Recos opposables : psychiatres et psychologues vent debout contre la HAS

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Dans un communiqué commun, des associations et syndicats de psychiatres et de psychologues réagissent à l’opposabilité des recommandations de bonnes pratiques souhaitées par la Haute Autorité de Santé (HAS), notamment en matière d’autisme. Ces professionnels maintiennent que « ces recommandations, qui pour la plupart fonctionneraient dans un monde idéal, sont déconnectées d’un réel dans lequel elles ne peuvent pas s’appliquer ». La HAS réaffirme quant à elle sa volonté de « rendre opposables certaines parties de certaines recommandations de bonnes pratiques »

Pour rappel, la Haute Autorité de Santé (HAS) réfléchit à rendre opposables certaines de ses recommandations, c’est-à-dire à leur donner une valeur juridique qui contraindrait légalement les professionnels. Selon le Président de la HAS : « L’opposabilité nous paraît souhaitable » « dès lors que nous sommes dans un domaine où il nous paraît essentiel que la prise en charge soit absolument adaptée, pour des raisons d’enjeux et parce qu’il y a encore parfois d’autres types de prises en charge ». La HAS évoque en particulier celle sur les TSA chez l’enfant et l’adolescent, dont la version actualisée est attendue au plus tard pour la fin du premier trimestre de 2026.

Le communiqué du collectif de psychiatres et de psychologues

Ne pas être à une contradiction près : voilà donc le mantra de la Haute Autorité de Santé.
Nous avions réagi rapidement dans un communiqué commun publié le 17 octobre suite aux propos du
Président de la HAS concernant la possibilité de rendre opposables certaines recommandations de bonnes
pratiques. Dans ce communiqué, nous avions alors souligné un certain nombre d’inquiétudes concernant
cette opposabilité et avions demandé à être reçus.
Ce fut le cas en début de semaine où nous avons pu
rencontrer Claire COMPAGNON, présidente de la commission Recommandations, pertinence, parcours
et indicateurs, le Dr Lionel COLLET, président de la HAS, et la Dr Morgane LE BAIL, Cheffe du service
des bonnes pratiques.

Lors de cette rencontre, les contradictions n’ont pas manqué :

  • Selon la HAS, l’opposabilité n’empêchera pas les professionnels de proposer d’autres pratiques
  • La singularité des cas n’est pas remise en cause par la HAS, MAIS il faudra appliquer les mêmes
    recommandations pour tous
  • ll n’est pas question de fermer le débat scientifique et clinique MAIS certaines pratiques jugées plus
    efficaces selon la HAS devront être appliquées.

Nous avons largement questionné nos interlocuteurs sur le fonctionnement de la HAS et sur l’intérêt plus
que discutable de rendre ces recommandations opposables. La question ne porte pas ici sur l’intérêt
d’avoir ou non des recommandations, mais bien d’en faire un totem du soin et un passage obligé
,
contraignant ainsi fortement la pluralité des approches et la liberté des professionnels dans leur
capacité à s’adapter à chaque situation. Par ailleurs, les recommandations dans le soin psychique et en
psychiatrie doivent faire l’objet de particularités et ne pas être traitées de manière équivalente au somatique.
Elles doivent, dans notre domaine, faire l’objet d’une mesure et d’une prudence toute particulière.
Nous
avons à de nombreuses fois fortement insisté sur ce point. Nous avons également questionné le choix des
experts et l’influence qu’ils exercent alors même que nous œuvrons dans un domaine où le consensus et
la certitude sont loin d’être le cas sur tous les sujets.

Il a été évoqué par les représentants de la HAS le fait que leurs recommandations n’étaient pas assez
appliquées sur le terrain. Leur conclusion est que cela nécessite de rendre opposables certaines
recommandations et certains points précis dans certaines recommandations. Nous avons affirmé qu’il
s’agissait donc ici de contraindre les professionnels à appliquer certaines méthodes et donc à leur
consquer une part de leur expertise. Leur réponse : « une recommandation opposable, ce n’est
pas une contrainte
».

Nous avons insisté sur le fait que les recommandations étaient généralement assez loin de la réalité
des établissements et des institutions qui connaissent actuellement de nombreuses crises
: crise liée
au recrutement de certaines professions, crise liée au financement des institutions qui sont largement
sous-dotées, etc. Ces recommandations, qui pour la plupart fonctionneraient dans un monde idéal, sont
déconnectées d’un réel dans lequel elles ne peuvent pas s’appliquer sans que les services de soins et le
médico-social ne soient massivement renforcés.

Ces recommandations sont donc hors sol pour de nombreux professionnels et apparaissent comme un
produit technocratique décidé dans des bureaux, loin de la clinique, loin du terrain, loin des patients.

Il nous est apparu que l’HAS avait la tentation de vouloir faire appliquer les recommandations dans le
champ sanitaire comme elles le sont déjà dans le médico-social où les recommandations de l’HAS sont
des mesures réglementaires.

En conclusion de cet échange, la HAS a réaffirmé sa volonté de maintenir son projet de rendre opposables certaines parties de certaines recommandations de bonnes pratiques. À la question de la temporalité en jeu, il nous a été répondu « dès que possible, quand la stabilité politique le permettra ». Il nous a aussi été précisé que la HAS n’avait pas le pouvoir à elle seule de l’imposer, cela devra passer par une voie législative ou ministérielle. Force est de constater l’impossibilité pour l’HAS d’entendre véritablement les professionnels de terrain que sont les différentes organisations signataires de ce communiqué commun.

La fronde qui a animé l’ensemble des professionnels des soins psychiques autour de l’amendement 159 a pu montrer la mobilisation collective massive (forums, pétition avec plus de 100 000 signatures en une semaine, mobilisation sur le terrain dans certaines régions) dont nous pouvons faire preuve. C’est cette même fronde qui se manifestera dans le cas d’une opposabilité de certaines recommandations contre l’avis des professionnels de terrain. Nous invitons l’ensemble des professionnels du soin à maintenir une vigilance accrue sur ces questions essentielles pour l’indépendance des professionnels.

Les signataires : 

Syndicat National des Psychologues (SNP) – Florent SIMON
Association Française des Psychiatres d’Exercice Privé – Syndicat National des Psychiatres Privés (AFPEP-SNPP) – Elie WINTER
Association des Psychologues Freudiens (APF) – Hélène GIRARD
Collectif National des Inter-collèges psychologues hospitaliers (CNI) Convergence des Psychologues en Lutte (CPL) – Albert CICCONE
Fédération des Centres Médico-Psycho-Pédagogiques (FDCMPP) – Amandine BUFFIERE
Fédération Française de Psychiatrie (FFP) – Michel JURUS
Institut Contemporain de l’Enfance (ICE) – Bernard GOLSE
Inter-collège des psychologues d’Ile-de-France
Mouvement des psychologues cliniciens et des psychologues psychothérapeutes M3P – Lionel CAMALET
Penser Panser les soins psychiques de l’enfant et de l’adolescent – Fleur CAIX
Pôle Psycho (psychologues exerçant à France Travail) – Sylvie DUJARDIN
Société Française de Psychiatrie de l’Enfant et de l’Adolescent et DisciplinesAssociées (SFPEADA) – Bruno FALISSARD
Union Syndicale de la Psychiatrie (USP) – Charles-Olivier PONS
Retrouvez ici l'intégralité du communiqué.