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4e colloque organisé par le réseau international Méthodes projectives et psychanalyse.
Aux commencements était l’acte… et donc le corps.
Du point de vue de la clinique psychanalytique, le corps, dans ses interactions avec le psychisme est d’emblée l’objet des préoccupations de Freud. L’hystérie à travers ses manifestations de conversion dévoile l’existence d’un corps érotique, représenté psychiquement, différent du corps biologique et de ses fonctions, corps susceptible de figurer et de dramatiser les conflits psychiques d’un sujet. A la différence de l’hystérie, les névroses actuelles expriment et « déchargent » directement dans le corps biologique, dans le soma, une excitation sexuelle non représentée, non symbolisée. Ces deux voies d’écoulement de l’excitation donneront lieu à la mise en évidence de deux grands modes de (dys)fonctionnement psychique, l’hystérie devenant le prototype des névroses à transfert, alors que les névroses actuelles illustreront les manifestations dites psychosomatiques ; opposition binaire complexifiée aujourd’hui, où de nouvelles modélisations des pathologies à forme d’expression somatique renvoient aux difficultés de mise en oeuvre des premières formes de l’activité de symbolisation et à l’existence de traumas primaires.
C’est l’exploration des nouvelles formes de la clinique contemporaine et notamment des pathologies lourdes, qui a motivé l’attention de plus en plus grande portée par les cliniciens contemporains à la prise en compte du corps et de la sensorialité, plus précisément de la sensori-motricité. Il s’agit de cliniques réputées difficiles, cliniques de la psychose, psychopathologie des agirs violents contre soi ou contre autrui, addictions, troubles des conduites alimentaires, etc. Le corps dissocié, morcelé, halluciné, dévitalisé, intrusé, sacrifié, est aussi au cœur des problématiques mélancoliques, hypocondriaques, masochistes. Le terme même de limite (pathologies, états, fonctionnements limites), métaphore spatiale, convoque immédiatement la question du corps représentable/irreprésentable, et donc de ses relations avec le psychisme du sujet et ses liens avec ses objets d’amour, soit l’équilibre entre investissements narcissiques et objectaux. Le corps est encore convoqué si l’on évoque une clinique développementale : bébé, jeune enfant, adolescent, vieillissement.
Cette centralité clinique du corps va se retrouver dans la théorie, la métapsychologie, l’invention de la pulsion articulant corps et psyché : « mesure de l’exigence de travail imposée au psychisme en conséquence de sa liaison au corporel ». Le développement psychique, sexuel dans son essence, car vectorisé par la recherche du plaisir et l’évitement du déplaisir, s’effectue en étayage sur le corps et ses fonctions, sur le perceptivo-sensoriel : « rien n’est dans la pensée qui n’ait déjà été dans les sens (…) le moi est avant tout un moi corporel, il n’est pas seulement un être de surface, mais il est lui-même la projection d’une surface ». Les mécanismes par lesquels se structure le psychisme, l’introjection et la projection, ont pour prototype des mécanismes corporels : l’incorporation et l’excorporation.
Pour autant Freud ne laissera pas de théorie unifiée des rapports entre le corps et le psychisme ; le terme Corps n’apparait pas dans le Laplanche et Pontalis, ni dans le dictionnaire Freudien (Le Guen). Probablement est-ce une des raisons pour lesquelles ces rapports seront spécifiquement travaillés dans la psychanalyse contemporaine anglo-saxonne (Winnicott, Bick, Tustin, Meltzer…) ou française (Lacan, Marty, Green, Mc Dougall, etc.) en particulier à travers les concepts contemporains de Moi Peau (Anzieu), de Moi corporel (Haag). De façon générale, on constate que la plupart des théoriciens analystes du vingtième siècle ont été confrontés, face aux cliniques difficiles évoquées ci-dessus relevant de « situations extrêmes de la subjectivité », à la nécessité d’introduire des concepts spécifiques pour pouvoir penser l’importance du corps, du sensoriel, de la motricité, en articulation avec la psyché : les signifiants formels (Anzieu), les signifiants énigmatiques (Laplanche), le pictogramme (Aulagnier), ou encore la symbolisation primaire (Roussillon et l’école Lyonnaise).
Ce colloque visera à interroger la façon dont les projectivistes, aujourd’hui, en référence à la psychanalyse comme clinique et théorie, décrivent et interprètent la clinique, (ré)interrogent les concepts et parfois proposent des avancées théoriques dans ce débat concernant l’articulation corps-psyché. Par définition, les épreuves projectives impliquent une interaction entre perception et projection. Les relations corps-psychisme s’y donnent à voir à travers des notions comme l’image du corps, la représentation de soi, l’identité et l’identification, dans leur articulation aux représentations d’objet, et ce tant dans leurs déclinaisons normales que pathologiques. Mais qu’en est-il aujourd’hui de ces notions, souvent opérationnelles, parfois convenues (image du corps) ? Les épreuves projectives peuvent–elles éclairer la compréhension des formes psychopathologiques contemporaines mettant en jeu davantage une symptomatologie somatique ou corporelle que mentale ? Permettent–elles d’investiguer et de discriminer les aspects sensoriels, affectifs, représentatifs ? Comment les épreuves projectives mettent elles en jeu la sensorimotricité d’un sujet et lui permettent elles un travail de symbolisation de ces expériences ? Dans les méthodologies projectives, la fonction du medium est d’abord celle d’un attracteur sensoriel, qui permet le transfert d’expériences primitives sur l’objet médiateur car il réactualise des traces perceptives, des expériences archaïques, qui concernent les états du corps et les sensations. Le contexte de la passation du Rorschach, du TAT et d’autres tests projectifs, relance la virtualité symbolisante, notamment pour des pathologies lourdes, en panne de symbolisation.
Telles seront les questions travaillées dans ce colloque dont l’ambition est de montrer que les épreuves projectives restent, bien sûr, un instrument clinique puissant d’investigation du fonctionnement psychique, mais également un interrogateur fécond dans les débats théoriques et épistémologiques d’aujourd’hui.
Rens. : benjamin.aniel@univ-lyon2.fr