Outre les contestations sur les mesures de restriction de liberté, le contentieux de la psychiatrie découle majoritairement du suicide (ou de sa tentative) d’une personne et de dommages subis par le patient ou causés à des tiers à la suite d’une sortie sans autorisation (SSA) (voir à ce sujet Fugue d’un patient en psychiatrie : que dit le droit ?, Santé mentale n° 269, juin 269). Dans ce contexte, le défaut de surveillance apparaît comme l’un des fondements susceptible de mettre en jeu de la responsabilité d’un établissement de santé mentale.
La surveillance : une obligation de sécurité
Le Code de la santé publique précise que « les établissements de santé publics, privés d’intérêt collectif et privés, assurent, dans les conditions prévues au présent code, en tenant compte de la singularité et des aspects psychologiques des personnes, le diagnostic, la surveillance et le traitement des malades, des blessés et des femmes enceintes et mènent des actions de prévention et d’éducation à la santé. » (1)
L’impératif de sécurité qui pèse sur tout établissement de santé se traduit par une obligation de surveillance renforcée s’agissant des patients admis en psychiatrie, étant donné leur état de fragilité psychologique.
Un acte infirmier en psychiatrie
Une modification du décret de compétences des infirmiers intervenue en 2002 consacre un article spécifiquement à la santé mentale et précise que dans le cadre de son rôle propre, (2), l’infirmier a des obligations de surveillance particulières. « Dans le domaine de la santé mentale, outre les actes et soins mentionnés à l’article R. 4311-5, l’infirmier ou l’infirmière accomplit les actes et soins suivants :
1° Entretien d’accueil du patient et de son entourage ;
2° Activités à visée sociothérapeutique individuelle ou de groupe ;
3° Surveillance des personnes en chambre d’isolement ;
4° Surveillance et évaluation des engagements thérapeutiques qui associent le médecin, l’infirmier ou l’infirmière et le patient » (3).
Au-delà de ces seules références, ni la loi ni le règlement ne viennent décliner des niveaux de surveillance. La loi du 5 juillet 2011 évoque la surveillance en tant que condition fondant les soins à la demande du directeur de l’établissement(4).
Le défaut de surveillance
Le défaut de surveillance constitue une faute dans l’organisation et le fonctionnement du service public hospitalier, susceptible d’engager la responsabilité de l’établissement. Mais les précisions relatives au degré de surveillance émanent des juges en cas de contentieux.
Notons qu’une personne admise dans un établissement de santé ne se trouve pas liée par un contrat médical mais qu’elle est placée dans une situation d’usager du service public hospitalier, tandis que le professionnel de santé exécute une mission de service public. Ce statut d’agent public induit une responsabilité de l’administration, qui doit donc le cas échéant réparer financièrement les dommages commis à l’occasion de l’exécution de cette mission.
Le juge examinera si le dommage découle d’une faute hospitalière et notamment d’un défaut de surveillance.
Une responsabilité administrative jugée a posteriori
Un événement préjudiciable au patient ou aux tiers survenu lorsque le malade échappe à la vigilance du personnel (fugue, suicide, agression…) n’entraîne pas systématiquement la responsabilité de l’établissement, car l’impératif de surveillance est une obligation de moyens et non de résultats.
De jurisprudence constante, le juge retiendra la responsabilité d’un établissement s’il estime, au vu des circonstances, que le niveau de surveillance n’était pas adapté à l’état de santé de la personne. Il opère un examen à la lumière d’un certain nombre de critères en l’espèce :
– la connaissance de la personne. Qui est le patient ? Était-il vulnérable ? Connu des services de soin, et si oui, depuis quand ? Quels étaient ses antécédents suicidaires ?
– le mode de prise en soins. Le patient était-il en soins libres ou contraints ? La prise en charge présentait-elle un risque connu ?
– l’état de santé, le comportement du patient. Existait-il des signes avant-coureurs ? Quel était le comportement du patient avant l’incident ou le passage à l’acte ? Des incidents récents ? La surveillance aurait-elle dû être renforcée ? A contrario, existait-il des projets au regard d’une évolution positive du sujet ?
– l’évaluation médicale. Repère-t-on une défaillance dans l’évaluation médicale ? Dans le choix du traitement ?
In fine, si le geste apparaît imprévisible, le juge conclura en l’absence de responsabilité de l’établissement.
Cas particuliers, jurisprudences
• Une patiente s’est donné la mort dans la nuit du 3 au 4 décembre 2005, alors qu’elle était accueillie en hospitalisation libre et avait exprimé des idées suicidaires. La responsabilité de l’établissement n’a pas été retenue, car le juge a considéré que les éléments recueillis ne justifiaient pas la faute de l’hôpital (5) : « Mme G-C, qui n’avait effectué aucune tentative de suicide malgré un contexte dépressif ancien, a été admise en hospitalisation libre avec autorisation de sortie pour se rendre dans sa famille et administration de médicaments psychotropes classiques ; [attendu] que Mme G-C n’a manifesté aucun comportement traduisant une aggravation de son état dépressif durant les deux premiers jours de son hospitalisation ; que, de surcroît, aucun comportement anormal de nature à laisser présager d’une situation d’urgence suicidaire n’a été décelé par son époux lors du retour de Mme G-C dans sa famille le 3 décembre 2005, lequel n’a pas demandé d’hospitalisation [contrainte], ou par le personnel soignant lorsqu’elle a regagné l’hôpital ; que, dans ces circonstances, eu égard au comportement général de Mme G-C n’appelait pas une mesure d’hospitalisation sans consentement et nonobstant l’expression verbale d’intentions suicidaires ; (…) ».
• De même, la responsabilité d’un hôpital n’a pas été retenue à la suite du décès accidentel d’un patient qui était sorti sans autorisation, du fait de l’imprévisibilité de la « fugue » (6).
Les faits sont les suivants : le 13 juin 2020, M. Z., hospitalisé sous contrainte le 8 juin, a profité d’une altercation entre deux malades dans le jardin de l’hôpital pour escalader le grillage à l’aide d’un chariot. Il a été victime d’un accident de voiture dans lequel sa passagère et lui ont trouvé la mort quatre jours plus tard.
« (…) il ressort de la pièce dite examen d’entrée et observation clinique versée au dossier de l’hôpital que M. Z. présentait le 13 juin 2000 un comportement relativement calme et adapté et a été autorisé à sortir dans le jardin sous la surveillance d’un infirmier ; (…) il ne résulte pas de l’instruction que M. Z. quoique parfois violent en raison de la pathologie dont il souffrait avait déjà tenté de s’enfuir de l’hôpital dans lequel il séjournait depuis six jours au moment des faits, et ce alors même qu’il s’était déjà trouvé à une reprise au moins à l’extérieur de l’établissement ; qu’après la survenance de la fugue, le centre hospitalier a prévenu la famille de M. Z. et la gendarmerie et a entrepris ses propres recherches afin de retrouver le malade, à l’aide de deux infirmiers et d’un chauffeur ; (…) les circonstances de l’espèce ne relèvent dès lors pas, eu égard au caractère imprévisible de la fugue et aux moyens mis en œuvre par le centre hospitalier, une faute dans l’organisation du service ou à un défaut de surveillance de nature à engager la responsabilité de l’établissement (…) ».
• A contrario, la responsabilité de l’hôpital a été engagée à la suite d’un accident dont ont été victimes un patient sorti à l’insu du service et un automobiliste (7).
« 1. (…) Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. C…, alors hospitalisé à la demande d’un tiers au sein du centre hospitalier spécialisé Charcot de Caudan en raison de l’affection mentale dont il était atteint, a, le 30 novembre 2007 vers 17 heures, quitté le centre hospitalier sans autorisation et a été heurté vers 18 heures par un véhicule automobile conduit par M. A… sur la route départementale… La société d’assurance A., assureur du conducteur du véhicule impliqué, a (…) indemnisé M. C… des dommages corporels subis par lui et remboursé à la caisse primaire d’assurance maladie du Morbihan les débours exposés pour lui. Estimant toutefois que le CHS Charcot avait manqué à son obligation de surveillance à l’égard de M. C…, elle a ensuite demandé à être indemnisée par cet établissement. (…)
« 3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d’une part, que la présence de M. C. sur la route départementale, sans laquelle l’accident ne se serait pas produit, était due au défaut de surveillance du CHS Charcot, dont M. C., hospitalisé à la demande d’un tiers, était sorti sans autorisation une heure plus tôt, et, d’autre part, que celui-ci s’est engagé sur la chaussée à la tombée de la nuit, en dehors de tout passage protégé, en dépit de la circulation des véhicules. (…) ».
• Les juges ont aussi retenu la responsabilité d’un hôpital suite aux dommages causés à des tiers par un patient fugueur (8).
« Considérant que si le CH de Blois soutient qu’aucune appréciation d’ordre médical ne lui faisait obligation de soumettre M. H., hospitalisé en soin libre dans le service psychiatrique, à une surveillance particulière, le fait que l’intéressé, qui avait fait plusieurs fugues, ait pu quitter l’établissement (…), sans éveiller l’attention du personnel, puis ait pu ressortir quelques heures après son retour sans qu’ait été remarquée cette nouvelle absence, au cours de laquelle ses agissements, dont il a été pénalement déclaré irresponsable à raison de son état mental, ont causé des dommages aux époux G., révèle un défaut dans l’organisation ou le fonctionnement du service psychiatrique de nature à engager la responsabilité de l’établissement hospitalier ».
Conclusion
Le défaut de surveillance s’apprécie ainsi in concreto. C’est la raison pour laquelle deux affaires qui semblent similaires ne donnent pas lieu à un jugement identique. Rappelons à ce titre l’importance de la traçabilité des faits et de la qualité des écrits professionnels puisqu’en cas de contentieux indemnitaire, le juge interpellera un expert pour lui apporter un éclairage quant au caractère prévisible ou non du geste de la personne, à la lecture du dossier du patient.
Il apparaît alors que les éléments positifs relatifs au comportement du patient (participation aux activités, personne souriante, ayant des projets, amélioration de l’adhésion aux soins…) de nature à démontrer l’imprévisibilité du geste revêtent une réelle importance.
Valériane Dujardin-Lascaux, Juriste, EPSM Lille-métropole.
1– Article L.6111-1 alinéa 1er du Code de la santé publique.
2– Décret de compétences
3– Article R.4311-6 du Code de la santé publique.
4– Article L3212-1 du Code de la santé publique : « I. – Une personne atteinte de troubles mentaux ne peut faire l’objet de soins psychiatriques sur la décision du directeur d’un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 que lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : 1° Ses troubles mentaux rendent impossible son consentement ; 2° Son état mental impose des soins immédiats assortis soit d’une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit d’une surveillance médicale régulière justifiant une prise en charge sous la forme mentionnée au 2° du I de l’article L. 3211-2-1. »
5– Cour administrative d’appel de Douai, 11/05/2010, Roland et Joël Guelou – 09DA00013.
6– Cour administrative d’appel de Marseille, 18/01/2011, Mohamed Zaiter et a., – 08MA01242.
7– CE 1° et 4° ch.-r., 9 novembre 2018, n° 412799, Assurances Crédit Mutuel IARD, mentionné aux tables du recueil Lebon.
8– CE Contentieux, 26 mai 1982, n° 23611.