octobre 2025

Travailleuse paire en psychiatrie : ce qu’Anne-Lyse Delvaux nous enseigne

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En quoi l’inté­gration de pair-aidants parmi les équipes est-elle un atout pour les soignants et les patients ? Comment un patient peut-il trans­former son expérience pour contribuer au soin ? L’au­teure, Anne-Lyse Delvaux, répond à ces questions au travers de courts récits, poétiques et percutants, qui relatent le « vivre avec » la maladie. Un ouvrage qui souligne le rôle central des pairs-aidants en santé mentale, la richesse de leur travail de médiation entre équipes et patients afin de favoriser une plus grande horizon­talité relationnelle entre les soignants et les personnes accompagnées. Une lecture critique de Geneviève Henault, psychiatre.

C’est à coups de textes aussi courts que denses, qu’Anne-Lyse Delvaux décrit, comme aplat par aplat, son expérience de la folie dans ce premier livre édité par Seli Arslan : « Travailleuse paire en psychiatrie ». De la sienne, on lira seulement quelques traits, symptômes, angoisses ; la pudeur de l’autrice découragera rapidement tout voyeurisme. Il ne s’agit en effet pas de dévoilement débridé de soi ici, mais de confier de son savoir propre de l’expérience de la maladie psychique pour en faire une matière vivante, toujours dans un mouvement du « je » au « nous » – l’autrice rappelant avec insistance son appartenance à ce « nous » constitué de « pairs » : ces personnes atteintes de troubles psychiques sévères. 

L’aplat ne peut cependant être uniforme ici, puisqu’il s’agit justement d’aller voir du côté de ce qui souvent fait tâche, éclabousse, incise, découpe et tranche dans ce que l’on aime tant à appeler la « normalité ». Ainsi, si l’autrice souvent épargne ses soignantes et soignants dans ses récits, elle raconte aussi la brutalité inouïe que les personnes ayant affaire à la psychiatrie peuvent subir. Isolement, protocole pyjama, unités fermées, contention mécanique et chimique : il ne s’agit pas d’un livre-manifeste mais il est nécessaire de dire aussi la violence subie par les corps et les psychés des concernés. La figure du psychiatre est alors double et peut se teinter de nuances, lorsque l’on est patiente et travailleuse paire. Tout puissant en haut d’un système de domination pour l’une, il faudra parier sur la rencontre pour que le soin advienne malgré l’asymétrie qui peut parfois aller jusqu’à l’abus. Collègue voire binôme pour l’autre, c’est avec délicatesse réciproque qu’il s’agira de s’appréhender pour travailler ensemble à l’accompagnement des plus vulnérables. 

Anne-Lyse Delvaux écrit comme elle dessine. Mais peut-être bien est-ce l’inverse puisqu’elle nous dit que « ses textes viennent illustrer ses dessins » en un surprenant renversement langagier venant montrer la perméabilité des processus créatifs qui, s’alimentant l’un l’autre, viendraient faire oeuvre non pas complète, mais bidimensionnelle où la texture du mot semble se gorger des couleurs souvent puissantes, voire explosives qui animent ce qu’elle appelle ses « gribouillages ». De ces gribouillages apparaît beaucoup de la clinique du psychotraumatisme et de la persécution. De la relation sur laquelle s’appuyer surgit souvent, figurée par un chat, un enfant, une blouse blanche, un ou une pair(e). 

Lire Anne-Lyse Delvaux enseigne, à n’en pas douter. Les professionnels de la psychiatrie pourraient voir certaines de leurs représentations transformées par cette voix qui, suivant d’autres, vient redonner ce plus d’humanité qui, trop souvent, disparaît derrière les obligations techniques du soin, l’absence de temps pour le penser, la crainte de l’engagement personnel dans le lien. « Travailleuse paire », c’est être à cette place en interface et peut-être parfois dans les interstices, entre l’équipe soignante, et ce « nous » que l’autrice reconnaît hétérogène et soumis – également – aux mécanismes de non-horizontalité. C’est là qu’apparaît le délicat équilibre à penser, à construire avec, à engager chacun et chacune, pour un travail résolument collectif visant à offrir aux personnes en souffrance un ou des espace(s) thérapeutique(s) à s’approprier et à ne jamais cesser de défaire et recréer, détricoter souvent… pour toujours le repenser. 

Geneviève Henault, psychiatre.

Travailleuse paire en psychiatrie. Récits et réflexions sur l’accompagnement, Anne-Lyse Delvaux, 1ere édition – Séli Arslan, octobre 2025, 23, 50 euros.

 

N° 297 - Mai 2025

Ma rencontre avec « une petite bonne femme »

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Un premier entretien avec une psychologue clinicienne s’est avéré déterminant dans le parcours d’Anne-Lyse, souffrant de schizophrénie. Des années plus tard, devenue pair-aidante, elle s’inspire …

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