05 Juin 2020 - Rennes

Clinique(s) de l’urgence : Grandes manoeuvres et petits arrangements

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RENNES

3es Rencontres Puls-Médecine

Il existe un lieu où tout le monde peut s’adresser 24 heures sur 24 pour trouver réponse à son inquiétude. Certains s’y précipitent, où hésitent avant de venir, quelques-uns n’ont pas d’autre choix que de s’y rendre, d’autres enfin y sont conduits par obligation. Dans ce lieu aux allures parfois surréalistes où se côtoient les situations les plus variées, les professionnels ont revêtu la blouse qui les prépare à accueillir toutes les détresses. Les services d’urgences, lieux neutres où chacun sait qu’il sera accueilli, soigné, parlé, sans jugement et sans aucun motif d’exclusion, accueillent tout un chacun – des accidentés aux « habitués ». Il restera aux professionnels de santé à gérer l’affluence… ce qui est aujourd’hui communément admis de nommer la régulation des flux… en fait, ce sont des patients ! Il existe donc des lieux où une place est faite à chacun quel que soit le motif de son appel et de sa venue.

Dans la salle d’attente des urgences, ils sont tous là, en détresse, en attente : échanges de regards, échanges de paroles parfois aussi, partenaires d’un soir, d’une nuit, tous confinés là par la contingence. Ils attendent d’être appelés, d’être pris en charge, moment où la parole se libèrera peut-être enfin. Pour certains, il n’existe pas d’autre lieu qui leur offre la garantie qu’une place leur sera faite. C’est peut-être aussi ça qui fait l’affluence.

Les urgences sont devenues un véritable goulot d’étranglement, régulièrement remises en question par les politiques, qui renvoient la responsabilité trop souvent au même manque, celui de l’organisation de la permanence des soins alors que la cardiologie, la pédiatrie, les atteintes vasculaires, la gynécologie et bientôt la gériatrie ont créé leurs propres voies d’accès aux soins, leurs propres services d’urgence ; et ce, grâce aux progrès dans ces disciplines.

Le 15, est devenu en quelques années, ce numéro que vous trouvez partout, prêt à déclencher les plus grandes manœuvres.Le numéro est sur toutes les boîtes de répondeur, sur tous les protocoles d’entreprises, de crèches, d’écoles même d’hôpitaux, ou de mairies. Si le numéro est « sécuritaire », il garantit surtout, quelle que soit « la détresse ou l’angoisse, qui fait effraction », qu’il y aura quelqu’un au bout du fil qui écoutera et, si besoin, qui orientera vers le service le plus adapté.

L’urgence nous plonge dans une clinique de l’instantané qui réclame une réponse qui n’a pu avoir lieu ailleurs et bien souvent sans consentement du sujet. Mais l’introduction d’une subjectivité n’est jamais très loin. C’est en quoi les professionnels sont formidables, font appel à leur savoir-faire et traitent des situations cliniques – pour certaines d’entre elles – abominables.

L'urgence généralisée

Si le patient réclame, le sujet demande et appelle : et souvent « ça urge » ! L’appel est adressé tout autant à un médecin généraliste qu’à une sage-femme, un professionnel de services de médecine qu’à un pompier ou un policier… Les étudiants en médecine le repèrent très tôt : « Nous serons tous des urgentistes ! » Avant même d’être sur le terrain, le jeune étudiant en Faculté de médecine semble déjà savoir ce qui l’attend ; il entend parler de la grève de l’hôpital public, la grève des services d’urgences et du samu. Comme futur médecin, il sait déjà qu’il n’hésitera pas une seconde si la question de la vie et/ou de la survie d’un patient est en jeu. Il s’est engagé en médecine pour cela. Mais la question n’est pas là. Cet étudiant a déjà repéré que d’autres cartes jouent leur partie sur la scène de la prise en charge : exigence de réponse rapide, transformation d’une demande et/ou d’un appel en commande de résolution express de l’affection somatique, réparation du moindre bobo, exigence de la disparition de tout signe clinique morbide. L’heure contemporaine, et ses idéaux, tend à priver chacun de sa parole, patients comme soignants, poussant à l’agir, voire au passage à l’acte, alors que la demande dit autre chose et vise bien souvent un au-delà. En effet, l’idéal contemporain désormais allié aux avancées de la science tend à nier ce qui résiste à toute résolution thérapeutique. Et pourtant…

Aujourd’hui, chaque professionnel de santé – « gens de médecine » – est utilisé pour ses compétences toujours plus accrues. Mais la question demeure plus que jamais : pouvons-nous guérir de tout ? N’y aurait-il pas un reste, un reste qui fait butée, voire objection ? La psychanalyse a nommé symptôme l’invention d’un sujet pour dire ce qui échappe aux mots.

La frontière, entre patient et maladie, malade et atteinte physique, énonciation du patient et science, singulier et protocole, ou bien ‘sujet’ et ‘plan d’accueil individualisé’ n’a jamais été aussi confuse, floue, mêlée, imprécise, indiscernable. C’est l’effacement du symptôme, version psychanalyse, c’est l’écrasement du sujet-patient.

Nous ne guérirons pas de ce qui fait notre spécificité d’humain :  un être de langage, pris dans le langage. Par cet habitat langagier, nous sommes frappés du malentendu fondamental qui gît au cœur de la dialectique du rapport à autrui et du rapport à l’Autre. Cette dialectique est le point névralgique de tout dispositif qui engage une relation au patient. Cette relation, Freud l’a nommée, il y a plus d’un siècle, transfert. Les « gens de médecine » sont pris dans un transfert, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils le situent au cœur de leur pratique ou non, qu’ils l’analysent ou pas. Quand Freud puis Lacan avancent que le symptôme est déjà traitement du réel par le patient lui-même, il y a à parier que l’exigence d’une résolution rapide, voire d’une disparition immédiate des symptômes, participe de nier le non rapport logique et structural – qui fonde pourtant l’altérité constituante. La prise en compte du transfert et l’oreille tendue au montage signifiant – auquel chacun est soumis – ne concernent pas que les psychanalystes. En revanche, il est vrai que les psychanalystes ont fait du transfert l’opérateur logique de leur pratique et la raison de leur acte. Le psychanalyste opère donc à partir d’une manœuvre, celle du transfert.

D'où chacun s'autorise ?

Une question demeure pour chacun, et quelle que soit sa profession dans le domaine du soin : « D’où chacun s’autorise ? » Le groupe de recherche Puls-médecine ne cherche pas à répondre à cette question mais la situe au cœur de tous ses travaux : « ateliers cliniques » d’élaboration de situations cliniques tous les deux mois au chu de Rennes. « Après-midis d’étude » à partir d’un thème ou à partir de la venue d’un invité – un professionnel à même de dire quelque chose de son acte. « Rencontres » sous forme de « colloque annuel » rendant compte, à un plus grand nombre, des inventions et petits arrangements de chacun quelle que soit sa profession. Puls-médecine propose des lieux d’élaboration et de réflexion à plusieurs, et tient à transmettre au plus grand nombre, régulièrement, ses avancées. Nombreuses situations cliniques illustrent la rencontre que chacun peut faire avec ce qui peut surgir dans sa pratique – « Un réel qui se rencontre comme butée ». À partir de là, naissent des inventions, des petits arrangements qu’ils utilisent et créent dans leur rencontre avec un patient. Parce que le patient est aussi un Sujet – Sujet d’une dialectique, d’une structure, et objet d’un fantasme et d’une jouissance « par lui-même bien souvent ignorée ». L’accueil que chaque professionnel de santé fait à un patient – quelle que soit la demande énoncée et la réponse médicale qui peut y être donnée – est gage d’inattendu, de surprises… les meilleures comme les pires aussi parfois.

L'urgence : trauma ou réveil ?

Christiane Alberti, avec le Docteur Jacques Lacan, nous enseigne sur un autre versant de l’urgence. Voyons : « Il n’y a aucun progrès, aucune rencontre amoureuse, aucun changement dans la vie, sans l’urgence… Et elle appelle un dépassement dans la parole ». Voici une version de l’urgence qui pourrait bien aider à ce que l’objet urgence des médecins – passionnés – reste désirable. C’est peut-être là que les professionnels peuvent encore garder leur vocation à travailler à cet endroit contre vents et marées. Nous devons nous projeter dans un futur proche et nous interroger : qu’est-ce qu’un urgentiste au 21ième siècle ? Où peut-il encore loger la satisfaction de son travail ? Au même moment, des psychanalystes n’ont de cesse d’inventer dans leur cabinet des réponses à l’urgence. Le 15 n’est pourtant pas affiché sur le fronton de leur cabinet mais c’est parfois tout comme – parfois pris comme lieu de la garantie de l’Autre.  Pas d’autre choix pour eux, parfois, de manœuvrer, de faire appel à quelques autres et de trouver, eux aussi, des petits arrangementspour viser l’apaisement. Mais les psychanalystes accueillent aussi des patients sans aucun rapport avec l’urgence, installés dans des positions d’ennui et d’inertie puissantes : il s’agira pour eux de réintroduire ces patients au vivant, à l’urgence en somme : une urgence créatrice ? à partir de quelques mots. Eric Laurent parlait de cette fonction de réveil que le psychanalyste peut prendre quand l’inertie est généralisée : « Appelons le psychanalyste ainsi défini – pour parodier Winnicott – un traumatisme ‘suffisamment bon’ pour qu’il pousse à parler ».

L’urgence peut donc être aussi un moment propice de création car elle ouvre à la nécessité de l’invention. Elle peut donc être pour les patients, l’occasion d’une rencontre avec des professionnels du monde médical qui accueillent, interviennent mais surtout parlent !

Cette urgence créatrice nous pousse à nous tourner vers les artistes – ce que Puls-médecine a toujours fait. Urgence à créer ? Urgence à écrire ? Urgence à sublimer ? L’offre d’ateliers cliniques tout au long de l’année change le rapport au temps pour les professionnels qui les suivent et, en toute logique, l’élaboration des situations cliniques présentées. De l’impossible à traiter nous orientons nos préoccupations cliniques vers la contingence d’une rencontre possible. Et, parce qu’elle engage chacun, le patient comme le professionnel – ces êtres de langage et de parole – leurs petits arrangements avec la rencontre modifient le rapport au temps… François Ansermet avec le Dr Lacan, l’illustre ainsi : « la langue est vivante pour autant qu’à chaque instant on la crée. Et une langue vivante est indispensable pour penser les défis du vivant. D’où l’importance des artistes, des écrivains, des créateurs, pour aller vers une représentation de l’irreprésentable ».

« Dans la création, rien n’est statique » avance Laëtitia May Le Guelaff, artiste engagée auprès de patients en pédiatrie. Par la création, le temps qui passe est suspendu et met le sujet dans un mouvement tout autre. Et ça parle ! Les patients viennent modeler dans l’argile quelques formes sans aucune exigence. Une offre. Exit un atelier artistique qui occupe les patients ! « ça foisonne ». Exit un atelier ou un groupe à visée thérapeutique ! « Vite finir, et mince le temps de séchage ». Exit un atelier qui s’impose aux patients et demande présence ! Au contraire, les patients savent bel et bien qu’il existe un lieu qui accueille et qui ne réclame rien.

Si nous avions un message à envoyer aux politiques, nous retiendrons sans nul doute ces propos d’Eric Laurent : « Ils doivent créer des dispositifs dit d’amont et d’aval, qui changent ce rapport au temps afin que les soignants soient libérés de l’objet du devenir de leur patient, pour proposer cette offre de parole, cette offre de création, précieuse, condition pour que tous les registres d’invention cités ci-dessus soient rendus possibles et ne pas laisser cet instant d’urgence hors sens et inventer ‘les nécessaires mots’ face au surgissement de l’inopiné »

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