Programme de soins : quel statut juridique pour le patient?

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En 2011, le législateur a prévu un dispositif de prise en charge intermédiaire entre l’hospitalisation complète sous contrainte et le soin libre, le programme de soins. L’expérience montre que le statut de « l’usager sous programme de soins » est ambigu en particulier lorsque le patient séjourne à l’hôpital ou ne se présente pas à un rendez-vous.

Le législateur a organisé deux modalités de prises en charge dérogatoires aux « soins librement consentis » :

L’hospitalisation à temps plein sous contrainte. Modalité traditionnelle, elle consiste à priver temporairement le patient souffrant d’une pathologie mentale de sa liberté d’aller et de venir. L’autorité administrative (préfet dans le cadre d’une mesure de Soin à la demande d’un représentant de l’État [SDRE] ou directeur en mesure de soin à la demande d’un tiers [SDT]) habilite alors l’équipe soignante de l’établissement de santé à employer des moyens de contrainte « adaptés, nécessaires et proportionnés » à son état de santé. La personne ainsi prise en charge contre sa volonté devient un usager contraint de l’hôpital, qui doit en conséquence adapter ses modalités d’organisation afin de respecter les droits fondamentaux de l’individu (CAA Bordeaux, 6 novembre 2012, n°11BX01790, à propos de la sexualité des patients hospitalisés sous contrainte). Depuis 2011, la légalité de ces mesures individuelles privatives de liberté est systématiquement contrôlée par le juge des libertés et de la détention (JLD) qui statue au plus tard le douzième jour (art. L. 3211-12-1-I du code de la santé publique). Afin de limiter la contrainte au strict nécessaire, la loi a d’ailleurs prévu la possibilité pour un patient de demander à quitter pour une courte durée l’établissement (sortie accompagnée de moins de 12 heures ou sortie non accompagnée de moins de 48 heures (art. L. 3211-11-1 du code de la santé publique). Durant ces sorties, le patient reste juridiquement en hospitalisation complète sous contrainte et demeure un usager de l’établissement.

Le programme de soins (art. L. 3211-2-1 du code de la santé publique). Cette modalité de prise en charge est beaucoup plus problématique d’un point de vue juridique. Lorsqu’il est placé sous programme de soins, l’individu n’est pas privé de sa liberté d’aller et de venir et, théoriquement, aucune mesure de contrainte ne peut être employée à son encontre. C’est ce qui ressort de la décision du Conseil constitutionnel 2012-235 QPC en date du 20 avril 2012. Dans cette affaire, une association souhaitait que le juge clarifie le statut du patient en programme de soins, en particulier lorsque la mesure comportait des séjours réguliers à l’hôpital. En une formule, le juge constitutionnel a sérieusement compliqué la mise en œuvre des prises en charge alternative à l’hospitalisation complète sous contrainte. Il applique en effet au programme de soins une rigoureuse logique juridique qui s’avère être en décalage avec la réalité quotidienne de la psychiatrie. Selon lui, un programme de soins peut parfaitement comporter des périodes d’hospitalisation (à domicile, séjours à temps partiel ou séjours de courte durée à temps complet), mais « les dispositions de l’article L. 3211-2-1 n’autorisent pas l’exécution d’une telle obligation sous la contrainte ; que ces personnes ne sauraient se voir administrer des soins de manière coercitive ni être conduites ou maintenues de force pour accomplir les séjours en établissement prévus par le programme de soins ». En 2013, le législateur a d’ailleurs inscrit dans le code de la santé publique une disposition reprenant ce point de vue en écrivant qu’ « aucune mesure de contrainte ne peut être mise en œuvre à l’égard d’un patient [sous programme de soins] ».

Sanction des "faux" programmes de soin

Une récente décision de la Cour de cassation (C Cass, 4 mars 2015, req. n° 14-17824) vient d’ailleurs de tirer les conséquences de ces dispositions en décidant qu’il appartenait au juge judiciaire de sanctionner les « faux programmes de soins », autrement dit requalifier en hospitalisations complètes sous contrainte les formes de prises en charge qui conduisent à retenir une personne contre sa « volonté » à l’hôpital ou à employer contre lui la force. Cela sera notamment le cas, lorsqu’un « prétendu programme de soins » comporte de fréquentes périodes d’hospitalisation entrecoupées de courtes périodes de sortie (1). Pour le juge judiciaire, un patient en programme de soins peut parfaitement faire des séjours en établissement mais à condition qu’il bénéficie des mêmes droits qu’un malade en hospitalisation libre (refuser le traitement, voire quitter les lieux à tout moment). Ces jurisprudences sont complexes à mettre en œuvre au quotidien.
– Certains psychiatres proposent parfois des programmes de soins comportant en alternance des périodes d’hospitalisation et des séjours à l’extérieur. Une telle prise en charge est parfois indispensable pour s’assurer que le patient adhère suffisamment (à défaut de consentir) à la démarche de soins mais également qu’il suit effectivement son traitement. La loi autorise et même encourage ce type de suivi préférant réduire au strict nécessaire les périodes de privation de liberté. Simplement, il faut que les équipes soignantes intègrent bien le fait que, lors de ses passages dans l’établissement, le patient est juridiquement en hospitalisation libre. Afin d’éviter tout risque de confusion et d’illégalité, ce type de programme de soins doit être manié avec précaution et, dans l’idéal, prévoir des périodes de sorties supérieures à 48 heures. Dans le doute, il est conseillé d’en soumettre systématiquement l’examen au JLD. La responsabilité de l’administration pourrait en effet être engagée si, à défaut de saisine automatique, la mainlevée de la mesure était prononcée suite à une requalification.
Il faut aussi signaler la difficulté rencontrée en cas de rupture du programme de soins. À la différence d’une injonction de soins, la loi n’a pas prévu de sanction du patient qui ne respecterait pas sa parole. Face une telle situation, il convient donc de trouver un dispositif conforme au droit afin « d’inviter » le patient à retourner voir le psychiatre afin que celui-ci vérifie si son état de santé s’est dégradé justifiant une transformation de la mesure en hospitalisation complète sous contrainte. En pratique, il est prévu que des conventions locales règlent cette « réintégration » du patient et organisent les relations entre les pouvoirs publics. De tels documents ne sont pas aisés à rédiger, en particulier lorsque le patient refuse de quitter son domicile ou qu’il est introuvable. Malheureusement, le projet de loi sur la santé publique n’a pas prévu de clarifier ce point.

Éric Péchillon, Maître de conférences, Université de Rennes 1

1– Le raisonnement du juge est le suivant : « attendu que l’ordonnance rappelle, à bon droit, que, s’agissant des mesures prévues par un programme de soins, il incombe au juge de vérifier si l’hospitalisation mise en place constitue une hospitalisation à temps partiel au sens de l’article R. 3211-1 du code de la santé publique et non une hospitalisation complète ; qu’après avoir constaté que le programme de soins incluait l’hospitalisation à temps partiel de Mme X… et limitait ses sorties à une ou deux fois par semaine et une nuit par semaine au domicile de sa mère, le premier président a pu en déduire que ces modalités caractérisaient une hospitalisation complète assortie de sorties de courte durée ou de sorties non accompagnées d’une durée maximale de quarante-huit heures, telles que prévues par l’article L. 3211-11-1 du code précité ; qu’abstraction faite du motif surabondant critiqué par les deuxième et sixième branches, il a légalement justifié sa décision [requalification et mainlevée] ».