposent en effet un double constat : d’une part, la présence de troubles mentaux rendant impossible le consentement du malade ; d’autre part, un état mental imposant des soins assortis soit d’une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit d’une surveillance médicale régulière par la mise en place d’un programme de soins. Dans l’arrêt du 8 février 2023, c’était cette fois l’appréciation de la seconde condition qui était en cause, plus précisément l’existence de troubles mentaux de nature à justifier une hospitalisation complète.

L’utilité du contrôle du JLD en question
La position de la Cour de cassation suscite autant d’interrogations qu’elle apporte de réponses : quel est le domaine exact et quelles sont les justifications de ce monopole médical en psychiatrie, sur l’appréciation de la capacité à consentir ou sur la nécessité d’une hospitalisation complète, et au-delà (5) ? Surtout, quelle est l’utilité du contrôle du JLD lorsque le magistrat apparaît à ce point tenu par le raisonnement médical dans l’appréciation des conditions légales de la mesure d’admission ou de maintien en soins sans consentement ?

Paul Véron,
maître de conférences en droit privé à l’université de Nantes, Laboratoire Droit et changement social (UMR 6297).

1– Civ., 1re, 8 février 2023, n° 22-10.852.
2– CSP, art. L. 3211-12-1, III.
3– Civ., 1re, 27 septembre 2017, n° 16-22.544.
4– Soins sous contrainte : évaluer la capacité à consentir. P. Véron, Santé mentale, n°261, octobre 2021.
5– V., M. Couturier, M. Grimbert, L’office du juge dans le contrôle des soins psychiatriques sans consentement : d’un juge relai à un juge prescripteur ?, Revue générale de droit médical, n° 85, décembre 2022, p. 23.