La loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge a créé, à côté de la demande émanant du représentant de l’État et de la demande d’un tiers, un troisième motif d’admission du patient en soins psychiatriques sans consentement, le « péril imminent ». La caractérisation de l’urgence permet ainsi au directeur d’établissement de prononcer l’admission du malade sans demande d’un tiers, lorsqu’il s’avère impossible d’obtenir cette demande dans un délai utile.
En pratique, cette modalité d’admission apparaît adaptée pour les personnes isolées ou lorsque la famille ne souhaite pas faire la demande. Le Code de la santé publique exige toutefois que la famille ou les proches du patient soient informés à bref délai. Ainsi, « le directeur d’établissement (…) informe, dans un délai de vingt-quatre heures sauf difficultés particulières, la famille de la personne qui fait l’objet de soins et, le cas échéant, la personne chargée de la protection juridique de l’intéressé ou, à défaut, toute personne justifiant de l’existence de relations avec la personne malade antérieures à l’admission en soins et lui donnant qualité pour agir dans l’intérêt de celle-ci » (1) .
Dans une affaire récente, aux termes d’une décision du 26 octobre 2022 (2), la Cour de cassation précise que le refus exprimé par le patient que sa famille soit informée de son hospitalisation contrainte constitue une « difficulté particulière » de nature à déroger à cette obligation d’information.
- Examiner le refus exprimé du patient
En l’espèce, le directeur du Centre hospitalier reprochait au juge d’appel d’avoir prononcé la mainlevée de la mesure au motif que l’établissement n’aurait pas justifié de diligences suffisantes pour informer la famille. Selon lui, le magistrat ne pouvait statuer ainsi alors qu’il avait constaté, via la fiche de recherche des personnes de l’entourage, dans les 24 heures de l’admission, que l’établissement n’avait pas pu procéder à cette information, le patient refusant tout contact avec sa famille et s’y opposant catégoriquement. Pour le directeur, l’opposition du patient constituait un obstacle légal à l’information de l’entourage (3).
La Cour de cassation accueille l’argument et censure le raisonne- ment du premier président de la Cour d’appel. Selon elle, « constitue une difficulté particulière, au sens de ce texte, le fait, pour la personne qui fait l’objet de soins psychiatriques sans consente- ment, de refuser que sa famille soit informée de cette mesure dès lors qu’en application [de l’article L.1110-4 du code de la santé
publique], la personne a droit au respect du secret des informations la concernant. Pour décider de la mainlevée de la mesure de soins, après avoir constaté que, lors de son admission, M. [I] se trouvait en errance, après avoir été mis dehors par ses parents, éprouvait un sentiment de persécution envers sa famille et avait exprimé son refus de faire prévenir celle-ci, l’ordonnance retient que le directeur établissement n’a pas fait toute diligence pour informer une per- sonne de l’entourage (…). En statuant ainsi, sans tirer les conséquences légales de ses constatations desquelles il résultait qu’en raison du refus exprimé par M. [I] d’une information de sa famille, le directeur d’établissement se trouvait en présence d’une difficulté particulière, le premier président a violé le texte susvisé ».
Notons que la Cour de cassation fonde ici sa solution sur l’article L.1110-4 du Code de la santé publique, disposition de droit commun qui consacre le droit de toute personne prise en charge au respect de sa vie privée et au secret des informations la concernant. Faut-il en déduire que le patient admis en soins sans consentement bénéficie d’un véto et que son refus serait de nature à faire systématiquement obstacle à l’information légale- ment prévue ? Une lecture plus prudente et pragmatique de l’arrêt pourrait être privilégiée. Le refus du patient permettrait certes au directeur d’établissement de déroger à son obligation d’informer la famille, mais il ne devrait être respecté qu’autant qu’il ne serait pas incompatible avec l’intérêt du malade, souvent fragilisé sur le plan psychique.
Ainsi, en présence d’un conflit familial ou lorsque l’information de la famille risquerait d’entraver l’alliance thérapeutique entre le patient et les soignants, il serait légitime de prendre en compte l’opposition du patient et de la respecter. En l’espèce, le patient avait été rejeté par sa famille dans un contexte conflictuel et se sentait persécuté par celle-ci. Le traitement de ses angoisses invitait alors peut-être, dans ce cas particulier, à respecter son souhait.
Paul Véron
Maître de conférences à la faculté de droit de Nantes,
Laboratoire Droit et changement social (UMR 6297).
1– CSP, art. L. 3212-1, II, 2°, al. 2.
2– Civ., 1re, 26 octobre 2022, 20-23.333.
3– Relevons qu’en l’espèce, le directeur de l’établissement avait, à l’occasion de l’appel de la décision de mainlevée, demandé à la Cour de cassation de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à la compatibilité de l’obligation d’in- formation de la famille avec le droit du patient au respect de sa vie privé et du secret médical. La Cour a cependant refusé de transmettre cette QPC. V., Civ., 1re, 8 juillet 2021, n° 20-23.333.