Soins sans consentement et restriction de liberté : « un objectif de réduction qui reste à atteindre »

FacebookXBlueskyLinkedInEmail

À l’occasion de la parution d’une recherche sur les pratiques coercitives en psychiatrie menée par Magali Coldefy (IRDES), Coralie Gandré (Hôpital universitaire Robert Debré) avec la collaboration de Stéphanie Rallo (ARS Paca), les deux chercheures livrent leur analyse en répondant à trois questions.

Quelles principales évolutions distinguez-vous concernant les soins psychiatriques sans consentement depuis dix ans en France, dans un contexte de volonté des pouvoirs publics d’en réduire l’usage ?

Nos résultats montrent une hausse sensible du recours aux soins sans consentement entre 2012 et 2021 : +14 % de personnes suivies au moins une fois sans leur consentement contre +9 % pour celles suivies exclusivement librement en psychiatrie sur la période. Ainsi, malgré une volonté politique de réduire ce recours, clairement énoncée dans la Feuille de route « Santé mentale et psychiatrie » depuis 2018 et répétée dans le cadre des bilans successifs de son avancement, l’évolution sur longue période reste dynamique. Ce constat demeure à nuancer par une augmentation moins marquée du recours aux soins sans consentement depuis 2015, avec même une légère diminution de ce recours depuis 2020, qui semble se poursuivre en 2021. Toutefois, ces évolutions récentes sont à replacer dans le contexte spécifique de la pandémie de Covid-19 qui a fortement impacté l’activité des établissements de santé, avec une réduction qui a atteint 8 % pour le nombre de personnes hospitalisées à temps plein et seulement 1 % pour celles hospitalisées sans leur consentement.

« En 2021, plus de 5 % des personnes suivies en psychiatrie en établissement de santé et 26 % de celles hospitalisées à temps plein ont été prises en charge au moins une fois sans leur consentement »

Pourquoi le recours aux soins en cas de péril imminent, mesure encadrée pour être exceptionnelle, connaît-il une telle croissance sur la période ?

Les soins en cas de péril imminent ont en effet été pensés comme une mesure d’exception permettant la prise en charge en urgence de personnes isolées, pour lesquelles aucune demande de soins n’est émise par un tiers. Et ce dans le cas où leur état psychique nécessiterait des soins immédiats assortis d’une surveillance médicale, mais altérerait la conscience de leurs troubles ou du besoin de soin ne leur permettant pas d’y consentir. Le constat de l’augmentation de ces soins depuis leur mise en place en 2011 avait déjà été fait lors d’états des lieux antérieurs du recours aux soins psychiatriques sans consentement à l’échelle nationale, mais nos résultats confirment le caractère durable de cette tendance. Elle suggère que les soins en cas de péril imminent pourraient être mobilisés en dehors de leur objectif initial : par exemple, lorsque les proches préfèrent ne pas être impliqués dans une demande de soins sans consentement – une diminution des soins sans consentement sur demande d’un tiers étant observée en parallèle – ou dans des contextes d’urgence où les équipes soignantes connaissent moins les personnes prises en charge et n’ont pas toujours les ressources pour rechercher les tiers à contacter avant d’admettre la personne en hospitalisation.

« Les soins en cas de péril imminent, un recours qui continue de dépasser la mesure d’exception »

De quelles informations inédites disposez-vous en matière d’isolement et de contention ?

La mise à disposition des données d’isolement et de contention en psychiatrie à l’échelle nationale demeure récente (pour la contention notamment) et leur exploitation et interprétation doivent être faites avec prudence car il est probable qu’elles ne soient pas encore tout à fait exhaustives. Malgré cela, les premiers chiffres interpellent déjà : nous observons une augmentation continue du recours aux mesures d’isolement entre 2012 et 2018 et une légère inflexion en 2019 qui n’est pas durable puisque l’année 2020 – marquée par la pandémie de Covid-19 et son impact sur les services de santé – se distingue par un fort accroissement du recours à ces mesures. Si leur ampleur est en baisse en 2021, elle reste cependant plus élevée qu’avant la crise sanitaire. En parallèle, les premières estimations disponibles sur le recours à la contention mécanique font état d’environ 10 000 personnes concernées en 2021, soit plus d’une personne hospitalisée sans son consentement sur dix, mais l’ensemble des établissements ne font pas encore remonter ces informations de manière exhaustive. A la suite de ces premiers résultats, il apparaît désormais nécessaire d’améliorer continuellement la qualité, l’exhaustivité et la diffusion de ces données pour soutenir une modification des pratiques et contribuer à l’objectif politique d’une réduction des pratiques privatives de liberté en psychiatrie.

« Un recours non négligeable à l’isolement en 2021 consécutif à une augmentation tendancielle depuis 2012 et un recours exceptionnel en 2020 pendant la pandémie de Covid -19 »

Selon les auteures, ces résultats soulignent que les questionnements éthiques (respect de la dignité et de la liberté des personnes) liés à l’importance du recours aux soins sans consentement et à la contrainte en psychiatrie en France, régulièrement rappelés par le CGLPL, les personnes concernées et leur entourage (CGLPL 2019,2021, 2022 ; CRPA, 2017 ; Unafam, 2022), sont toujours d’actualité. Ils ont d’ailleurs récemment resurgi au premier plan du débat public dans le cadre des évolutions législatives visant à mieux encadrer le recours à l’isolement et à la contention mécanique qui ont été fortement discutées par les professionnels de santé, du fait des contraintes administratives qu’ils entraînent. Des initiatives innovantes existent pourtant sur le territoire national pour tenter de limiter le recours aux soins sans consentement et à la contrainte en psychiatrie. Elles incluent le développement de soins centrés sur les besoins des personnes, favorisant leur implication et la participation ; la mise en place d’espaces d’apaisement (mise à disposition des personnes qui le souhaitent d’un lieu pour s’isoler et apaiser leur anxiété et leur agressivité au sein des services hospitaliers de psychiatrie) [HAS, 2016] ; le renforcement de la formation des professionnels de santé à la gestion des crises ; ou le développement de directives anticipées en psychiatrie (document rédigé par la personne lorsque son discernement n’est pas altéré et où elle précise à l’avance la conduite qu’elle, son entourage et les professionnels de santé doivent tenir en cas de crise). Leur déploiement pourrait être soutenu à la suite de la récente publication d’éléments de preuve en faveur de leur bénéfice sur la diminution du recours aux soins sans consentement, notamment lorsqu’elles sont associées à des dispositifs de pair aidance (Tinland et al., 2022).
L’étude d’établissements caractérisés par un faible recours aux mesures de contrainte en psychiatrie, aujourd’hui peu visibles et étudiés, pourra également permettre de dégager les leviers d’une psychiatrie plus respectueuse des libertés individuelles.

3 questions à… Magali Coldefy et Coralie Gandré à lire dans Questions d’économie de la santé n° 269 – IRDES – intitulé : « Les soins sans consentement et les pratiques privatives de liberté en psychiatrie : un objectif de réduction qui reste à atteindre », en collaboration avec Stéphanie Rallo.

Dessin : Signori

Pack ISOLEMENT ET CONTENTION

N° 210 Isolement et contention « en dernier recours »
N° 222 Pour restreindre l'isolement et la contention
N° 260 Isolement et contention : faire autrement ?
N° 286 Comment éviter isolement et contention ?

Plus d’informations