« Je n’avais pas les codes… »

N° 301 - Octobre 2025
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À 22 ans, Juliette est prise en charge pour des idées noires et des crises d’angoisse. Un suivi infirmier permet de préciser le diagnostic et de proposer des soins complémentaires.

Juliette, 22 ans, s’est présentée à la consultation Nineteen il y a un an, pour des idées noires quotidiennes et des crises d’angoisse au cours desquelles elle se scarifie. Le psychiatre l’a vue rapidement et a instauré un traitement antidépresseur (Venlafaxine®) avec des entretiens infirmiers de surveillance.

Très blonde et pâle, le regard triste, la jeune femme respire la fragilité et le doute, comme si n’importe quel vent fort pouvait la faire tomber. Étudiante en master de lettres, plutôt brillante, elle a peu d’heures de cours et sa principale occupation consiste à écrire son mémoire. Fille unique, elle vit seule dans un studio, juste à côté de ses parents avec qui elle dîne presque tous les soirs.

Revenant sur son parcours, Juliette se décrit comme une enfant « heureuse et gaie », avec de premiers éléments dépressifs survenus au collège. Elle était seule, renfermée et n’arrivait pas à se faire d’amis : « C’est comme si je n’avais pas les codes sociaux ». Elle relate ensuite à l’adolescence plusieurs relations amoureuses difficiles avec parfois des violences, y compris sexuelles, de la part de compagnons qui la dénigraient et dont elle n’arrivait pas à se défaire. À 16 ans, après deux tentatives de suicide médicamenteuses, elle a été suivie par un psychiatre en libéral, et a pris des antidépresseurs durant une année « sans grande amélioration ».

« TU ES GROSSE, TU ES MOCHE… »

Petit à petit, les entretiens infirmiers nous permettent de mieux cerner la jeune femme. Face aux montées d’angoisse, un de nos objectifs est de repérer avec elle les facteurs déclencheurs et les outils qu’elle peut mobiliser pour aller mieux.

Juliette raconte avoir beaucoup de mal à s’habiller le matin, le miroir lui renvoyant un corps déformé par des vêtements jamais à sa taille. C’est comme si elle entendait la voix de son ex-copain lui dire « Tu es grosse, tu es moche, tu ne ressembles à rien ». Elle mène une vie très ritualisée, se couche tôt par crainte d’être trop fatiguée, mange peu par peur panique de prendre du poids… Hypersensible, elle redoute de déplaire et d’être rejetée. Ainsi, elle peut se sentir très mal et « attaquée » si quelqu’un ne lui tient pas la porte, si, dans un groupe d’amis, on l’ignore ou qu’on ne lui prête pas suffisamment d’attention. Des pensées négatives s’imposent, parfois si fortes qu’elles se transforment en crises d’angoisse avec des scarifications.

Dans ces moments-là, Juliette appelle toujours son père en premier. Le plus souvent, il parvient à se libérer et passe la voir ou la rassure par téléphone. Parfois, il s’arrange pour rester auprès d’elle toute la journée suivante. S’il n’est pas disponible, Juliette joint un ami qui lui tient compagnie jusqu’à ce que l’angoisse reflue et qu’elle puisse à nouveau rester seule sans se faire du mal.

La jeune femme culpabilise et a l’impression de déranger quand elle appelle à l’aide. Je souligne au contraire sa capacité à ne pas se mettre en danger, et à nouer des relations de qualité. Juliette reconnaît qu’il lui arrive aussi de s’occuper de ses proches quand ils vont mal, elle se sent ainsi plus légitime à leur demander de l’aide à son tour.

Juliette préfère parfois la solitude pour se sortir de son mal-être. Nous y réfléchissons ensemble et dressons une liste d’activités qui lui plaisent quand elle est seule. Elle aime dessiner dans les cafés, écrire des poésies, lire, cuisiner pour des amis…

LA RÉGULATION DES ÉMOTIONS

Au bout de quelques mois, Juliette va mieux. Ses crises d’angoisse sont moins fréquentes et moins intenses et ses idées noires ont presque disparu mais elle garde une tristesse de fond, une émotivité à fleur de peau, qui entraîne des réactions impulsives inadaptées. Un trouble borderline est alors évoqué, et ce diagnostic « lui parle ».

Nous lui proposons de participer à un groupe de régulation des émotions animé par deux psychologues, ce qu’elle accepte. Elle va ainsi bénéficier de 8 séances de 2 heures, pour acquérir des outils de compréhension et de gestion des débordements émotionnels. Une psychothérapie individuelle est également suggérée.

Quelque temps plus tard, Juliette rencontre un jeune homme, mais hésite à se lancer dans une nouvelle relation amoureuse, elle est submergée par de fortes angoisses d’abandon. Elle confie timidement qu’elle se sent plus légère quand il est là, plus sûre d’elle. J’essaie de lui faire verbaliser ce qu’elle trouve beau chez elle, son corps, son visage, sa personnalité…

En équipe pluridisciplinaire, nous la soutenons, afin qu’elle s’accepte telle qu’elle est, et s’engage dans une vie qui ait du sens pour elle…

VIRGINIE DE MEULDER

Infirmière, Consultation jeunes adultes NineTeen, GHU Paris psychiatrie et neuroscience