« Je ne suis pas venu au rendez-vous la semaine dernière. J’avais honte, j’avais fumé du cannabis alors que je vous avais dit que j’allais m’arrêter… ». Adam, 24 ans, est suivi par Nineteen (1) depuis le mois d’octobre, car il présente des symptômes psychotiques atténués (idées de persécution) et des éléments de vulnérabilité, en particulier une consommation importante et régulière de cannabis qui peut favoriser l’émergence de psychoses. Cette consommation a par ailleurs des répercussions négatives sur son bien-être, ses études, sa relation à ses parents et ses amis, et il a déjà été hospitalisé plusieurs fois pour sevrage.
Combler le vide ?
Adam est violoniste au Conservatoire national supérieur de musique (CNSM) de Paris, établissement prestigieux et sélectif qui forme les futurs musiciens des plus grands orchestres nationaux et internationaux. Il explique avec enthousiasme que fumer du cannabis lui permet de jouer toute la journée de son instrument avec plaisir et sans éprouver de fatigue. Il évoque plus difficilement les effets négatifs du produit, comme ses troubles de la mémoire et un syndrome amotivationnel qui l’empêchent de mener une vie normale et de suivre ses cours régulièrement. Il explique qu’il a commencé à fumer à l’âge de 20 ans « pour se sentir moins seul » car il avait du mal à entrer en relation avec les autres. Le cannabis lui donnerait confiance en lui…
Les yeux brillants, Adam explique : « J’aime trop le cannabis, ça me procure du repos, de l’euphorie, je ne veux pas le remplacer par autre chose et je ne pense qu’à ça. » Il s’arrête soudain, réfléchit puis avoue qu’il a quand même honte d’« être un drogué », et qu’il a l’impression que tout le monde s’en rend compte autour de lui. Au Conservatoire, il se sent isolé, parle peu avec ses pairs, craint soudain que son violon ne se désaccorde pendant qu’il joue, rentre chez lui et n’en sort plus.
Ses parents paient son loyer, ses courses et lui donnent 40 € d’argent de poche par semaine, qu’il utilise pour acheter du cannabis. Il a essayé de consommer du CBD (2), mais cela ne le soulage pas. Malgré un traitement anxiolytique pour faire baisser son stress et l’aider à se passer du cannabis, les signes de manque sont importants. Il s’est ainsi déjà présenté à nos entretiens avec des vêtements sales, en manque, expliquant qu’il venait de vendre sa manette de jeu et sa console et qu’il n’avait plus rien. Le regard fixe et un peu lointain, il m’avouait qu’il ne pensait qu’au cannabis, à ce qu’il pourrait faire pour fumer immédiatement, planer, oublier ses angoisses, et juste ne plus rien sentir, être bien.
Au début de nos entretiens, Adam évoquait son souhait de jouer plus tard dans de grands orchestres internationaux et de passer des concours, alors qu’il venait de redoubler sa deuxième année. Aujourd’hui, il semble continuer le violon surtout pour faire plaisir à son père, lui-même musicien, mais dans de douloureux moments de lucidité, il doute de sa vocation et de sa capacité de travail. Parfois, il voudrait ne plus subir de stress et avoir « une petite vie pépère : être fonctionnaire avec un travail pas trop fatigant et fumer des joints chez moi le soir pour me détendre après le travail. ». Il a même effectué un stage d’une semaine dans un restaurant, dans l’idée de passer un CAP cuisine mais a abandonné très vite : « Ce n’était pas pour moi. »
Adam confie avec dépit qu’il n’a pas de vrais amis, que ses seuls copains sont des « potes de fumette ». Depuis peu, il participe tous les soirs à des tournois de jeux de cartes, « une nouvelle passion pour combler mon vide ». Il ajoute : « ça me permet de ne pas fumer, car le cannabis me donne des trous de mémoire et je perds plus facilement. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de filles, vous voyez, donc ce n’est pas là-bas que je vais rencontrer une petite amie. »
Instabilité
Je vois Adam en entretien à peu près deux fois par mois, à sa demande, en plus de son suivi médical. En peu de temps, il a changé trois fois de médecin et arrêté/repris des suivis psychiatriques et addictologiques. Je suis chargée de maintenir le lien, de l’appeler quand il manque ses rendez-vous. Avec ce jeune homme instable, qui paraît toujours sur le point de basculer, l’enjeu est de construire une relation de confiance pour qu’il se sente étayé et parvienne, un jour, à investir les soins…
Virginie De Meulder
Infirmière en consultation Nineteen, GHU Paris psychiatrie et neurosciences
1– Accueil de première ligne pour adolescents et jeunes adultes en souffrance psychique.
2– Cannabidiol qui n’a pas d’effet stupéfiant, contrairement au THC [delta-9-tétrahydrocannabidiol].