Alors qu’un quart des jeunes souffre de troubles dépressifs, que les délais d’attente pour une consultation peuvent atteindre deux ans, et que l’accès aux soins reste profondément inégal selon les territoires, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) alerte dans un avis sur cette situation critique et formule 21 préconisations concrètes.
Fruit d’un travail approfondi mené avec les acteurs de terrain, les experts et les citoyens, cet avis s’appuie sur un dispositif de participation citoyenne inédit, qui a permis d’associer directement les jeunes aux travaux du CESE. Il a été adopté avec 109 voix pour.
Les chiffres ne laissent aucun doute sur la situation d’urgence actuelle : dès le primaire, 13 % des enfants présentent déjà un trouble. Au lycée, plus d’un élève sur quatre déclare avoir eu des pensées suicidaires au cours de l’année. Au-delà de ce constat sur l’état actuel de la santé mentale des jeunes, la dynamique est préoccupante ; en moins de dix ans, la proportion des 18-24 ans ayant eu des idées suicidaires a doublé.
Si le CESE constate que les jeunes sont de plus en plus conscients de leur propre santé mentale et en perçoivent mieux l’importance dans leur vie quotidienne, ils ont toutefois encore beaucoup de difficulté à en parler. C’est pourquoi, dans le cadre de cet avis, le CESE a choisi de leur donner la parole. Pour la première fois, vingt jeunes de 12 à 18 ans, tirés au sort, sont venus au CESE pour faire part de leur diagnostic, leurs priorités et proposer des solutions – leurs solutions. De leur rapport final, une grande partie de leurs propositions a été intégrée dans l’avis du CESE.
Au-delà des chiffres alarmants, le CESE dresse un constat clair et structurant : la santé mentale des enfants, adolescents et jeunes adultes est profondément influencée par leurs conditions de vie. Les inégalités sociales, la précarité économique, le mal-logement, l’accès inégal aux soins ou encore les discriminations systémiques (liées au genre, à l’orientation sexuelle, au handicap ou à l’origine sociale) constituent des facteurs aggravants majeurs. Le CESE souligne également l’impact de la pression scolaire, citée par plus d’un quart des adolescents comme première source d’angoisse, ainsi que les effets délétères du numérique et des réseaux sociaux, qui favorisent la comparaison sociale, l’hyperconnexion et la fatigue mentale. À cela s’ajoutent des déterminants environnementaux (pollution, bruit, manque d’accès à la nature), territoriaux (fractures entre zones rurales et urbaines, Outre-mer), et familiaux (instabilité, absence de soutien, souffrance parentale), qui forment un écosystème anxiogène pour une jeunesse en quête de repères.
Face à l’urgence, le CESE exige une mobilisation immédiate et ambitieuse pour enrayer la dégradation de la santé mentale des jeunes. Trop souvent ignorée ou déformée, leur parole doit enfin être entendue et prise en compte dans les décisions publiques. Le CESE appelle à faire de cette cause une priorité nationale, en adoptant des mesures contraignantes et en engageant notamment le système de santé et le numérique dans une transformation profonde.
À travers 21 préconisations concrètes, le CESE appelle à refonder en profondeur le système de prévention et de prise en charge de la santé mentale des jeunes.
1 – Se donner les moyens d’une approche préventive et holistique
Pour assurer la pertinence de toute approche préventive, le CESE appelle à mieux intégrer les enfants et les jeunes dans leurs institutions et dans la construction des politiques publiques locales et nationales, afin de les rendre plus respectueuses de leurs droits et de leurs besoins.
Cela doit faire l’objet d’une stratégie nationale pluriannuelle de la santé mentale qui consacrera un chapitre aux enfants et aux jeunes, engageant une politique interministérielle coordonnée avec les collectivités territoriales. Cette stratégie devra être construite autour d’objectifs et d’indicateurs de suivi chiffrables et évaluables à cinq ans.
2 – Développer les compétences psychosociales sur la vie affective et relationnelle, le harcèlement, les discriminations, les violences et les addictions
Le CESE demande à affirmer davantage la lutte contre les discriminations et l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVRAS) dans le cadre de matières obligatoires existantes ou à créer, ainsi qu’à former aux compétences psychosociales les adultes qui encadrent des enfants.
3 – Faire de la régulation du numérique et de l’éducation à son utilisation une priorité
Le CESE préconise de rendre effective une éducation au numérique pour les enfants, les adolescents et les parents, notamment aux usages des réseaux sociaux et de l’intelligence artificielle. Le CESE plaide pour limiter les usages des réseaux sociaux par les mineurs par la mise en place d’un couvre-feu numérique et la généralisation du dispositif de pause numérique à l’ensemble des établissements.
Le CESE appelle également à renforcer la responsabilité des plateformes et sites hébergeurs des réseaux sociaux vis-à-vis des algorithmes et du contrôle du contenu accessible aux mineurs.
4 – Revoir les rythmes scolaires autour des besoins fondamentaux de l’enfant
Le CESE souhaite que les rythmes scolaires soient revus afin de favoriser les temps de repos, le bien-être des enfants et un meilleur apprentissage.
5 – Informer et déstigmatiser : « aller vers » et « faire avec » les enfants et les jeunes
Le CESE demande à conduire des campagnes de sensibilisation régulières à destination des jeunes et des adultes dans les établissements scolaires, les établissements d’enseignement supérieur, les lieux de travail, de loisirs et de sport, entre autres.
En ce sens, le CESE appelle à améliorer la sensibilisation aux questions de santé mentale et développer des formations à destination des adultes encadrants et de l’entourage des enfants et des jeunes, à travers les dispositifs de type « premiers secours en santé mentale » (PSSM) et enfin à mieux intégrer le numérique, notamment en s’appuyant sur des créateurs de contenu.
6 – Mieux repérer, soigner et accompagner
Le CESE appelle à renforcer les moyens humains et matériels de la santé scolaire afin qu’ils puissent pleinement assurer leurs missions de prévention, de repérage et d’orientation, en lien étroit avec la pédopsychiatrie et le secteur médico-social. Cela suppose de rendre ces métiers plus attractifs par une revalorisation des rémunérations, de reconnaître davantage le rôle de coordination des médecins de l’Éducation nationale, et de renforcer la formation des infirmiers scolaires après leur recrutement.
Le CESE préconise d’instaurer des objectifs chiffrés et des quotas de psychiatres et psychologues conventionnés devant exercer leur profession dans les territoires ruraux et ultramarins où le manque d’offre de secteur 1 est identifié et accompagner les installations dans ces territoires par des mesures de soutien. Le CESE demande d’engager, à l’échelle des bassins de vie, l’ensemble des acteurs de la santé mentale – psychiatrie sectorisée, psychiatres libéraux, établissements privés (à but lucratif et à but non lucratif), mais aussi psychologues – dans l’organisation de la permanence des soins.
• Communiqué de presse du Conseil économique social et environnemental (CESE) du 14 octobre 2025