La prison rend-elle fou ? Pour certains, assurément. Pour d’autres, elle n’est que le révélateur de pathologies préexistantes. Prison Insider et l’Union nationale des familles et amies des personnes malades et / ou handicapés psychiques (Unafam) proposent dans ce travail conjoint intitulé « L’enfermement à la folie » une analyse de la prise en charge des auteurs d’infractions qui souffrent de troubles psychiques dans plusieurs pays européens. L’Unafam propose quelques pistes d’amélioration qui pourraient inspirer des réformes susceptibles d’améliorer la prise en charge des auteurs d’infractions souffrant de troubles psychiques en France. La question posée : la France peut-elle s’inspirer de ses voisins ? Extrait de l’analyse et suggestions.
La comparaison entre huit pays européens proches culturellement confirme les convictions de notre association de familles et de leurs proches concernés par les maladies psychiques : l’emprisonnement n’est jamais une solution satisfaisante et souvent la pire pour les personnes malades. Les soins, quel que soit le dispositif mis en place, sont toujours quantitativement et qualitativement insuffisants, discontinus dans leur administration et rarement construits dans une perspective de réinsertion. L’incarcération, avec ses conditions de grande promiscuité, de bruit, ses phénomènes de pression sur ceux qui reçoivent des médicaments et de forte circulation des drogues est un facteur aggravant des troubles. Elle en est parfois le déclencheur.
L’absence de repérage et de prise en charge précoce amène à un retard de diagnostic pendant lequel les personnes sont abandonnées à leur souffrance. Cette période de déshérence est souvent accompagnée de conduites à risque et de conduites addictives pouvant entrainer des “passages à l’acte”. Ensuite, les institutions pénales sont engorgées. Incapables de trouver le temps de poser un diagnostic sur les personnes mises en cause, les personnes atteintes de troubles psychiques sont orientées de manière croissante vers la prison au lieu des hôpitaux. S’y ajoute, dans le cas français, la brutalité du changement de cap en matière de politique psychiatrique, avec la fermeture de la moitié des lits d’hospitalisation psychiatrique en trois décennies. Le directeur de l’administration pénitentiaire française assurait ainsi récemment que “la fermeture de lits psychiatriques a rempli les prisons”. Enfin, le regard de la société sur le “fou” évolue dans un sens qui exclut de plus en plus la compassion. Le docteur Cyrille Canetti, à l’occasion de son départ après 25 ans d’exercice de la psychiatrie en prison, explique: “il y a une vision du malade mental qui a beaucoup changé ces dernières années. L’éclairage se fait davantage sur le risque que représenterait le malade pour la société, à en oublier que c’est une personne qui souffre avant tout”. Cette dure réalité, sans cesse confirmée – comme l’indique le redémarrage en flèche des condamnations après la brève inflexion due au Covid 19 -, conduit à se demander comment, sans légitimer le système, l’améliorer en France. Et comment faire en sorte d’atténuer les souffrances de ceux qui le subissent indûment, soit près de 20 000 êtres humains.
La lecture du présent dossier laisse l’impression globale que nos voisins n’ont pas organisé, pour la plupart, de meilleures réponses que le système pénitentiaire français. Un regard attentif permet toutefois d’identifier quelques pistes, dont trois ont retenu notre attention (critique), brièvement présentés ci-après.
- Un examen clinique somatique et psychiatrique avant jugement. En effet, afin de dépister avant jugement les auteurs d’infractions nécessitant des soins, certains pays organisent l’accès aux soins dès la phase d’instruction.
- La formation du personnel pénitentiaire : les surveillants pénitentiaires sont parfois formés pour mieux appréhender les comportements des personnes vivant avec des maladies et des handicaps psychiques et ainsi mieux “faire face”.
- La continuité des soins parfois (mieux) assurée à la sortie de prison.
L’Unafam livre sa conclusion : un système institutionnel est toujours le fruit d’une longue histoire dans laquelle les facteurs sociaux, économiques, politiques et culturels occupent une place essentielle. Aucun des systèmes de nos voisins européens n’est transposable tel quel. Les pistes qui viennent d’être suggérées ne sont que des pistes d’amélioration d’un système français parti depuis plusieurs décennies dans la direction d’une psychiatrie sécuritaire : celle de la judiciarisation et de la pénalisation systématique d’actes dérogeant aux normes sociales. Michel Foucault analysait, en 1971, l’évolution des institutions pénales en soulignant que la montée en puissance des États a mis fin à la confusion entre crime et guerre. N’assiste-t-on pas à un retour de cette confusion ? Un glissement s’opère, de “surveiller et punir” à “surveiller et anticiper”. La question centrale, en France, est aujourd’hui finalement celle de la stigmatisation dont sont victimes les personnes vivant avec des troubles psychiques à qui on applique une justice prédictive.
Pour aller plus loin
• Dossier L’enfermement à la folie : quelle prise en charge pour les auteurs d’infractions qui souffrent de troubles psychiques ? Pays étudiés : Allemagne, Angleterre et pays de Galles, Belgique, Espagne, France, Italie, Pays-Bas et
Suisse.
• France : l’enfermement à la folie : Quelle prise en charge pour les auteurs d’infractions qui souffrent de troubles psychiques ?
• France : psychiatrie et prison, sur le fil. L’amélioration des soins psychiques en prison, une bonne nouvelle ? Interview d’Eric Kania est, depuis plus de 20 ans, médecin psychiatre au centre pénitentiaire des Baumettes à Marseille.