Encadrer l’exploitation commerciale de l’image des enfants sur internet

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Mercredi 5 février, les commissaires aux affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, ont salué et adopté à l’unanimité la proposition de loi de Bruno Studer, député LREM, visant à encadrer l’activité des enfants influenceurs sur internet.

Depuis plusieurs années, les « chaînes » mettant en scène des enfants se développent sur les plateformes de partage de vidéos, certaines disposant en France d’une audience pouvant atteindre plusieurs millions d’abonnés et totaliser des milliards de vues. Elles montrent généralement de jeunes enfants au travers de plusieurs types d’activités, qu’il s’agisse de déballer une multitude de jouets, de déguster des aliments – le plus souvent sucrés –, de dévoiler des scènes de la vie quotidienne – petit-déjeuner, routine matinale, sortie dans un parc d’attraction ou dans un lieu de restauration rapide, etc. –, de réaliser divers « défis » – le plus tristement célèbre étant le cheese challenge, qui consiste à envoyer des tranches de fromage au visage d’un enfant, généralement en bas âge – ou tutoriels, etc.

Au-delà même des activités réalisées par les enfants, qui peuvent soulever des questionnements au regard des droits de l’enfant, ces chaînes publient généralement plusieurs vidéos par semaine, ce qui suppose pour les enfants d’y consacrer, au total, un temps important, notamment en raison des prises de vues susceptibles d’être refaites. Or, contrairement aux enfants du spectacle, leurs heures de tournage et la durée de ceux-ci ne sont pas encadrées par le droit du travail. Par ailleurs, l’exposition médiatique dont bénéficient ces enfants pourrait ne pas être sans conséquence sur leur santé psychique. Au-delà de l’impact que peut avoir la célébrité sur le développement psychologique de ces enfants, les risques de cyber-harcèlement voire de pédopornographie se trouvent accrus.

En outre, sur le plan financier, ces programmes peuvent représenter une source de revenus importante pour les vidéastes – le plus souvent un membre de la famille –, grâce notamment à la publicité, qu’il s’agisse de coupures publicitaires ou d’encarts superposés à l’image, de contrats passés à des fins de placement de produits et, éventuellement, à la vente de produits dérivés. Ces différents revenus ne font l’objet d’aucun encadrement autre que le droit social et fiscal général. Ainsi, ce sont les titulaires des chaînes – les parents le plus souvent – qui perçoivent directement ces revenus, les enfants ne bénéficiant pas des dispositions protectrices du code du travail applicables aux enfants du spectacle, dont les rémunérations sont versées, jusqu’à leur majorité, sur un compte de la Caisse des dépôts et consignations.

Les difficultés soulevées par la propagation sur internet de chaînes d’enfants parfois très jeunes, qu’elles soient pédagogiques, éthiques ou financières, infusent dans le débat public et particulièrement aux États-Unis où le phénomène prend une ampleur accrue. Certains y plaident pour une application du California Child Actor’s Bill, qui protège les enfants acteurs, à ce phénomène nouveau, d’autant que la majorité des plateformes sont implantées en Californie. En 2018, le démocrate Kansen Chu, membre de l’assemblée de l’État de Calfornie, a présenté un amendement au California Child Actor’s Bill pour couvrir « l’emploi d’un mineur dans la publicité sur les réseaux sociaux », qui n’a pas été suivi d’effets.

L’objet de la présente proposition de loi est donc de mettre en place un cadre légal, pionnier au plan international, pour la réalisation de ces vidéos qui fasse prévaloir l’intérêt de l’enfant.

Elle étend d’abord le régime d’autorisation individuelle préalable applicable aux enfants employés dans le secteur du spectaclede la publicité et de la mode aux enfants dont l’image est diffusée à titre lucratif par des plateformes de partage de vidéos et dont l’activité entre dans le cadre juridique d’une relation de travail.

D’autre part, elle crée un cadre juridique protecteur pour les enfants de moins de seize ans qui participent à des vidéos diffusées par des plateformes de partage de contenus audiovisuels mais dont l’activité n’entre pas,stricto sensu, dans le cadre d’une relation de travail. Ce cadre juridique ad hoc introduit un régime de déclaration qui doit conduire à l’application de mesures protectrices, tant en termes d’horaires que de rémunération.

Elle ouvre aussi l’exercice du « droit à l’effacement » aux mineurs dont l’image est diffusée par une plateforme de partage de vidéos.

Enfin, elle dispose que les services de plateforme de partage de vidéos adoptent des chartes visant à améliorer la lutte contre l’exploitation commerciale illégale de l’image des enfants en matière d’information, de signalement et de détection des contenus problématiques en regard de ces nouvelles dispositions.

La proposition de loi sera examinée en séance publique mercredi 12 février après-midi et donnera lieu à l’examen de plusieurs amendements parlementaires de tous bords, visant à compléter les dispositions de l’article 4.