Psychose débutante et troubles du binding

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Au Vinatier, le projet de recherche Bind vise à mieux comprendre l’effet de l’émotion sur la mémoire dans les psychoses débutantes. Les résultats attendus pourraient ouvrir la voie à des outils cliniques de détection précoce et à des programmes de remédiation cognitive adaptés aux jeunes patients.

Des recherches récentes s’attachent à identifier les signes cliniques et cognitifs précoces retrouvés chez les personnes à haut risque clinique (CHR) (1) de transition psychotique ou confrontées à un premier épisode psychotique (PEP), pour proposer des accompagnements ciblés et diminuer l’évolution vers une psychose chronique.

Parmi eux, des freins de cognition sociale et d’intégration mnésique (ou binding) semblent constituer des marqueurs de vulnérabilité (2). Plus précisément, le binding est le processus cérébral qui permet de regrouper les propriétés sensorielles (auditives, olfactives…), émotionnelles et spatio-temporelles d’une information pour les intégrer en mémoire Les premières étapes du traitement de l’information sont perceptives (voir encadré). Ce mécanisme est donc central pour établir des liens de cause à effet à partir de nos expériences, et envisager des projets ou même des situations habituelles de la vie quotidienne de manière adaptée. Le binding, qui pourrait être au cœur du trouble du spectre de la schizophrénie (3), a encore été peu étudié chez ces sujets à risque de psychose.

Le binding, illustration
Le mécanisme d’intégration ou binding est défini comme l’encodage de l’association de toutes les propriétés sensori-motrices d’une expérience. Ainsi, l’émergence de souvenirs spécifiques dépendrait du niveau d’intégration d’un item. Plus les propriétés d’une expérience sont fortement intégrées, plus il est aisé de réactiver l’ensemble de l’expérience à partir d’une activation partielle, un indice. Le mécanisme d’intégration pourrait ainsi être « optimisé » en présence d’une émotion.
Les premières étapes du traitement de l'information sont perceptives. Ainsi, si je vois un objet sphérique, de couleur orange, avec une peau granuleuse je reconnais qu'il s'agit d'une orange car toutes les propriétés de cet objet ont été liées et intégrées ensemble en mémoire (processus de binding) lors d'une situation passée où une orange était présente. C'est la réactivation de ces propriétés précédemment intégrées qui permet l'émergence de connaissances à ce sujet (ce fruit est une orange). L'émotion participerait à améliorer l'intégration et permettant de créer un souvenir plus précis et riche (je mangeais des oranges en vacances chez mes grands-parents).
Ce processus permet de faire émerger mes connaissances lorsque je suis confronté.e à une situation similaire (ce fruit est une orange) ou de réactiver un souvenir spécifique lorsque le contexte émotionnel est intense (je mangeais une orange lorsque j'ai entendu la nouvelle des attentats du 11 septembre. Depuis, quand je sens l'odeur d'une orange je ressens une émotion plutôt désagréable alors même qu'il n'y a pas de rapport apparent). Le binding permet donc de catégoriser et conceptualiser, d'extraire des liens de cause à effet, de se projeter dans le temps et de prendre des décisions. Ce sont toutes ces fonctions cognitives qui peuvent être altérées lors d'un trouble du binding. L'altération du binding a parfois été considérée comme une théorie cognitive du concept de relâchement des associations dans la schizophrénie.

C’est l’objet du projet de recherche Bind, porté par A. Pavard, neuropsychologue, et financé par Le Vinatier psychiatrie universitaire Lyon métropole. Dans cette étude d’une durée de deux ans, des personnes avec un profil CHR ou PEP et un groupe de sujets contrôles devront mémoriser des items neutres ou émotionnels, en présence d’une émotion contextuelle (produite par une odeur, dont l’effet émotionnel est reconnu comme intense) « neutre » ou négative. La variabilité de leur fréquence cardiaque (qui joue un rôle dans la régulation émotionnelle, la prise de décision et les fonctions exécutives plus globalement) sera mesurée. La pharmacologie sera également évaluée, afin de déterminer si certains traitements (antipsychotiques, benzodiazepines) ou certaines caractéristiques de traitements ont un impact sur les capacités de binding des patients.

Les résultats et différences observées entre le groupe clinique et le groupe contrôle permettront de mieux spécifier les troubles du binding chez les sujets à risque de psychose. Cette hypothèse prometteuse pourrait conduire à l’élaboration de tests neuropsychologiques d’évaluation de l’intégration mnésique et de programmes d’accompagnement en remédiation cognitive autour de la mémoire et des émotions

1– Le haut risque clinique de transition psychotique correspond à la présence de symptômes psychotiques qui sont modérément intenses ou bien présents sur une durée inférieure à 8 jours et résolutifs sans l’aide d’une médication à visée antipsychotique. Ces symptômes sont identifiés au cours d’un entretien médical et généralement à l’aide d’une échelle semi-structurée (CAARMS). L’intensité et la durée des symptômes psychotiques correspondent à des seuils correspondants à « vulnérabilité : symptômes psychotiques atténués », « ultra haut risque de psychose, qui comprend encore deux sous-catégories (UHR : ultra high risk et BLIPS : brief limited intermittent psychotic symptoms) avec des symptômes psychotiques plus intenses mais toujours inférieur à 8 jours » ou « premier épisode psychotique : épisode psychotique franc ». 

2– Brewer WJ, Francey SM, Wood SJ, Jackson HJ, et al (2005). Memory impairments identified in people at ultra-high risk for psychosis who later develop first-episode psychosis. American Journal of Psychiatry. 162(1): 71-8.

3– Macri A, Pavard A, Versace R. (2018). The beneficial effect of contextual emotion on memory: the role of integration. Cognition and Emotion. 32(6): 1355-1361.

• Contact : Amelie.PAVARD@ch-le-vinatier.fr

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