Le soleil de trop près, premier film de Brieuc Carnaille, sort en salle le 28 septembre 2022. À sa sortie d’hôpital psychiatrique, Basile, atteint de schizophrénie, se réfugie chez sa sœur Sarah. Elle est sa seule famille et sa plus grande alliée pour se reconstruire. Aussi flamboyant qu’instable, Basile parvient à trouver du travail et rencontre Élodie, une jeune mère célibataire : il se prend à rêver d’une vie « normale »…
Entretien avec le réalisateur Brieuc Carnaille (extrait du dossier de presse, propos recueillis par A.-C Cieutat)
Au centre de votre film, il y a ce lien étroit entre un frère et une soeur. Cette relation a-t-elle présidé à votre écriture ?
Ce qui m’a mis en mouvement en tant que réalisateur est la rencontre avec mon comédien, Clément Roussier. Le soir où je l’ai rencontré pour la première fois, je l’ai écouté parler sans savoir qu’il était acteur et j’ai instantanément eu envie de
travailler avec lui et de reprendre pour lui le scénario que j’étais en train d’écrire. Ce fut un vrai coup de foudre artistique. Cette histoire d’une fratrie qui fait face à la schizophrénie m’était très intime et je craignais qu’elle le soit trop pour que je puisse en faire un premier film. Or, en envisageant Clément dans ce rôle, il m’a semblé que je pouvais trouver la justesse et la légèreté nécessaires pour la raconter. J’ai écrit le rôle de Basile pour lui.
Qu’est-ce qui vous a harponné à ce point chez Clément Roussier la première fois que vous l’avez rencontré ?
J’ai toujours fonctionné à l’instinct. J’ai été percuté par le regard et par la musicalité de Clément. Il y a chez lui autant de fantaisie que de profondeur, et une vraie singularité. Clément me fait aussi penser à Belmondo, il a un corps, quelque chose de très physique. Le choix de Marine Vacth pour jouer sa soeur s’est fait en miroir de cela : je cherchais quelqu’un de plus posé, qui puisse lui tenir tête en un regard ; Marine a cette grande présence immédiate, une vraie intensité.
Le personnage de Basile semble habité par une grande part d’enfance. Tout un champ lexical dans vos dialogues y réfère, où il est question de pirate, de magicien…
Sans doute parce que j’ai toujours été intéressé par la sensation de solitude au sein du cercle familial. Je traite là de la schizophrénie paranoïde, qui se déclenche le plus souvent lors d’un épisode traumatique. Là, c’est le décès des parents qui a déclenché la maladie de Basile. Sa petite soeur, Sarah, se retrouve dès lors dans la position des parents. C’est ce rapport inversé qui m’intéressait. Basile se comporte comme un enfant, d’où le champ lexical que vous soulignez. Il est resté ancré dans l’enfance et c’est lorsque Sarah comprend que Basile n’est pas capable de la laisser s’envoler vers l’âge adulte et devenir mère qu’elle prend finalement de la distance. Confrontée à l’usure, elle surpasse le poids de la culpabilité.
Les mots « schizophrénie » et « schizo » ne sont prononcés pour la première fois que tard dans le film. Avant cela, un doute subsiste quant à sa pathologie…
Ce qui m’intéressait, c’est que ce soit Basile qui prononce ces mots. En cours d’écriture, je me suis rendu compte à quel point la schizophrénie était une maladie méconnue, au point qu’il est mal compris qu’un malade soigné puisse se comporter normalement. C’est pourquoi j’ai ajouté les grammages de médicaments, qui apparaissent à l’écran, et des séquences entre Basile et son médecin pour rendre cette maladie plus concrète.
Ces incrustes génèrent aussi une tension dans votre dramaturgie…
C’est le rapport entre le réel et la fiction qui m’intéresse avant tout. C’est pourquoi j’ai décidé de montrer les hallucinations de Basile, qui sont le pilier de toute ma réflexion : je voulais donner à comprendre que ces hallucinations sont réelles pour Basile, et fictives pour le spectateur. Or, cette maladie, par rapport à d’autres, reste non seulement méconnue, mais elle est source de fantasmes. Il y a toute une zone de flou qui l’entoure et qui la rend presque fictive de ce moment, la maladie devient tangible, bien réelle pour tout le monde. Cela m’a intéressé de jouer avec cette zone de flou et avec le fait que Basile devient inquiétant dès lors que le nom de sa maladie est prononcé et que le grammage de ses médicaments est affiché à l’écran.
La tension provient aussi du fait que Basile ne dit pas la vérité sur sa maladie à sa compagne…
En générant cette tension psychologique, j’ai voulu jouer avec le poids de la culpabilité du spectateur, qui aura eu plus peur que de raison pour l’entourage de Basile quand il craque dans la dernière partie. Confronter ainsi le spectateur à son rapport à cette maladie. Là encore, j’aime jouer avec la frontière poreuse entre le réel et la fiction, entre le fantasme et le concret des choses.

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Au-delà de sa pathologie, Basile a aussi quelque chose d’un personnage transgressif, qui vient bouleverser l’ordre établi. Il n’est pas anodin de filmer un homme qui sème le trouble dans des lieux de travail, comme dans la station-service ou l’espace de télémarketing…
Il y a évidemment quelque chose de jubilatoire à filmer un personnage qui ne se comporte pas comme tout le monde, à condition toutefois que cela reste juste, et c’est là où le talent de Clément Roussier est précieux. Ce qui m’intéresse, c’est de filmer Basile comme une anomalie dans notre société. Or, je suis convaincu que la société fonctionne grâce à ses anomalies. Le fait de savoir que certaines personnes sont capables d’exploser comme le fait Basile est très réconfortant. Elles sont nécessaires à l’équilibre du monde, car ces personnes qui craquent permettent à celles qui résistent de se sentir plus fortes. En souffrant plus que la moyenne, ces individus souffrent pour le monde.
Ce que vous dites apparente presque Basile à un personnage christique…
Il en est un, en quelque sorte. Lorsque Basile se dresse sur la table dans l’espace de télémarketing, il cherche la hauteur, prononce un grand discours et dans le même temps, fait tout un laïus sur l’auriculaire, sur ce qui est petit en nous. Basile est surtout un homme à la marge. Il sort de l’hôpital, mais comme il peine à s’intégrer au monde tel qu’il est fait, il s’approche de la contre-allée et du monde du petit banditisme qu’il fréquente. Comment se soigner si on n’est pas accepté dans la société ? Il est impossible aujourd’hui pour un schizophrène d’avouer sa maladie dans un système comme le nôtre. Et c’est malheureusement la raison pour laquelle, comme Basile, la grande majorité des malades arrêtent leur traitement dès qu’ils se sentent mieux ; ces traitements qui, au-delà de provoquer de lourds effets secondaires, les ramènent à leur état de malade d’une maladie inavouable.

Vous portez un regard très humaniste sur votre personnage…
Je crois ferme que les malades schizophrènes éclairent notre société. Tous ceux que j’ai côtoyés portent un regard sur le monde que je n’ai trouvé chez personne d’autre. C’est très important de comprendre que ces personnes sont nécessaires. Les gens dits « normaux » auraient beaucoup à gagner à se nourrir de leur regard sur l’existence. Leur rapport au temps et à la poésie est très fort et inspirant, par exemple. Notre société a construit notre rapport au réel, mais qu’est-ce que le réel, finalement ? Pour ma part, je trouve la perception des choses qu’ont les schizophrènes
très réconfortante.
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