Le CGLPL dénonce une gestion sécuritaire en psychiatrie, qui dégrade la qualité des soins

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Adeline Hazan, Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), publie son rapport d'activité 2019, assorti de « recommandations minimales » pour le respect des droits fondamentaux des personnes dans tous les lieux de privation de liberté. En psychiatrie, elle constate que si les regards des équipes sur l'isolement et la contention ont évolué, l'application de certaines mesures d'isolement restent indignes. Par ailleurs, elle dénonce des restrictions de liberté parfois peu justifiées et le développement d'une tendance sécuritaire qui a pour effet de « faire disparaître le soin derrière la sécurité ». Extraits du dossier de presse sur la situation dans les établissements de santé mentale.

Comme chaque année depuis 2008, le rapport du CGLPL est pour l'institution l’occasion de faire un état des lieux de privation de liberté, d’analyser les suites données à ses recommandations et de rendre compte de son activité au cours de l’année écoulée.

Concernant la psychiatrie, en 2019, le CGLPL a visité trente-quatre établissements de santé habilités à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement. L’accueil réservé au CGLPL est en général attentif, coopérant au cours de la visite et réceptif à l’occasion des restitutions. Les recommandations, même lorsqu’elles reposent sur des constats très défavorables sont généralement bien accueillies car les soignants sont souvent conscients des limites de leur propres pratiques et désireux de surmonter les obstacles qui les empêchent d’y mettre fin.

– De nombreux établissements connaissent une suroccupation constante et importante

Lorsque les unités fermées n’ont plus de lit disponible pour un patient arrivant et estimé devoir relever d’une unité fermée, celui-ci est affecté dans une unité ouverte qui est alors fermée pour lui et donc pour tous les autres patients qui y séjournent. Des patients ne peuvent conserver leur chambre quand ils sont à l’isolement ou sortis en permission, d’autres sont hébergés sur des « lits d’appoint ». Les soignants et médecins sont accaparés par la recherche de lits, mettant de côté l’organisation des activités. 

a suroccupation s’accompagne souvent d’un manque de moyens en personnel. Dès lors, face à ces difficultés, des pratiques portant atteinte aux droits fondamentaux et à la dignité peuvent être instaurées, avec une tendance à les protocoliser pour leur donner un vernis de normalité.

Il est fréquent que les structures permettant d’accueillir des patients à leur sortie d’hôpital soient insuffisantes. Cette situation est à l’origine du maintien à l’hôpital de patients qui pourraient sortir mais qui, faute de solution d’hébergement, demeurent à l’hôpital et sont en partie à l’origine de la suroccupation.

– Les effectifs de soignant sont trop souvent insuffisants

Les soins psychiatriques sont en premier lieu déterminés par la présence de médecins et soignants dans les services et de leur disponibilité auprès des patients. La pénurie de médecins psychiatres affecte une part importante des établissements visités et les conséquences sont nombreuses : succession de médecins de compétences variables, patients qui ne voient pas toujours le médecin au moins une fois par semaine, etc.

La présence des soignants auprès des patients peut également être insuffisante, avec des effectifs en permanence au seuil de sécurité, ce qui sous-entend un fonctionnement en mode dégradé permanent et même pour une part sensible des jours et nuits, en dessous du seuil de sécurité.

La prise en charge médicale en psychiatrie s’accompagne dans plusieurs établissements d’une volonté de mieux contrôler les prescriptions et de développer l’autonomie du patient vis-à-vis de son traitement : éducation thérapeutique via des « ateliers du médicament », formation et information des soignants par le personnel de la pharmacie, mise en place d’une analyse des prescriptions si besoin et de leur évolution, développement de groupes de travail sur la recherche du consentement à certains traitements, etc. Ces initiatives mériteraient d’être étendues.
Enfin, la présence de médiateurs pairs, c’est-à-dire d’anciens patients qui ont reçu une formation universitaire spécifique pour accompagner ceux dont la prise en charge est encore en cours, contribue dans l’un des établissements visités à sécuriser les patients et à leur proposer une meilleure écoute.

– Les regards commencent à évoluer sur l’isolement et la contention

Les visites effectuées en 2019 montrent que les équipes soignantes ont en général pris conscience du caractère traumatisant des pratiques d’isolement et de contention pour les patients et renoncé, pour la plupart, à voir en elles un outil thérapeutique. La nécessité de réduire leur utilisation est de mieux en mieux comprise. La prise en compte institutionnelle des objectifs définis par la loi du 26 janvier 2016 demeure cependant insuffisante.
Le CGLPL a constaté que le vocabulaire utilisé dans certains établissements pour désigner l’isolement et la contention a pour effet de masquer la réalité des pratiques. Il recommande en particulier que l’on ne dise plus « chambre de soins intensifs », mais « chambre d’isolement » et que l’on remplace le terme « contenir » par « attacher ».
Les décisions de recours à l’isolement, mesures de sécurité de dernier recours destinées à protéger le patient d’un risque actuel ou imminent, obéissent parfois à des logiques autres que celle-ci. Ainsi, il peut arriver que des patients soient isolés faute de personnel pour les prendre en charge, que certains restent isolés faute de chambre pour les accueillir, ou même que l’isolement ait un caractère quasi-disciplinaire, c’est-à-dire qu’il concerne un patient qui n’est pas agité et n’est motivé que par un acte passé et achevé de sa part.

Les conditions d’exécution des mesures d’isolement sont encore souvent indignes. Ainsi, des chambres d’isolement sont dépourvues de sanitaires, certaines n’ont pas de fenêtres, d’autres ne peuvent pas être aérées ou d’autres encore ne sont surveillées que par une caméra.

L’application de la loi du 26 janvier 2016 a formellement progressé. Tous les établissements visités disposent maintenant d’un registre de contention et d’isolement. Néanmoins, ces documents sont souvent incomplets, mal renseignés et ne permettent ni de bien comprendre la motivation des décisions et les conditions de leur exécution, ni de mesurer le caractère nécessaire et proportionné des mesures et le respect du principe de dernier recours.

– L’information des patients manque d’effectivité

A chacune de ses visites le CGLPL contrôle avec attention les modalités d’information des patients dans trois domaines principaux : la mesure de privation de liberté dont ils font l’objet, les droits qui sont les leurs, les règles de vie de l’établissement dans lequel ils entrent.

Les procédures d’information sont formellement respectées par les établissements mais sont le plus souvent privées d’effectivité, car il est rare que la répartition des responsabilités sur cette information soit très claire, et plus rare encore que chacun de ceux qui doivent délivrer ces informations en connaissent le contenu et les enjeux.

Les procédures d’information sont formellement respectées par les établissements mais sont le plus souvent privées d’effectivité, car il est rare que la répartition des responsabilités sur cette information soit très claire, et plus rare encore que chacun de ceux qui doivent délivrer ces informations en connaissent le contenu et les enjeux.

Les livrets d’accueil sont le plus souvent muets sur la question des soins sans consentement quand ils ne sont pas, comme dans plusieurs hôpitaux généraux, muets sur la psychiatrie elle-même.  
Les dispositions relatives à l’information et aux droits des patients ont été codifiées en 2011. Dès lors, on ne peut plus considérer que les établissements de santé mentale sont en phase de transition ou d’apprentissage. La situation ne tend d’ailleurs pas à s’améliorer. Le CGLPL rappelle l’importance que l’information sur les droits fasse l’objet d’une formation obligatoire pour les soignants et que ceux-ci soient assistés d’un membre du personnel administratif pour donner cette information aux patients. Ces mesures doivent être accompagnées de la remise du formulaire de notification de la mesure et des droits aux patients.

– Les restrictions des libertés des patients ne sont pas toujours justifiées
La fermeture des services de psychiatrie n’est pas inscrite dans la loi. Les constats effectués en 2019 montrent une situation très diversifiée, allant d’une prise en charge particulièrement ouverte à une approche sécuritaire qui fait peu de place à la liberté des patients, en passant par des situations dans lesquelles la liberté d’aller et venir est affichée avec force mais restreinte en pratique.
Plusieurs hôpitaux ont réalisé des progrès en matière de liberté d’aller et venir : celle-ci fait désormais partie de beaucoup de projets d’établissement même si certains aspects restent parfois inachevés. Ainsi, les unités d’un même hôpital, malgré un objectif commun, n’évoluent pas à la même vitesse.
Tous les établissements n’ont pas surmonté l’obstacle psychologique que constitue le statut d’admission des patients, certains considérant que tout patient en soins sans consentement doit être enfermé, d’autres affirmant à juste titre que tout patient en soins libres doit être placé en unité ouverte mais fermant les unités s’il vient à manquer de place pour des patients en soins sans consentement.

Il n’est pas rare que la fermeture des unités aille de pair avec une inversion du principe de la liberté : tout est autorisé sauf exception décidée par le médecin en secteur ouvert, tout est interdit sauf autorisation du médecin en secteur fermé : téléphoner, sortir à l’air libre, fumer, etc. Parfois les portes ne sont ouvertes que pendant des créneaux horaires très restreints.

Dans de nombreux cas, la préoccupation sécuritaire prévaut sur celle du soin et de l’autonomie des patients. Les possibilités de sortir de l’unité sont restreintes même pour les patients en soins libres. Le volume de personnel présent ne permet pas de répondre aux demandes, notamment quand les unités sont pleines et les patients n’ont d’autre possibilité que de rester dans les couloirs ou devant la télévision.
Le caractère systématique de certaines restrictions imposées aux patients tend cependant à se raréfier. Ainsi, le retrait systématique des téléphones portables est moins pratiqué, remplacé par des restrictions individualisées en fonction de l’état clinique des patients. L’accès à l’informatique et à internet reste en revanche souvent limité : les procédures pour garder son ordinateur sont restrictives, il n’y a pas d’accès internet sauf par les smartphones personnels et rares sont les services où des ordinateurs sont en libre accès.

– Une gestion sécuritaire des services dégrade la qualité des soins
Le CGLPL observe une multiplication des interventions d’équipes de sécurité, voire de la police, dans les lieux de soins. Dans un établissement contrôlé, le projet de soins des pôles précise que les membres de l’équipe de sécurité « peuvent assister à des entretiens médicaux » ; ailleurs, l’équipe de sécurité intervient à chaque incident alors même que leur formation est très restreinte ; dans un autre établissement, des rondes sont réalisées par un maitre-chien chargé de la sécurité de nuit du site.  
A défaut d’équipes de sécurité interne, il est parfois fait appel aux forces de l’ordre. Dans certains cas il s’agit simplement de montrer des uniformes pour « calmer » un patient, dans un autre cas au moins les gendarmes ont indiqué qu’il leur arrivait de participer physiquement à la mise à l’isolement de patients alors qu’ils n’ont reçu ni formation ni sensibilisation sur la psychiatrie. Ailleurs, c’est la douane qui vient au moins deux fois par an avec des chiens dans les unités pour la recherche de toxiques. Cette tendance sécuritaire se développe et semble parfois se substituer à certaines démarches de soins, à l’image des recherches de toxiques alors que l’offre médicale d’addictologie est en déshérence.

Ces pratiques ont pour effet de faire disparaître le soin derrière la sécurité. Elles minent la confiance des patients dans l’équipe professionnelle et portent atteinte gravement à la confidentialité des soins.
Le CGLPL recommande qu’une réflexion éthique nationale encadre les pratiques de sécurité faisant intervenir des tiers non soignants dans la prise en charge des patients et que localement elles ne soient mises en œuvre qu’après accord du comité d’éthique et sur le fondement d’un protocole explicite et publié.
Le CGLPL a observé à plusieurs reprises la pratique de fouilles sur des patients avec utilisation de détecteurs manuels et de fouilles de chambres. Il rappelle sur ce point que les fouilles de sécurité ne sont possibles que sur le fondement d’une autorisation légale qui n’existe pas pour les hôpitaux. Les fouilles à finalité préventive sont impossibles. Néanmoins, dans les cas d’extrême urgence, c’est-à-dire face à un danger identifié, actuel ou imminent, il appartient aux responsables médicaux de prendre les mesures nécessaires à la protection des patients, ce qui peut conduire à la recherche d’un objet.

A noter : Parallèlement à son rapport annuel, le CGLPL publie des « Recommandations minimales pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté ».  Il s’agit d’un document inédit, corpus de 257 recommandations s’appliquant à l’ensemble des lieux de privation de liberté. En douze ans d’existence, le CGLPL a adressé aux autorités publiques des milliers d’observations et recommandations. Fort de cette expérience, il lui semble désormais possible de dégager de ce corpus très dense une première doctrine, amenée à évoluer. Ces recommandations minimales ne doivent pas être regardées comme un modèle suffisant, elles visent à formuler des principes directeurs qui, dans un Etat de droit, doivent inspirer les modalités de prise en charge des personnes privées de liberté ainsi que les principales règles d’une bonne organisation de ces lieux et prévenir les risques d’atteintes aux droits qu’entraine toute mesure d’enfermement.

  • Rapport d'activité 2019 du CGLPL, éditions Dalloz, mai 2020. Comme chaque année, le rapport intégral sera disponible en pdf sur le site du CGLPL en juillet 2020. Photo : Chambre d'isolement dépourvue de sanitaires dans un hôpital psychiatrique  © JC Hanché pour le CGLPL.
  • Voir le dossier de presse du Rapport 2019 sur le site du CGLPL.

  • Recommandations minimales du Contrôleur général des lieux de privation de liberté pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, en pdf