Sensibiliser les policiers à la psychiatrie : une formation au plus près des attentes

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Depuis avril 2024, Marine Akkaoui et Théo Duquesne, psychiatres au Centre psychiatrique d’orientation et d’accueil (CPOA) du GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences, ont mis en place une formation pour sensibiliser les agents de police à la prise en charge des personnes atteintes de troubles psychiatriques. Un mois après la formation, l’évaluation est positive sur l’usage de la force et l’amélioration des connaissances.

Quelle perception les policiers ont-ils de la psychiatrie ? Marine Akkaoui et Théo Duquesne, tous deux psychiatres, ont interrogé 200 agents de police en région parisienne. « Il n’existe aucune formation sur le sujet dans leur parcours alors même que pour près de 30% des patients atteints de schizophrénie, le premier contact avec la psychiatrie se fait par l’intermédiaire de la police », souligne Marine Akkaoui. « Notre enquête révèle que 80% des policiers sont en demande d’une formation sur le sujet ». Les policiers interrogés témoignent de leurs difficultés, avec un risque accru d’usage de la force, une absence de relais ou d’orientation et la persistance d’idées reçues sur la psychiatrie et la maladie mentale ( « Les patients psychiatriques sont très dangereux ou encore : la psychiatrie, c’est la maladie des fous… »).

Une formation au plus proche des policiers

Forts de ce constat et après plusieurs mois de travail, les deux psychiatres mettent au point une formation spécifique destinée à la police, avec le soutien du docteur Gourevitch, leur chef de service. « On a utilisé les résultats de notre étude pour construire une formation au plus proche des attentes des policiers, en fonction de leurs interrogations, de leurs difficultés, de leurs doutes mais aussi les situations auxquelles ils étaient le plus exposés sur le terrain », explique Théo Duquesne. Sur la voie publique, les agents sont régulièrement confrontés à des personnes en proie à de l’agitation, à des idées suicidaires, délirantes ou à des personnes qui ont consommé des toxiques.

On explique aux policiers qu’une personne très délirante qui dit non, ce n’est pas forcément un refus d’obtempérer. Peut-être qu’elle est très anxieuse et ne comprend pas ce qui se passe. Marine Akkaoui.

350 policiers formés en Ile-de-France

350 policiers ont été sensibilisés en 35 sessions depuis avril 2024, début de la formation, précise Yannick Floch, infirmier coordinateur de la formation Police.

La plupart du temps, la séance, qui dure 3h, est assurée par un binôme infirmier / médecin (volontaires du CPOA). « La première partie est très pratique : l’idée est de fournir des clés ou des outils à mettre en place au quotidien par les agents de police pour mieux interagir avec les patients dans un contexte d’intervention », détaillent les deux psychiatres. La formation reprend l’épidémiologie des troubles psychiatriques : « Qu’est-ce qu’un trouble psychiatrique, combien de personnes sont atteintes en France, quels sont les symptômes des grandes maladies, etc. On interroge ensuite les idées reçues, avant de fournir des outils théoriques pour amener les policiers à mieux gérer les situations délicates » (la désescalade, les possibilités d’orientation de ces patients… ) « Pour partir de situations réalistes, on s’appuie sur des jeux de rôle et sur des mises en situation », souligne Yannick Floch, qui se souvient notamment d’une policière appelée pour une intervention auprès d’une femme en proie à de l’agitation dans une gare parisienne : « la personne était non-verbale et très agitée et les forces de l’ordre se sont retrouvées très démunies ». Les soignants reprennent aussi avec les policiers « des situations vécues pour réfléchir ensemble à ce qu’ils auraient pu faire différemment, sur le positif aussi : ce qu’ils ont bien fait ».

« On a voulu une formation très interactive. On essaie de se détacher le plus possible du format court-magistral qui serait moins efficace », confie Théo Duquesne. Les policiers sont notamment formés à la désescalade (diminution progressive de la menace et de la tension) « On leur donne un maximum de clés concrètes : comment on interagit avec quelqu’un qui a des idées délirantes, qui est suicidaire ou agité ? On rappelle des notions de base de la psychiatrie : le fait de ne pas confronter les patients, de ne pas aller contre les idées délirantes, mais de ne pas les renforcer non plus », énumère Théo Duquesne. « On consacre aussi un moment au positionnement non verbal : rester soi-même plutôt calme, ne pas faire de gestes brusques, parler lentement, éviter de couper la parole… ».

Passer de 3 à 6h ?

L’une des priorités face à la demande : généraliser cette formation à tout le territoire. L’équipe est déjà en contact avec des unités psychiatriques qui l’ont spontanément sollicitée pour pouvoir former des policiers dans leur région. Passer de 3 à 6h fait également partie des réflexions : « C’est l’une des demandes des policiers. Cela permettrait d’explorer les sujets en profondeur et de passer plus de temps sur les jeux de rôle, très utiles pour apprendre. On se rend compte que les agents ont besoin de s’entraîner. Ce sont ces mises en situation, dans un cadre sécurisant, qui le leur permettent », note Yannick Floch.

Les retours sont très positifs selon les soignants, qui ont mené une première étude interne pour évaluer les résultats de la formation : « Un mois après la formation, on constate une efficacité sur l’usage de la force et l’amélioration des connaissances », se réjouissent-ils. L’équipe espère également dans un futur proche pouvoir étendre cette formation à la gendarmerie, aux services pénitentiaires ou encore aux pompiers, avant, pourquoi pas, de l’intégrer au cursus dans les écoles de police.

Photo : © Stocklib / Pixinooo