Actualités jurisprudentielle des soins psychiatriques sans consentement, novembre 2025

N° 302 - Novembre 2025
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La Cour de cassation apporte régulièrement d’utiles précisions sur l’interprétation du cadre légal des soins sans consentement. Retour sur quelques décisions marquantes de l’année 2025.

Admission ou maintien en soins sans consentement

Décision du Préfet sur la forme de la prise en charge
La loi du 5 juillet 2011 a imposé, pour toute personne faisant l’objet d’une admission en soins sans consentement, une période d’observation de 72 heures (CSP, art. L. 3211-2-2) aux fins de confirmer la nécessité ou non de ces soins et, dans l’affirmative, de déterminer la forme de la prise en charge (hospitalisation complète ou programme de soins). Pour cela, deux évaluations doivent intervenir à 24 heures et 72 heures. Une particularité existe cependant lorsque l’admission résulte d’une décision du Préfet (Soin sur décision d’un représentant de l’État, SDRE). Dans ce cas, la forme de la prise en charge suppose une nouvelle décision préfectorale, qui doit être prise dans un délai de trois jours francs suivant la réception du certificat médical établi à 72 heures (CSP, art. L. 3213-1, II). Le Préfet tient compte de la proposition formulée dans ce certificat médical, mais aussi des exigences liées à la sûreté des personnes et à l’ordre public. La Cour de cassation (1) précise « qu’en l’absence d’une telle décision, [la] mesure ne peut être maintenue », le juge devant en conséquence prononcer sa mainlevée.

Fugue faisant obstacle à l’examen du patient
En vertu de l’article L. 3213-9-1 du Code de la Santé publique (CSP), le Préfet ayant décidé d’une mesure de soins sans consentement (SDRE) est tenu d’y mettre fin lorsque deux avis de psychiatres formulés dans des certificats médicaux concluent de manière convergente que l’hospitalisation complète du malade n’est plus nécessaire. Lesdits certificats et avis médicaux doivent impérativement être motivés tant en ce qui concerne les soins nécessités par les troubles mentaux de l’intéressé qu’à propos des incidences éventuelles de ces troubles sur la sûreté des personnes (CSP, art. R. 3213-3). En l’espèce, les deux avis des psychiatres avaient conclu qu’il y avait lieu de mettre fin à l’hospitalisation sans consentement, mais sans avoir procédé au préalable à l’examen du patient, qui avait « fugué ». Dès lors, le Préfet avait refusé de mettre fin à la mesure de soins psychiatriques. Censurant l’ordonnance d’appel ayant déclaré irrégulière la procédure d’hospitalisation complète poursuivie postérieurement à ces avis médicaux, la Cour de cassation (2) donne raison au Préfet. Ce dernier ne saurait être lié par des avis ne comportant « aucune motivation médicale » en raison de l’impossibilité pratique d’évaluer l’état de santé du patient. La poursuite de l’hospitalisation sans consentement, dans ce contexte, n’est pas irrégulière.

• Irrégularités de procédure : mainlevée conditionnée à une « atteinte aux droits »
Afin d’éviter que toute irrégularité de procédure ou de forme ne conduise à la mainlevée d’une mesure de soins sans consentement, l’article L. 3216-1 du CSP prévoit que cette mainlevée n’est possible que lorsque l’irrégularité porte une « atteinte aux droits » de la personne. En application de ce texte, la Cour de cassation juge fondée une ordonnance d’appel ayant souverainement apprécié que le défaut de notification au malade de ses droits au moment de l’admission (exigence découlant de l’article L. 3211-3 du CSP) n’avait entraîné aucune atteinte aux droits (3). En revanche, dans une affaire relative à un patient admis en hospitalisation sur décision du juge pénal (Code de procédure pénal, CPP, art. 706-135) à la suite d’une déclaration d’irresponsabilité, la même Cour de cassation (4) juge que le fait que la Commission départementale des soins psychiatriques (CDSP) n’ait pas été constituée dans le département ne dispense pas le juge d’appel d’examiner si l’irrégularité consistant dans un défaut d’information de la commission sur la mesure (cette information correspondant à une exigence légale) a entraîné concrètement une atteinte aux droits, notamment en « privant [la personne] de l’éventualité que cette commission, examinant sa situation, sollicite la levée de la mesure » auprès du juge.
Bien que les textes ne le prévoient pas explicitement, la condition d’atteinte aux droits a récemment été étendue par la jurisprudence aux irrégularités procédurales affectant les décisions d’admission ou de maintien en unité pour malade difficile (UMD). Ainsi, la Cour de cassation (5) a confirmé une ordonnance d’appel ayant estimé que l’absence de notification au patient de l’arrêté préfectoral d’admission en UMD n’avait pas causé d’atteinte concrète à ses droits, en ce que « ce transfert n’avait pas entraîné de changement de cadre et de régime juridique, s’agissant de la poursuite d’une hospitalisation complète ». La compétence du juge judiciaire pour statuer sur la légalité du maintien d’un patient en UMD a en outre été confirmée dans l’affaire Romain Dupuy (6), la Cour de cassation (7) ayant tiré la conséquence d’une décision rendue deux ans plus tôt par le Tribunal des conflits (8).

• Circonstance insurmontable empêchant l’audition du patient
En principe, le malade faisant l’objet d’une mesure de soins sans consentement doit impérativement être entendu à l’audience par le juge dans le cadre du contrôle obligatoire dans les douze jours suivant l’admission ou le renouvellement. Toutefois, il peut être dérogé à cette exigence lorsqu’il résulte de l’avis d’un médecin des motifs médicaux qui, dans l’intérêt du patient, font obstacle à son audition (CSP, art. L. 3211-12-2, II, al. 2 et R. 3211-8) ou, ajoute la jurisprudence, lorsqu’est caractérisée « une circonstance insurmontable, extérieure à l’établissement, empêchant cette audition ». Suivant l’argumentation du centre hospitalier en charge d’un patient admis en soins à la demande d’un tiers (SDT), le juge d’appel avait estimé que le fait que les mercredi 8 mai et jeudi 9 mai 2024 soient deux jours fériés consécutifs constituait une « circonstance insurmontable » pour l’établissement, qui n’avait pu être en mesure d’assurer le transport de l’intéressé dans un autre établissement où se tenaient exceptionnellement, le vendredi 10 mai, les audiences d’hospitalisation sous contrainte de plusieurs hôpitaux psychiatriques de la région. La Cour de cassation (9) y voit des « motifs impropres à caractériser une circonstance insurmontable empêchant l’audition » et censure l’ordonnance d’appel.

• Non-présentation du patient à l’audience
La règle est différente lorsque le patient n’est pas ou plus en hospitalisation complète mais bénéficie d’un programme de soins et que l’absence d’audition résulte de sa non-présentation devant le juge. Rappelons que l’intervention du juge dans les douze jours n’est obligatoire que lorsque la mesure prend la forme d’une hospitalisation complète (CSP, art. L. 3211-12-1). Pour les programmes de soins, le contrôle intervient uniquement de manière facultative, notamment à l’initiative du malade sollicitant la mainlevée. La Cour de cassation (10) précise que, dans un tel cas, c’est au patient, régulièrement avisé de la date d’audience, de s’y présenter de lui-même ou d’en solliciter le report en raison d’une impossibilité de s’y rendre. En l’espèce, l’intéressée, absente à l’audience, ne peut se prévaloir d’une irrégularité de procédure justifiant la mainlevée du programme de soins.

Isolement et contention

• Information du protecteur : portée de l’inconstitutionnalité de l’article L. 3222-5-1 du CSP.
Lorsque le psychiatre prolonge l’isolement du malade au-delà de 48 heures ou la contention au-delà de 24 heures, la loi prévoit qu’il « informe du renouvellement de ces mesures au moins un membre de la famille du patient, en priorité son conjoint, le partenaire lié à lui par un pacte civil de solidarité ou son concubin, ou une personne susceptible d’agir dans son intérêt dès lors qu’une telle personne est identifiée, dans le respect de la volonté du patient et du secret médical ».
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel (11) a jugé cette disposition contraire au droit à un recours effectif, constitutionnellement garanti, faute de prévoir l’information obligatoire du protecteur (tuteur, curateur, mandataire) lorsque le patient est un majeur protégé. Le juge constitutionnel précise toutefois que « la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution aurait des conséquences manifestement excessives » et que, par suite, « ces mesures ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité ». Le législateur est donc tenu de modifier l’article L. 3222-5-1 en y intégrant l’information systématique du protecteur mais, d’ici là, les patients majeurs protégés sujets à un isolement ou une contention ne pourront se prévaloir de la solution du Conseil constitutionnel pour obtenir la mainlevée. La Cour de cassation (12) a eu l’occasion de le rappeler à propos d’un patient mis à l’isolement à la suite d’une admission fondée sur un péril imminent (CSP, art. L. 3212-1, II, 2°). Dans une autre affaire, elle a en outre précisé que « l’identité de la personne informée du renouvellement de la mesure et son lien avec le patient doivent figurer à la procédure » (13).

• Évaluation de l’état du malade
L’article L. 3222-5-1 al. 1er du CSP prévoit que l’isolement ou la contention ne peuvent être mis en œuvre que sur « décision motivée d’un psychiatre et uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient ». La question s’est posée de savoir si ces évaluations pouvaient être effectuées par des internes en psychiatrie. Se fondant notamment sur l’article R. 6153-3 du CSP, selon lequel « l’interne en médecine exerce des fonctions de prévention, de diagnostic et de soins, par délégation et sous la responsabilité du praticien dont il relève », la Cour de cassation confirme qu’il n’y a pas lieu de prononcer une mainlevée lorsque les évaluations ont été « réalisées par des internes en psychiatrie » nommément identifiés et « sous la supervision d’un médecin psychiatre décisionnaire » (14). Dans la même affaire, elle précise également que l’obligation légale de procéder à « deux évaluations par 24 heures » en cas de renouvellement de la mesure d’isolement (CSP, art. L. 3222-5-1 al. 2) n’impose pas strictement et nécessairement une évaluation toutes les douze heures (en l’espèce, deux évaluations séparées de 17 heures sur la période de 24 heures considérée respectent cette condition).

Paul Véron
Maître de conférences à la faculté de droit de Nantes,
Laboratoire Droit et changement social (UMR 6297)

1– Cass. Civ. 1re, 4 juin 2025, n° 24-10.918, Publié au bulletin.
2– Cass. Civ. 1re, 19 mars 2025, 23-23.255, Publié au bulletin.
3– Cass., civ. 1re, 26 février 2025, 23-22.012, Inédit.
4– Cass., civ. 1re, 30 avril 2025, 23-23.390, Inédit
5– Cass., civ. 1re, 19 mars 2025, 24-10.643, Publié au bulletin
6– En 2007, Romain Dupuy, qui souffre de schizophrénie de type paranoïde, est déclaré irresponsable pénalement pour le meurtre de deux soignantes au Centre hospitalier psychiatrique de Pau. Voir aussi « Affaire Romain Dupuy : l’impossible sortie d’UMD », Santé mentale, sept. 2022, n° 270.
7– Cass., civ. 1re, 9 avril 2025, 23-12.529, Inédit
8– TC, 3 juillet 2023, C4279.
9– Cass. Civ. 1re, 24 septembre 2025, n° 24-16.621, Inédit et 24-16.622, Inédit.
10– Cass. Civ. 1re, 9 avril 2025, n° 24-11.626, Inédit.
11– C. cons., 5 mars 2025, n° 2024-1127 QPC.
12– Cass., civ. 1re, 24 septembre 2025, 24-15.779, Publié au bulletin.
13– Cass., civ. 1re, 9 avril 2025, 23-23.219, Inédit.
14– Cass., civ. 1re, 24 septembre 2025, 24-15.779, préc.