« J’ai l’impression d’être en cage »

N° 273 - Décembre 2022
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Après un premier épisode psychotique, Myriam, 19 ans, tente de reprendre le cours de sa vie... Un entretien familial houleux est l’occasion de remettre à plat le quotidien.

Myriam, 19 ans, a vécu un premier épisode psychotique durant l’été, qui l’a conduit en hospitalisation. Un traitement neuroleptique a alors été mis en place, que le psychiatre évalue régulièrement. La jeune fille bénéficie également pour deux ans d’un case management infirmier (1), pour l’aider à reprendre le cours de sa vie, à accepter le diagnostic et à éviter la rechute.
En terminale, la jeune fille prépare un bac professionnel de vente. Avec le psychiatre et l’infirmière scolaire, nous avons instauré un projet d’accueil individualisé pour lui permettre de recommencer progressive- ment les cours et les stages, d’abord la matinée puis petit à petit la journée entière quand elle se sentira prête.
Myriam vit avec ses parents et ses deux sœurs plus jeunes, dont elle partage la chambre. Elle rapporte beaucoup de conflits familiaux. Depuis l’hospitalisation, ses parents, très inquiets, ne lui font plus confiance. Alors qu’elle allait et venait libre- ment auparavant, ils ne laissent pas sortir. Elle se sent infantilisée et aimerait travailler rapidement, ouvrir une boutique pour vendre les bijoux qu’elle fabrique et vivre seule dans un studio pour être autonome.

Très démunis face aux premiers symptômes de leur fille – l’expression d’un délire de persécution –, ses parents l’avaient emmenée au Maroc voir un guérisseur, ce qui a retardé l’entrée dans les soins. L’état de la jeune fille s’était encore détérioré. À son retour à Paris, elle avait perdu 10 kg et refusait de se nourrir. Les parents ont finale- ment appelé les Pompiers et Myriam a été dirigée vers l’hôpital psychiatrique.

Myriam « ne respecte rien »

À la demande de Myriam, je la reçois sou- vent avec ses parents. Ce matin-là, la jeune fille entre en souriant dans mon bureau, tandis que sa mère s’installe sur le côté, l’air fermé. Le père m’explique d’emblée que les conflits entre ses trois filles ont augmenté car Myriam « ne respecte rien ». Elle utilise les vêtements de sa petite sœur sans le lui demander, ne range pas ses affaires… Myriam se défend : « Pour moi, on partageait tout, elles prennent aussi des choses dans mon armoire! Je ne comprends pas, depuis mon hospitalisation, mes sœurs me regardent mal, elles me manquent de respect. La plus jeune m’a dit : “Cet été, on devait te faire manger à la petite cuillère et maintenant tu veux nous donner des ordres!” C’est très violent pour moi, je ne suis pas une malade, une folle, je prends mon traitement et je suis redevenue comme avant! Mes parents me surveillent et m’appellent sans cesse sur mon portable dès que je sors 5 minutes pour savoir où je suis, c’est insupportable ! »

La mère, qui travaille comme femme de ménage, nous jette un regard noir : « Myriam n’a aucune reconnaissance pour tout ce que j’ai fait pour elle quand elle était malade. Moi je travaille tous les jours, je me lève tôt et je ne dors pas la nuit tellement je suis inquiète pour elle. Elle ne respecte pas mon travail, ne fait pas le ménage dans sa chambre alors qu’elle est la plus grande et que c’est son rôle d’aînée. En plus elle prend mes vêtements sans me demander alors que ça porte le mauvais œil.»

Myriam se rapproche de son père et secoue la tête. Elle crie son désarroi: «Depuis que je suis revenue à la maison, j’ai l’impression d’être en cage. Tout le monde me surveille, je n’ai plus de liberté, je n’ai pas le droit d’aller voir des copines. J’ai menacé mes parents de sauter par la fenêtre pour qu’ils me laissent un peu sortir le week-end, je n’en peux plus, j’étouffe, j’ai besoin d’air ! » J’interviens pour tenter de reformuler le dis- cours de chacun. J’évoque la soif de liberté de Myriam, et surtout le besoin que ses parents lui fassent à nouveau confiance; la fatigue de la mère, avec l’importance de respecter les règles de la maison, les espaces et les affaires de chacun.

Je souligne aussi à quel point le rétablisse- ment, après un premier épisode psycho- tique, passe par le soutien de la famille et les félicite de venir nous voir pour régler les conflits. Je pointe les progrès de Myriam, qui, même si elle veut être « libre », a besoin de la vigilance et du soutien de ses parents pour reprendre une vie normale, se construire, et devenir une jeune femme indépendante. Des compromis sont trouvés, chacun s’apaise un peu.

Le choc de la maladie

Après l’entrée dans la maladie psychique, forcément traumatisante, il est capital d’accueillir les membres de la famille durant le suivi ambulatoire pour recueillir leur vécu, expliquer les symptômes, décoder avec eux les manifestations de la maladie, déstigmatiser. Ce sont souvent eux qui repèrent les premiers signes de changement et, si nous avons noué un bon contact, qui peuvent nous alerter si le jeune ne va pas bien…