« Fugues » des patients hospitalisés en psychiatrie : stop à la stigmatisation !

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Ces derniers jours, des cas de « fugues » de patients hospitalisés sans consentement en psychiatrie ont
été relayés dans les médias. La Section Psychiatrie Légale de l’Association Française de Psychiatrie Biologique et de Neuropsychopharmacologie (AFPBN), engagée dans des travaux portant sur tous les champs médico-légaux de la Psychiatrie, tient à exprimer les analyses suivantes sur ce sujet complexe. Communiqué.

Autres réactions. Dans un communiqué du 1er février (à télécharger ci-dessous), 14 organisations (syndicats, associations d'acteurs de la psychiatrie publique et de représentants d'usagers) « apportent leur soutien aux équipes soignantes et administratives de la psychiatrie publique toulousaine ». Dénonçant « l'amalgame du sensationnel et de la maladie mentale », elles soulignent que « les hôpitaux ne sont pas des prisons destinées à éviter les "évasions", les soignants ne sont pas des gardiens dont il s'agirait de tromper la vigilance, et les personnes souffrant de troubles psychiatriques n’ont pas à être écartées de la société » 

Au cours des deux dernières semaines, quatre patients pris en charge sans leur consentement en psychiatrie se sont soustraits à la surveillance des établissements où ils étaient soignés. Il s’agit de situations qui posent plusieurs problèmes à la confluence de la santé, de la justice, de la sécurité publique et in fine, du politique.

La médiatisation peu nuancée et volontiers sensationnaliste réservée à ces cas ne fournit pas
une information documentée. Elle participe en revanche de la stigmatisation des patients
atteints de troubles mentaux en entretenant des confusions et des paradoxes sur la psychiatrie et la dangerosité. Les premières réponses à ces évènements ont consisté en des mesures de sécurisation des établissements concernés. On pourra d’emblée regretter que, dans l’urgence, la sécurité prenne le pas sur les soins, ce qui fait enfler le double fantasme de la maladie mentale comme danger et de la psychiatrie comme acteur du contrôle social et de la sécurisation de l’espace public.


Il convient de rappeler que, chaque année en France, près de 100 000 mesures d’hospitalisation sans consentement sont mises en oeuvre. La fréquence de ces mesures et leurs implications sur les libertés en font une véritable question de santé publique et de société. Aussi, il est regrettable qu’elle soit, ces jours-ci, traitée sous le seul angle de quatre cas de patients quittant sans autorisation les hôpitaux où ils recevaient des soins. Ces situations peuvent légitimement inquiéter les citoyens mais restent extraordinaires ; elles ne sauraient cacher les vrais problèmes posés par les soins sans consentement et le devenir des personnes souffrant de troubles psychiatriques déclarées pénalement irresponsables de leurs actes.


Ces patients, y compris lorsqu’ils ont commis du fait de leur maladie mentale des actes atroces, sont avant tout pris en charge en psychiatrie pour y recevoir des soins adaptés à leur état. La privation de leur liberté d’aller et venir est un moyen de leur délivrer ces soins ; elle n’est en aucun cas une fin. Les soins entrepris visent à améliorer leur état clinique pour diminuer leur dangerosité et leur permettre de recouvrer un fonctionnement correct, redevenant compatible avec leur retour dans la cité. Ces prises en charge font l’objet de suivis scrupuleux par les médecins et équipes soignantes des hôpitaux psychiatriques, mais
également par l’autorité préfectorale et l’autorité judiciaire.

Les personnes atteintes de troubles mentaux présentant des états dangereux sont rares au regard de la fréquence de ces troubles, et leur représentation parmi les criminels est faible (moins de 10% des crimes sont commis par des personnes atteintes de troubles psychiques par exemple). En outre, ces malades sont beaucoup plus souvent victimes qu’auteurs de crimes ou délits et représentent une population vulnérable.

Le traitement médiatique de ces situations exceptionnelles tend à jeter l’opprobre sur la psychiatrie et sur les personnes atteintes de troubles psychiques. Pourtant, il s’agit avant tout d’un problème de société qui concerne l’ensemble des citoyens et leurs représentants : quel sort réserve-t-on aux patients dont les troubles mentaux portent atteinte à la sécurité et à l’ordre public ? Et quels moyens y alloue-t-on ?
En posant ainsi ces questions, on révèle au moins deux paradoxes que doit aujourd’hui supporter la psychiatrie. Alors qu’elle est en permanence accusée de priver arbitrairement de liberté les patients, la psychiatrie est dans le même temps pointée comme négligente et insuffisamment sécuritaire en n’enfermant pas assez les malades réputés dangereux. Et, désignée comme seule responsable de ces situations d’une grande complexité clinique et légale, la psychiatrie est investie d’une toute puissance pour « gérer » ces malades, alors même qu’elle est affaiblie par une crise historique associant dégradation des conditions de prise en charge et défaut d’attractivité pour les professionnels du soin.

Ainsi, ces récents cas médiatisés doivent-ils permettre de réfléchir raisonnablement aux soins dispensés aux patients atteints de troubles psychiatriques incluant un caractère de dangerosité, en se prémunissant de la stigmatisation systématique des malades mentaux et de la psychiatrie.

Section Psychiatrie Légale de l’Association Française de Psychiatrie Biologique et de Neuropsychopharmacologie (AFPBN)

Co-Présidents : Mathieu LACAMBRE (Montpellier) ; Nidal NABHAN-ABOU (Rennes) Christophe ARBUS (Toulouse) ; Jean-Philippe CANO (Bordeaux) ; Laurent LAYET (Avignon) ; Anne-Hélène MONCANY (Toulouse) ; Carole BARRE (Angers) ; Thomas FOVET (Lille) ; Cyril MANZANERA (Montpellier) ; Manuel ORSAT (Le Mans)

« Face à l’emballement médiatique, qui une fois de plus stigmatise les patients et ceux qui les soignent… », Communiqué du 1er février 2022, en pdf