10/03/2022

Détenus radicalisés : le travail du thérapeute à rude épreuve…

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Le travail auprès de sujets radicalisés n’est pas une mince affaire malgré la demande de soin des acteurs judicaires. Ces profils psychologiques complexes et difficiles, se rapprochent fortement de ceux de sujets psychotiques. Par ailleurs, le thérapeute se sent souvent impuissant face aux divers processus de radicalisation à l’oeuvre. Cet article témoigne des aspects délicats de ces prises en charge effectuées en prison.

Un texte de Stéphanie Germani, Docteur en psychologie, Psychologue clinicienne et psychothérapeute en prison et en libéral

L’intérêt scientifique pour les processus de radicalisation s’est pleinement manifesté depuis les derniers attentats en France. Si nous utilisons le terme de « processus de radicalisation » et non celui de « radicalisation », c’est justement parce que les sciences humaines ont mis en lumière la multiplicité des processus qui sont à l’œuvre. En effet, il ne s’agit en aucun cas d’un processus en action par lequel une personne devient plus extrême dans son point de vue ou ses idées. Notamment dans mon article : « Dynamique psychique d’un cas de radicalisation », j’en décris plusieurs suites à des prises charge effectuées en prison :
– La considération intangible des textes sacrés témoigne d’un processus qui cherche à écarter la dimension du doute ;
– L’intransigeance absolue dévoile une rigidité de la pensée, et une rigidité de la personnalité ;
– L’idéologie politique confère la manifestation d’un fantasme omnipotent ;
– La lecture littérale des sources démontre un trouble de la fonction d’élaboration – côté primaire de l’interprétation ;
– L’application figée de la charia rende compte d’une tendance à la fixation obsessionnelle ;
– La quête vers le retour à la religion pure des anciens dénote une recherche de la fonction paternelle.

Nos différents patients, incarcérés pour des faits de terrorisme, apparaissent majoritairement comme des sujets en perte de repères, de sens et d’identité, mais aussi comme des individus pour qui l’accroche à une « vérité inébranlable » devient une forme de survie psychique inconsciente. Cette « vérité » permet d’éviter les doutes et les angoisses massives qui les basculeraient dans une forme d’anéantissement psychique. D’ailleurs, l’intervention d’un ou de plusieurs délires (comme tentative de guérison, Lacan, 1966) apparaissent dans leur positionnement :

– délires passionnels à versant érotomane : le sujet est persuadé que l’Autre (Dieu) lui déclare son affection et ses attentes par le biais de différents messages qu’il faut mettre à exécution. Cet Autre apparaît comme une obsession et il devient le moteur de divers passages à l’acte (violence hétéro-agressive, crime passionnel, actes socio- pathiques) ;

– délires de revendication (à thèmes religieux) : ils se définissent comme une volonté irréductible de faire triompher une « vérité » que la société se refuse à satisfaire. Ils sont le fruit d’une conviction inébranlable d’avoir accès à une découverte grandiose qui doit être reconnue de tous ;

– délires de persécution : ils représentent la certitude que quelqu’un lui veut du mal. Les thématiques religieuses apparaissent dans les processus de radicalisation : djinn, vaudou, mécréants dangereux, etc. deviennent de mauvais objets qui persécutent. Ces délires passionnels, revendicatifs et/ou persécutifs – sous l’aspect de convictions religieuses – sont corrélées à un défaut concernant La métaphore paternelle (Lacan, 1951). Celle-ci semble avoir échoué (forclusion). La dimension du bien et du mal, l’aspect des limites, et la question du cadre sont en défauts. Nous observons l’échec manifeste des signifiants paternels. Nous pouvons considérer que des mouvements psychotiques sont à l’œuvre dans la constitution des processus de radicalisation. Dans cette quête de sens, dans cette recherche identitaire, dans ces appartenances sectaires, il y a bien une tentative d’accéder au symbolique qui échappe au sujet. De ce fait, le registre du passage à l’acte au nom de Dieu ne pourrait-il pas se traduire cliniquement par la forclusion du Nom-du-Père (Lacan, 1951) ?

Face à ces profils psychologiques complexes, le travail du thérapeute est mis à dure épreuve…

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