12 mai 201
Le 12 mai dernier, dix organisations représentant la psychiatrie publique adressaient une lettre au Premier ministre Jean Castex au sujet de la mise en oeuvre de la réforme du financement de la psychiatrie en 2022 pour soutenir l’hôpital public. Entre attentes et inquiétudes, voici leurs mots, publiés ci-dessous in extenso.
Monsieur le Premier ministre,
Pilier essentiel du dispositif de prévention et de soins dans le champ de la psychiatrie et de la santé mentale des Français, la psychiatrie publique répond depuis le début de la crise sanitaire aux besoins grandissants de toute la population. Depuis plus d’un an, la psychiatrie publique montre sa grande capacité d’adaptation et sa réactivité, qui sont d’autant plus remarquables que son activité est largement sous et mal financée depuis de nombreuses années.
Sur les seules 10 dernières années, le financement des établissements publics de psychiatrie a évolué deux fois moins rapidement que l’ONDAM hospitalier global, et quatre fois moins vite que le financement des établissements de psychiatrie privés lucratifs, dont le taux de rentabilité apparait près de huit fois supérieur à celui des cliniques relevant de la médecine, de la chirurgie et de l’obstétrique.
Une des causes structurelles majeures de ce sous-financement des établissements publics, objectivée par les services d’inspections et d’évaluation de l’Etat (rapports IGAS, Cour des comptes, Ma Santé 2022 notamment), réside dans la coexistence de deux modes de financement différents entre, d’une part, des établissements publics sous dotation annuelle, et, d’autre part, des. établissements lucratifs bénéficiant d’une tarification au prix de journée beaucoup plus dynamique, alors même que les établissements n’accueillent pas les mêmes patients ni les mêmes pathologies.
Cette coexistence de deux modèles de financement a des conséquences néfastes sur l’offre de soins et sur l’attribution des nouvelles activités en cours de développement. Les modes de financements actuels, établis il y a près de 40 ans, ne correspondent plus aux besoins de la population sur les territoires, à l’activité ou aux dépenses réelles des établissements, et ne permettent pas de conduire une politique de psychiatrie en santé mentale unifiée et pertinente, ce qui est pourtant l’objectif des prochaines assises de la psychiatrie et de la santé mentale voulues par le président de la République. Pour la seule métropole, les dépenses de psychiatrie par habitant varient parfois de 20% à 30% entre les régions.
La réforme du financement de la psychiatrie est un enjeu urgent de santé publique, d’équité, de pertinence et d’efficience des dépenses publiques. Depuis maintenant deux ans, une réforme du mode de financement de la psychiatrie a été engagée avec l’ensemble des organisations représentatives du secteur. Cette réforme, initialement prévue pour le 1er janvier 2021, a été reportée d’un an et doit entrer en vigueur au 1er janvier 2022.
Au lendemain d’une pandémie majeure, une nouvelle crise sanitaire, celle des troubles psychiques, se dessine. Il apparait plus que jamais indispensable de mieux financer la psychiatrie au service de tous et le bouclier sanitaire de la population en matière de santé mentale qu’est l’hôpital public, qui assure la grande majorité des prises en charge et l’essentiel des situations les plus difficiles.
Nous réaffirmons très fortement notre attachement à ce que la réforme du financement de la psychiatrie aboutisse au 1er janvier 2022. A rebours des enjeux de santé publique et du consensus de l’immense majorité des acteurs du secteur, un nouveau report conduirait à la pérennisation des inégalités territoriales d’accès à aux soins. Il nous parait nécessaire que les modalités d’entrée en vigueur de la réforme tiennent pleinement compte des conséquences de la crise Covid actuelle et des attentes des acteurs du service public, et nous réaffirmons collectivement notre attachement à l’égard des principes suivants :
- Un modèle de financement commun à tous les acteurs publics et privés est indispensable. L’allocation des ressources doit, partout sur le territoire, décliner une seule politique de santé mentale et favoriser la pertinence des financements ;
- La dotation populationnelle doit être, demain, le vecteur de financement essentiel pour réduire les inégalités en santé. Par conséquent, le compartiment activités spécifiques doit demeurer limité à des activités de ressort national, tout en octroyant un financement dédié au niveau régional par le biais de la dotation populationnelle pour les activités de recours régional. Ces activités, qu’elles soient de niveau national ou régional, devraient en outre autant que nécessaire faire l’objet d’un cadrage par un cahier des charges défini nationalement.
- La réforme du financement, qui repose essentiellement sur une dotation populationnelle, ne saurait en aucun cas conduire à terme à l’introduction d’une « T2A » en psychiatrie. Nous rappelons notre opposition de voir émerger un financement à l’activité basé sur la pathologie qui nous parait incompatible avec les soins effectués en psychiatrie. Nous demandons en outre que la part dévolue à la DFA pour le modèle de financement du secteur public n’excède pas 15% du total ;
- Le modèle de financement prévoit une dégressivité des tarifs en ce qui concerne la dotation file active. Nous souhaitons la suppression de ce principe, l’enjeu important de la durée pertinente des séjours devant relever d’un travail spécifique qui pourra être conduit dans un second temps (indicateurs qualité) ;
Enfin, afin de compenser le sous-financement historique de la psychiatrie publique, nous réitérons notre demande forte d’une remise à niveau des ressources des établissements historiquement sous dotation (DAF) à hauteur de 5% de son financement actuel, ainsi qu’une évolution du financement de la psychiatrie au moins égale au niveau de l’ONDAM pour les années à venir. Il est impératif de donner des perspectives d’évolution des ressources sécurisantes au secteur pour garantir la pérennité des missions qu’il assure et au regard de la spécificité des patients qu’il accueille (soins sans consentement, précarité, comorbidités addictives), particulièrement dans un contexte de développement important de troubles psychiatriques issus de la crise sanitaire.
Le projet de réforme du financement de la psychiatrie a fait l’objet de nombreuses concertations au cours des deux dernières années, et nous sommes proches d’aboutir à un modèle de financement commun, qui soutiendra une politique de santé mentale unifiée et cohérente à l’échelle du territoire. Les acteurs du secteur public, qui représentent l’essentiel des prises en charge et sont en première ligne au quotidien, vous demandent de conduire à son terme un projet de réforme synonyme de pertinence des soins et des financements, d’égalité en santé et d’équité entre acteurs.
Nous vous prions de croire, Monsieur le Premier ministre, à l’assurance de notre très haute considération.
Marie-José Cortes Présidente du SPH
Marie-Noëlle Gérain Breuzard Présidente Conférence des DG de CHU
Thierry Godeau Président Conférence des PCME de CH
Pascal Mariotti Président ADESM
Christian Muller Président Conférence des PCME de CHS
François-René Pruvot Président Conférence des PCME de CHU
Francis Saint-Hubert Président Conférence des Directeurs de CH
Norbert Skurnik Président (par intérim) IDEPP
Michel Triantafyllou Président du SPEP
Frédéric Valletoux Président FHF