Cette recherche de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) menée conjointement avec l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH), intervient dans un contexte où l’absence de données chiffrées sur le recours à l‘électroconvulsivothérapie (ECT) est régulièrement soulignée dans le débat public, contribuant à alimenter les craintes vis-à-vis de cette pratique qui demeure méconnue. Les premières données résultant de cette recherche permettent de dresser un état des lieux national de ce traitement.
L’électroconvulsivothérapie (ECT) figure parmi les traitements recommandés pour le soin des troubles psychiques sévères ne répondant pas aux prises en charge usuelles, notamment pharmacologiques. Associée à des représentations négatives, les mécanismes d’action de l’ECT restent en partie méconnus et les travaux documentant son utilisation à grande échelle font défaut. Cette recherche décrit le recours à l’ECT en France métropolitaine en 2019 et en identifie les principaux facteurs associés à partir des données d’activité hospitalière de l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH) – qui comportent depuis 2017 un recueil des actes d’ECT visant l’exhaustivité.
« Un traitement hyper-spécialisé qui concerne un nombre restreint de personnes et destiné davantage à certaines populations spécifiques, suggérant une relative adéquation aux recommandations de bonnes pratique. »
En pratique Chaque séance d’ECT est administrée conjointement par un psychiatre et un anesthésiste dans un bloc opératoire ou une salle de réveil. Elle nécessite donc un plateau technique adéquat, qui ne peut pas toujours être mis en place au sein même de l’hôpital assurant le suivi psychiatrique qui organise alors le transfert des patients vers un établissement disposant des ressources techniques nécessaires. L’anesthésie générale (sans intubation) dure quelques minutes et comporte une curarisation pour éviter les mouvements anormaux. Une surveillance en salle de réveil pendant au moins 30 minutes est ensuite nécessaire avant la sortie du lieu de réalisation de l’ECT. Le traitement curatif de fond comporte classiquement 12 à 20 séances (deux à trois par semaine). Un traitement plus ponctuel peut également être proposé dans les situations d’urgence et s’interrompt dès que le pronostic inital (dénutrition liée à la catatonie, risque suicidaire...) cesse d’être engagé (une seule séance suffit parfois). Un traitement d’entretien ou de maintien d’une séance mensuelle peut être administré en prévention de la rechute, il peut alors se faire en ambulatoire.
« Des taux de recours à l’ECT qui varient fortement en fonction des établissements de suivi psychiatrique »
Selon ces données, l’ECT a concerné 3 705 personnes pour 44 668 actes en 2019 en France, constituant ainsi un soin hyper-spécialisé peu prescrit. Un peu plus d’1 % des adultes hospitalisés au moins une journée à temps plein en psychiatrie sont concernés, qui sont plus âgés, plus souvent de sexe féminin et ont des diagnostics de troubles plus sévères et complexes que les autres personnes hospitalisées selon les mêmes modalités. Ces caractéristiques cliniques sont en cohérence avec les recommandations de bonnes pratiques. Néanmoins de fortes variations dans le taux de recours à l’ECT sont observées entre les établissements de suivi psychiatrique en charge de l’adressage vers ce traitement. Par ailleurs, ces variations n’apparaissent pas uniquement associées aux caractéristiques des individus pris en charge mais également, et bien plus fortement, à des caractéristiques de l’offre de soins : en particulier le type d’établissement assurant le suivi psychiatrique et la distance avec le plateau technique d’ECT le plus proche. Ce constat interroge sur l’hétérogénéité de la prise en charge des troubles psychiques et sur l’accès à des soins spécialisés en psychiatrie.
Selon les auteurs, « ces travaux documentant le recours à l’ECT sont un préalable indispensable à une meilleure compréhension des pratiques, qu’il convient désormais de poursuivre, notamment par des approches longitudinales et qualitatives. Cela permettra d’accroître les données qui pourront être transmises aux soignants, aux personnes concernées par des troubles psychiques sévères et résistants et à leur famille, et plus généralement à la population générale, afin de prendre la meilleure décision thérapeutique et d’assurer un consentement libre et éclairé ».
« Les débats récurrents sur le ratio bénéfice/risque de l’ECT appellent à une actualisation régulière des données scientifiques et des recommandations de bonnes pratiques sur ce traitement, intégrant le point de vue des personnes l’ayant expérimenté. »
Trois questions à... Coralie Gandré, Pierre Lecarpentier et Magali Coldefy à l'occasion de la parution du Questions d'économie de la santé intitulé : « Le recours à l'électroconvulsivothérapie en France : des premières données nationales qui soulignent des disparités importantes », en collaboration avec Anis Ellini. Avril 2022 1/ Qu'est-ce que l'Electroconvulsivothérapie (ECT) et comment sa perception a-t-elle évolué au cours du temps ? L'électroconvulsivothérapie, qui figure parmi les traitements recommandés pour le soin des troubles psychiques sévères ne répondant pas aux prises en charge usuelles, est une procédure qui consiste à déclencher une crise d'épilepsie sous anesthésie générale. Après s'être rapidement répandue dans le monde occidental à la fin des années 1930, cette pratique, concurrencée par l'arrivée des médicaments psychotropes, est largement critiquée, notamment en raison de pratiques abusives durant la Seconde Guerre mondiale. Ce n'est que dans les années 1970-80, en lien, d'une part, avec la mise en évidence des limites des traitements psychotropes (effets secondaires, pharmacorésistance), et, d'autre part, avec la démonstration de l'efficacité de l'ECT dans des essais cliniques randomisés, que ce traitement est réhabilité. Des recommandations de bonnes pratiques sont alors publiées dans de nombreux pays, dont la France. Néanmoins, si de nombreuses études scientifiques concluent au bénéfice et à l'innocuité de ce mode de prise en charge pour les personnes avec des troubles psychiques sévères et résistants en comparaison à la prise de médicaments psychotropes au long cours, l'ECT demeure associée à des représentations sociales négatives et des débats persistent au sein même de la littérature scientifique. L'absence de données récentes sur le recours à l'ECT, soulignée par de nombreux acteurs, contribue à alimenter les craintes vis-à-vis de cette pratique qui demeure méconnue. Dans ce contexte, la mise à disposition d'un recueil complémentaire des actes d'ECT en France en 2017, visant l'exhaustivité, a servi de point de départ à notre recherche qui permet de mobiliser des données à grande échelle pour mieux documenter le recours à ce traitement. 2/ Quelles sont les personnes qui reçoivent une prise en charge par ECT en France ? Leurs caractéristiques sont-elles en accord avec les recommandations de bonnes pratiques ? En accord avec les recommandations de bonnes pratiques, l'ECT constitue une prise en charge hyper-spécialisée qui a concerné 3 705 personnes pour 44 668 actes et un peu plus d'1 % des adultes hospitalisés au moins une journée à temps plein en psychiatrie en France en 2019. Ces personnes sont plus âgées, plus souvent de sexe féminin, ont des diagnostics de troubles plus sévères ou complexes et présentent davantage de marqueurs de sévérité que les autres personnes hospitalisées selon les mêmes modalités, caractéristiques cliniques qui sont également en accord avec les recommandations de bonnes pratiques. Ces dernières sont néanmoins anciennes et mériteraient d'être actualisées, notamment en intégrant le point de vue des personnes ayant expérimenté l'ECT. Par ailleurs, de fortes variations dans l'adressage vers ce traitement sont observées entre les établissements en charge du suivi psychiatrique et elles ne sont pas uniquement associées à des caractéristiques des personnes prises en charge, ce qui interroge. 3/ Pourquoi le recours à cette thérapie est-il aussi disparate sur le territoire ? Au-delà des différences dans les caractéristiques des patients suivis, nos résultats soulignent qu'une part non négligeable des variations du recours à l'ECT entre établissements est expliquée par des caractéristiques de l'offre de soins : en particulier le type d'établissement assurant le suivi psychiatrique et la distance avec le plateau technique d'ECT le plus proche. Ce constat souligne l'hétérogénéité de la prise en charge des troubles psychiques sévères et résistants alors que la psychiatrie en France a été initialement pensée et organisée de manière à couvrir l'ensemble du territoire dans le cadre de la sectorisation. L'absence de gradation et de spécialisation des soins en psychiatrie ainsi que son cloisonnement vis-à-vis des autres spécialités médicales, issues de cette organisation historique, pourrait expliquer en partie l'hétérogénéité de recours à l'ECT, traitement à indications limitées concernant un nombre restreint de situations cliniques. Si cette pratique hyper-spécialisée n'a pas vocation à être disponible en proximité, son accès doit être facilité par une meilleure coordination des soins entre services assurant le suivi régulier et ceux offrant des prestations spécialisées.
• « Le recours à l’électroconvulsivothérapie en France : des premières données nationales qui soulignent des disparités importantes », Lecarpentier P. (EPS Barthélémy Durand, Irdes), Gandré C. (Irdes), Coldefy M. (Irdes) en collaboration avec Ellini A. (ATIH) – Questions d’économie de la santé n° 267 – Avril 2022.
• Voir aussi le rapport n° 585 « Recours à l’électroconvulsivothérapie pour les personnes hospitalisées en psychiatrie en France : premier état des lieux national » – Avril 2022 – 56 pages – Prix : 25 €.