Le CGLPL alerte sur la « violation grave » des droits des patients au CH du Rouvray

FacebookTwitterLinkedInEmail

Après une visite réalisée en octobre 2019 au Centre hospitalier du Rouvray (CHR) à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), le Contrôleur général des lieux de privation de libertés (CGLPL) publie au Journal officiel des recommandations en urgence. Ses constats les plus alarmants portent sur la liberté d’aller et venir, les conditions d’hébergement, les pratiques d’isolement, l’information des patients et la prise en charge (matérielle et sanitaire) de certains enfants hospitalisés.

Cette procédure est engagée lorsque le CGLPL constate « une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de libertés de sa visite ». Lors de sa visite de l'établissement, du 7 au 18 octobre 2019, le CGLPL a observé « des conditions de prise en charge indignes et des dysfonctionnements institutionnels graves, susceptibles de constituer un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. »  Ses recommandations pointent notamment :

des conditions d’hébergement dégradées et aggravées par la suroccupation des unités.

Les locaux d’hospitalisation complète, implantés dans des pavillons construits à différentes époques, présentent « des niveaux d’indignité variés, indépendamment de leur date de construction ». Des chambres de 8 m2 dans une unité sont particulièrement exigües. Sauf rares exceptions, les portes sont percées d’un large fenestron portant atteinte à l’intimité des patients lesquels, en revanche, ne disposent d’aucun moyen pour faire appel au personnel soignant. Des portes de chambres ne sont équipées ni d’un verrou intérieur ni de serrure à code. Les chambres d’au moins trois unités n’ont pas de sanitaires individuels : les WC comme les douches sont collectifs. La présence de seaux hygiéniques a été constatée dans des chambres d’hospitalisation à l’occasion de « temps calmes » imposés au patient. Le mobilier est trop souvent incomplet (table, chaise, table de chevet), notamment dans les chambres collectives. Les lunettes sont majoritairement absentes des cuvettes de WC. Des portes de placard sont dépourvues de fermeture et même de poignée : il faut se baisser et passer un doigt sous la porte pour l’ouvrir. Faute de permettre l’accès à des espaces extérieurs, des unités ont organisé en leur sein l’accès à un fumoir dépourvu d’extracteur d’air, les soignants d’autres unités ne peuvent que tolérer le fait que des patients fument à la fenêtre de leur chambre voire des WC.
La majorité des patients est hospitalisée dans une chambre double ou triple. La suroccupation des unités (101,3 % en moyenne en 2018, 107,7 % le 3 octobre 2019) oblige à l’installation de lits supplémentaires ou de lits dits d’urgence, par ajout d’un lit de camp dans une chambre simple ou double (conduisant à son doublement ou à son triplement). Il n’est pas rare qu’un lit soit installé dans un bureau ou dans le salon de visites des familles, ou qu’un patient soit maintenu en chambre d’isolement. Les conditions de vie sont particulièrement dégradées par la promiscuité, dans la chambre ou dans l’unité.

– des atteintes à la liberté d’aller et venir de l’ensemble des patients, se répercutant sur la qualité des soins.

Seules deux unités étant ouvertes sur vingt-trois, très peu de patients sont autorisés à circuler librement dans le parc de l’établissement hospitalier. Les patients d’une unité n’y sont autorisés que l’après-midi. Dans une autre unité, l’autorisation n’est donnée aux personnes en soins libres que si les personnes en soins sans consentement sont confinées derrière une porte qui scinde l’unité en deux parties. 
Dans les vingt-et-une unités fermées – dix-neuf totalement, deux partiellement – les mêmes restrictions s’appliquent indistinctement aux patients en soins sans consentement et aux patients en soins libres. Le droit de libre circulation des patients en soins libres est soumis à la disponibilité des soignants pour ouvrir la porte de l’unité. Ils sont de facto contraints d’être hospitalisés sans même pouvoir accéder aux dispositifs mis en place hors des unités (la lingerie où sont distribués des vêtements pour ceux qui en sont démunis, l’épicerie de la cafétéria où sont vendus des produits d’hygiène, le bureau des entrées où sont conservés les biens et les valeurs des patients, le culte, etc.). Concernant les patients en soins sans consentement, il convient de rappeler que nulle disposition dans les textes n’indique que ceux-ci doivent être privés de leurs droits ipso facto, y compris celui d’aller et venir : tout restriction doit être individuelle, décidée en fonction de son état clinique, après évaluation médicale.
De fait, les patients sont également entravés dans leur accès aux activités thérapeutiques ou occupationnelles conduites à l’extérieur des unités par un unique agent en charge du sport, par une équipe spécialisée en addictologie ou encore par une équipe technique en charge d’une serre, de même que dans leur accès à la cafétéria ouverte pour l’ensemble du site. Dans les unités elles-mêmes, les activités mises en place par les soignants sont rarissimes. Dans ces conditions, l’ennui et le désœuvrement règnent, les conditions de vie quotidienne sont difficiles et la préparation de la sortie d’hospitalisation se trouve, de fait, ralentie.
En outre, au prétexte de limiter le risque de fugue, le port du pyjama est imposé à certains patients, et s’y ajoute parfois la prescription d’une sédation. Enfin, il a été observé que de janvier à octobre 2019, 78 mesures de soins libres ont été transformées au cours du séjour en mesures de soins sans consentement ; la part des journées d’hospitalisation passées sous statut de soins sans consentement atteint près de 42% au cours des six premiers mois de l’année 2019, en augmentation depuis 2016. Les calculs effectués sur la base des données communiquées par l’établissement concernant les patients présents le 7 octobre 2019 dans les unités visitées concordent avec ce pourcentage de soins sans consentement. Cette situation est symptomatique de préoccupations et précautions sécuritaires privilégiées au détriment de l’alliance thérapeutique et de l’adhésion aux soins. 

– Des mesures d’isolement prises en contradiction avec les textes applicables et portant gravement atteinte à la dignité humaine

Parmi les 23 unités contrôlées, 41 chambres d’isolement sont identifiées, et réparties dans 20 unités à raison de une à trois chambres d’isolement par unité. Au moment de la visite, deux chambres étaient inutilisées en raison de travaux pour encore quelques semaines.
Tant la décision initiale d’isolement que le renouvellement de la mesure s’affranchissent des règles en vigueur. En contradiction totale avec l’article L322-5-1 du code de la santé publique, certaines décisions mentionnent un isolement « si besoin », d’autres plus fréquentes « autant que nécessaire ». D’autres mentionnent leur validité pendant quinze jours voire un mois. Certaines enfin panachent « autant que nécessaire » et « un mois ». Des décisions sont prises par des internes sans validation par un médecin senior. Aucun renouvellement n’est effectué le dimanche ; les autres jours, le renouvellement est aléatoire. Les levées de mesure sont rarement enregistrées. Au jour du contrôle, 245 mesures étaient toujours en vigueur pour 30 patients comptabilisés comme étant en isolement.
La surveillance médicale – dont celle de l’état somatique – est insuffisante ; si les visites des médecins ont lieu, elles ne sont pas tracées. La fréquence et les modalités de la surveillance du patient par les soignants sont rarement définies ; la réalisation de la surveillance, elle-même aléatoire, est reportée de façon très variable dans le système d’information médico-soignant. Ce système est lui-même inexploitable concernant notamment les motifs des mesures d’isolement et de contention et les prescriptions médicales afférentes, le corps médical ayant refusé l’informatisation du dossier médical.
Dans ces conditions, la traçabilité de la mise en œuvre d’une mesure d’isolement ou de contention, comme celle de la surveillance médicale et infirmière, se révèle concrètement entachée de multiples insuffisances et de fait impossible. Le registre d’isolement et de contention n’a pas de fondement fiable et n’est pas exploitable.
Parallèlement, les conditions matérielles de l’isolement sont souvent indignes. Faute de WC accessible en permanence au patient isolé, les chambres d’isolement sont équipées de seaux hygiéniques, dont certains sont démunis de couvercle ; des patients isolés sont contraints de respirer l’air vicié par l’odeur de leurs excréments. Certaines chambres sont imprégnées d’une odeur d’urine. Faute de bouton d’appel dans la plupart des chambres d’isolement, les patients doivent alors frapper à la porte par tous moyens pour alerter le personnel soignant, au point de s’infliger des blessures physiques, d’autant plus que les chambres d’isolement sont trop souvent éloignées des bureaux infirmiers. 
Par ailleurs, les patients doivent revêtir systématiquement le pyjama de l’hôpital, voire – même si c’est dans de rares cas – sont laissés nus dans la chambre d’isolement au motif d’un risque suicidaire. Enfin, la suroccupation des unités d’hospitalisation ne permet pas de conserver au patient isolé sa chambre d’origine ni même une autre chambre d’hospitalisation dans la perspective de sa sortie ; il est en conséquence maintenu dans cette dernière, alors utilisée comme une chambre normale assortie de conditions variables de circulation dans le service en journée et toujours fermée de l’extérieur la nuit, sans accès aux sanitaires dans de trop nombreux cas. Une période d’isolement est systématique pour les personnes détenues nouvellement hospitalisées, malgré l’existence d’une unité dédiée sécurisée.
Des motifs punitifs ou la volonté de contraindre à la thérapie des personnes en soins libres justifient parfois le recours à l’isolement. 
De telles pratiques démontrent à la fois une banalisation mais aussi un dévoiement de l’utilisation de l’isolement, lequel ne doit intervenir que comme une mesure de dernier recours, à des fins exclusivement thérapeutiques et pour un temps le plus court possible, comme l’exige la loi.
Le rapport annuel rendant compte des pratiques d’isolement et de contention, établi en 2018 sur la base d’un registre inexploitable, ne propose aucune comparaison des pratiques entre les unités d’hospitalisation et ne livre aucune analyse sur les moyens employés pour réduire le recours à l’isolement et à la contention, comme l’exigent les textes.

– Des patients laissés dans l’ignorance de leur statut d’hospitalisation et de leurs droits
Outre un défaut général d’information sur les dispositifs en place au sein des unités et dans l’hôpital, les patients en soins sans consentement sont insuffisamment associés aux phases successives de la procédure. Leurs observations ne sont ni recueillies, ni consignées. L’information qui leur est donnée dans leur unité d’hospitalisation, malgré les outils didactiques et complets mis en place par l’établissement, est sommaire et résulte au mieux de quelques explications orales, insuffisantes. Des documents ne sont pas systématiquement transmis aux patients mais stockés dans les bureaux infirmiers, voire détruits par les patients à qui ils ont été remis sans aucunement attirer leur attention
sur l’importance de tels documents. La notification de la convocation devant le juge des libertés permet parfois, de façon erronée, de recueillir le consentement du patient à honorer cette convocation.
Si le personnel rencontré a souvent fait état d’une formation succincte aux soins sans consentement, le champ lexical encore utilisé (services ouverts, services fermés utilisé comme synonyme de « patients hospitalisés sans leur consentement », HO, soins contraints, contrat de soins
en lieu et place du programme de soins, etc.) révèle des manques de connaissances essentielles en la matière, notamment quant aux droits des patients en soins sans consentement.
Le personnel en charge des patients en soins sans consentement doit être formé, particulièrement lorsqu’il est chargé de l’information de ces derniers sur leurs droits. De manière générale, les patients doivent être mieux informés des conditions de vie et de l’offre de soins pendant leur séjour dans l’établissement.

– Des enfants hospitalisés avec des adultes et parfois enfermés dans des chambres d’isolement
L’hospitalisation non programmée de mineurs adolescents n’est pas assurée en psychiatrie infanto-juvénile, l’unité Rimbaud (ou unité régionale d’hospitalisation des enfants et des adolescents, URHEA) ne répondant pas à l’ensemble des besoins. Les mineurs de plus de seize ans, mais parfois des enfants dès douze ans, sont hospitalisés de façon inadéquate et attentatoire à leurs droits dans les unités pour adultes. La prise en charge de certains d’entre eux, les heures ouvrées, par l’unité mobile pour adolescents hospitalisés (UMAH) ne peut être considérée comme un palliatif de nature à permettre des soins adaptés. Des incidents graves sont rapportés au sein des unités d’hospitalisation pour adultes, dont des adolescents seraient victimes, constitués de propos et gestes violents de la part de patients adultes, parfois de nature sexuelle, parfois relatifs à la consommation de produits stupéfiants, sans traçabilité ni suivi satisfaisants.
Dans l’unité Rimbaud comme dans les unités pour adultes, des mesures d’isolement sont décidées à l’encontre d’enfants et d’adolescents. Le caractère exceptionnel de telles mesures doit être
la règle et elles ne devraient en aucun cas être mises en œuvre à l’égard de mineurs de treize ans et à l’égard de tout mineur dans une unité pour adultes.
La création d’une unité de dix lits d’hospitalisation complète pour adolescents a été annoncée pour le dernier trimestre 2020.
Les patients mineurs ne doivent pas être accueillis avec des adultes. Dans tous les cas, leur suivi doit s’exercer sous le contrôle étroit d’un médecin et d’une équipe formés spécifiquement à la pédopsychiatrie.

La nécessité de disposer d’une chambre d’isolement doit être réfléchie en équipe, dans le cadre du projet médical. Le recours à cette pratique doit être évité par tout moyen ; il doit être totalement exclu dans les unités recevant des enfants de moins de treize ans.

Pour la CGLPL, l'ensemble de ces constats s’accompagnent de manquements à la déontologie professionnelle et constituent des violations graves des droits fondamentaux des patients. L’établissement « doit mobiliser l’ensemble de ses ressources afin de les faire immédiatement cesser » et également « très rapidement établir un projet médical ».

  • Recommandations en urgence du 29 octobre 2019 du CGLPL relatives au centre hospitalier du Rouvray à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), JO du 26 novembre, En savoir plus sur le site du CGLPL. Photo : chambre d'isolement dépourvue de sanitaires et équipée d'un seau hygiénique ® CGLPL