Commission d’enquête sur l’hôpital : permettre aux soignants de soigner !

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À l’issue de près de quatre mois de travaux, la commission d’enquête du Sénat sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France appelle dans un rapport à redonner du souffle à l’hôpital en lui laissant davantage de liberté et d’autonomie dans son organisation, en lui attribuant des moyens proportionnés aux défis de santé actuels et en redessinant sa place au sein du système de soins. Pour y remédier, elle formule quatre-vingts recommandations.

« Sur la base du diagnostic posé par ce rapport, il est clair que ce dont l’hôpital a aujourd’hui besoin, ce n’est pas d’une nouvelle loi, c’est de confiance ». C’est le message que la commission d’enquête entend envoyer : l’hôpital doit désormais sortir d’un pilotage erratique et d’un quotidien où soignants et dirigeants ne cessent de courir après le temps et les moyens, de gérer les urgences jusqu’à l’épuisement.
Il faut redonner du souffle à l’hôpital, lui donner davantage de liberté et d’autonomie dans son organisation, en lui attribuant des moyens proportionnés aux défis de santé actuels. Redessiner sa juste place au sein du système de soins. Permettre aux soignants de soigner. Donner aux gestionnaires médicaux et administratifs les moyens nécessaires aux projets de transformation. En un mot : sortir des urgences.

LES PRINCIPALES RECOMMANDATIONS
Dans son rapport, la commission d’enquête a formulé près de 80 recommandations. Figurent ci-dessous ses principales propositions.
Malaise des soignants : reconnaître l’engagement, garantir l’attractivité
• Garantir une reconnaissance financière équitable et adaptée aux contraintes et sujétions spécifiques auxquelles sont soumis médecins et soignants hospitaliers
• Redynamiser la politique de qualité de vie au travail, notamment en prenant en compte les contraintes de logement et de garde des enfants des personnels hospitaliers
• Alléger la charge administrative des soignants en développant des outils numériques plus performants et interopérables et en optimisant la délégation de tâches aux secrétaires médicales et aux techniciens
• Renforcer significativement le nombre d’infirmiers et d’aides-soignants et mettre en place un mécanisme d’alerte lorsque le ratio « patients par soignant » dépasse un seuil critique
• Revoir la sélection et les maquettes de formation des élèves infirmiers et renforcer la formation continue, y compris par le tutorat, en l’inscrivant dans des perspectives de carrière plus motivantes (passerelles entre métiers

L’hôpital à bout de souffle : redonner les moyens de la confiance
• Garantir un pilotage « médico-administratif » équilibré en revivifiant le rôle des représentants des praticiens et personnels paramédicaux dans les instances de gouvernance, en renforçant l’interaction entre celles-ci et les services de soins et en donnant un rôle accru à la commission des soins infirmiers
• Décentraliser les décisions en développant les délégations de gestion au niveau des pôles et services et réaffirmer la place de référence du service dans l’organisation de l’hôpital
• Débureaucratiser les relations avec les tutelles et simplifier les procédures de certification et d’accréditation
• Faire évoluer de manière rapide le modèle de financement sur un triptyque activité-population-qualité et garantir une dynamique des tarifs hospitaliers cohérente avec l’évolution des coûts constatés. Dans l’attente, suspendre les baisses de tarifs et les mises en réserve
• Redéfinir le découpage de l’Ondam et assurer sa construction sur la base des besoins de santé régulièrement documentés et de tendanciels et économies justifiés
• Prévoir un outil pérenne de financement des investissements hospitaliers structurants

Engorgement de l’hôpital : fluidifier le système de soins et assurer un juste recours à l’hôpital
• Rééquilibrer la répartition de la prise en charge entre ville et hôpital, en dégageant du temps médical en médecine de ville (développement du rôle des infirmiers de pratique avancée, recrutement d’assistants médicaux), en revalorisant la visite à domicile et en veillant à rendre attractive la participation de la médecine de ville au service d’accès aux soins
• Soulager les services d’urgence par une meilleure collaboration avec les professionnels de ville, par le biais de structures conjointes et par un adressage facilité aux services compétents via les cellules de coordination ville-hôpital
• Actualiser le cadre des groupements hospitaliers de territoires : revoir leur périmètre, approfondir leur gouvernance tout en respectant un principe de subsidiarité et permettre l’intégration d’établissements privés participant au service public hospitalier
• Améliorer la structuration de l’offre de proximité, en s’appuyant sur un maillage d’hôpitaux de proximité et en facilitant la coordination des professionnels et des établissements de santé sur la base d’initiatives de terrain


Rapport du Sénat n° 587, fait au nom de la commission d’enquête sur la situation de l’hôpital et le système de santé en France, Président M. Bernard JOMIER, Rapporteure Mme Catherine DEROCHE, mars 2022


 Permettre aux soignants de soigner !

Libérer du temps et du personnel pour le soin en simplifiant les tâches administratives et en modernisant les outils

a) Des tâches administratives chronophages à simplifier et à déléguer
Le manque de temps pour le soin en raison d'autres tâches chronophages a été l'un des constats les plus constamment formulés par les praticiens et soignants hospitaliers entendus lors des travaux de la commission d'enquête.
Ce recul du temps de soin au profit d'un « temps informatique » ou d'un « temps administratif » est l'une des causes majeures du profond décalage ressenti entre la vocation professionnelle et les conditions effectives du métier, d'où cette « perte de sens » qui est aujourd'hui au coeur du malaise hospitalier.
Il existe certes un temps administratif incompressible lié aux exigences de traçabilité qui ne peuvent être satisfaites que par les praticiens et soignants eux-mêmes. Jacques Léglise estimait ainsi devant la commission d'enquête : « Une grande partie de ce que les soignants appellent aujourd'hui tâches administratives sont les obligations nées des normes de qualité et de traçabilité, qui, il est vrai, sont montées en puissance ces dernières années, mais dont je ne vois pas comment les contester, et qui font désormais partie à part entière du métier de médecin ou d'infirmière. »
Toutefois, des marges de manoeuvre existent pour simplifier ou déléguer certaines de ces tâches. Une partie d'entre elles résident dans le recentrage et la simplification des procédures de contrôle, précédemment évoquées (remontées d'information, procédures de certification et d'accréditation), qui mobilisent du personnel administratif, mais pèsent également sur la ressource médicale et soignante.
Il apparaît également que de nombreuses tâches administratives et de secrétariat réalisées, à l'hôpital, par des médecins et des soignants pourraient être allégées.
La digitalisation croissante les conduit à assurer des tâches de secrétariat, l'exemple le plus évident étant la frappe directe des comptes rendus médicaux dans les logiciels par les médecins et les internes. La mise en place de systèmes de dictée numérique à reconnaissance vocale paraît encore insuffisamment développée dans les établissements ou repose parfois sur des outils qui ne sont pas les plus performants. Il conviendrait aussi d'éviter la frappe de comptes rendus par des médecins par défaut de secrétariat, par exemple en expérimentant à un niveau pertinent selon la taille d'établissement ou du GHT, l'instauration de services centralisés de frappe de compte-rendu fonctionnant sur une large amplitude horaire et permettant d'utiliser des systèmes de dictée numérique avec envoi direct de la dictée au secrétariat centralisé.
Par ailleurs, lorsque les comptes rendus sont effectués par reconnaissance vocale, leur relecture apparaît, pour beaucoup comme une inutile perte de temps. Le docteur Laurence Luquel, présidente de la conférence nationale des présidents de CME des établissements de santé privés à but non lucratif indiquait notamment : « Il nous faut vraiment des assistants [...] qui nous aident dans toutes les procédures administratives, dans les outils numériques. Pourquoi va-t-on passer du temps à relire des comptes rendus médicaux ? C'est du temps gâché par rapport au temps avec le patient. Donc plus que d'infirmières de pratique avancée, c'est ce besoin d'assistance que nous ressentons. Le métier de secrétaire médicale pourrait évoluer. »
Se prononçant sur la difficulté de simplifier, ou de diminuer la charge administrative des médecins, Jacques Léglise indiquait à la commission d'enquête : « Cela restera cependant plus lourd que par le passé, quand les prescriptions étaient données oralement, sans traçage des propos tenus auprès du patient. Je ne vois donc pas d'autre solution que celle, coûteuse, de multiplier les assistants dans les services. »
Le recours aux secrétaires médicales pourrait être optimisé, comme le suggère Marie-Noëlle Gerain-Breuzard, présidente de la conférence des directeurs de CHU : « Je constate en revanche que mon établissement emploie 500 secrétaires médicales. Or nous avons numérisé les courriers, la gestion des rendez-vous, les formalités administratives. Je souhaiterais dès lors que le métier de secrétaire médicale s'oriente davantage vers l'accueil du patient, vers les formalités dans la chambre du patient et vers l'assistance sur certaines missions administratives auprès des médecins, voire auprès des soignants. Sur le terrain, nous en sommes cependant extrêmement éloignés. »

b) Des outils parfois vétustes à moderniser en misant sur la digitalisation
Tous les acteurs hospitaliers entendus par la commission d'enquête ont souligné le « retard colossal que la santé a pris dans le domaine du numérique »
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