N° 300 - Septembre 2025

Les vertus d’un conflit bien négocié

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Les tensions émaillent la vie des soignants. Il est cependant possible de les désamorcer et de les transformer en opportunités d’avancée collective, avant qu’ils ne deviennent des clivages impossibles à dépasser…

« Il n’y a plus de compresses sur le chariot de soins. Vous êtes vraiment des incapables ! » Qu’ils surgissent entre soignants ou entre un usager et un soignant, les conflits sont inhérents à la vie d’un établissement de santé. S’y résigner peut paraître la seule position raisonnable ! Mais dans la mesure où les tensions sont, en tant que facteurs de stress, préjudiciables à la santé et à la qualité de vie au travail, autant limiter leur pouvoir de nuisance en prenant conscience qu’elles sont favorisées, parfois causées, par l’environnement de travail, et qu’il est donc possible d’agir.

COMPRENDRE

Comprendre les raisons d’un conflit, c’est déjà (en partie) le résoudre, et empêcher qu’il ne se reproduise. Repérons quelques facteurs de tensions, parfois interdépendants.

– Les problèmes de communication constituent une des causes les plus fréquentes de tension. La forme est importante : un ton ou un vocabulaire inadapté ou inapproprié, voire discourtois, des différences linguistiques ou culturelles entraînent des irritations ou des incompréhensions. Quant au fond, le manque de clarté ou de transparence dans les informations est source de malentendus éventuels, et une mauvaise qualité d’écoute peut conduire à des interprétations malencontreuses.

– D’une façon générale, tout sentiment d’irrespect, de manque d’empathie ou de reconnaissance est d’autant plus inflammable dans le champ du soin que ces valeurs en sont le fondement. Chaque professionnel de santé attend une certaine symétrie des attentions – être traité avec la même considération que celle accordée au patient. Or, au-delà d’un socle de valeurs largement partagées, des particularités individuelles n’en subsistent pas moins en matière de critères moraux, de vision du monde, ou même de priorités (par exemple, carrière versus vie personnelle).

– La compétition pour les ressources est d’autant plus tensiogène qu’elles sont limitées ou en voie de raréfaction. Budget, matériel, personnel, temps, espace et perspectives de promotion sont structurellement rares… et des dissensions peuvent encore être exacerbées par une culture de service ou d’établissement privilégiant la concurrence sur la coopération…

– De fait, le climat organisationnel et managérial est un élément crucial dans le déclenchement ou l’apaisement des discordes. Des ressentis d’iniquité ou d’injustice, une répartition inégale des tâches ou de la charge de travail, des procédures d’évaluation obscures ou injustes, une application des règles inéquitables sont de puissants facteurs de ressentiment.

– Enfin, les phases de changement, d’incertitude et d’adaptation sont souvent propices aux tensions. En chahutant les repères, en confrontant à l’inconnu ou à la crainte de ne pas être à la hauteur, ces périodes par nature stressantes peuvent donner lieu à diverses manifestations d’irritabilité ou de frustration de nature à dégrader les relations.

DÉSAMORCER

Désamorcer un conflit repose sur plusieurs piliers visant tous la compréhension mutuelle et la recherche de solutions constructives :

– la communication doit être ouverte, authentique et immédiate, faute de quoi le désaccord s’enkyste et ne peut être

valablement résolu.

– les techniques d’écoute active permettent de prêter une attention totale à autrui.

– le conflit peut se manifester par une explosion des émotions, qu’il s’agit à la fois d’accueillir et de respecter, tout en les canalisant sans les exacerber. Exprimer son ressenti en utilisant le « je » plutôt que le « tu », se concentrer sur les faits et les conséquences du comportement, et non sur la personne elle-même, sont des techniques connues et efficaces. Bien gérer ce pic émotionnel est vital : il est préférable de reporter une discussion plutôt que de laisser les émotions prendre le dessus. Collectivement, l’un des outils les plus efficaces est la régulation d’équipe.

– le conflit doit être perçu comme un problème sur lequel il faut se focaliser pour le résoudre ensemble, plutôt que comme une attaque personnelle. Le jugement de valeur, les généralisations sont des écueils redoutables, et il est capital de maintenir un respect mutuellement perceptible. L’objectif n’est pas de gagner ou de perdre une joute verbale, mais de trouver une solution satisfaisante pour les deux parties.

DES NOUVELLES OPPORTUNITÉS…

Bien maniés, ces principes permettent de transformer les conflits en opportunités d’avancées collectives et de renforcement des relations interpersonnelles.

Philippe Zawieja*, Jean-Christophe Villette**

*Psychosociologue du travail, directeur de la recherche, **Psychologue du travail et des organisations, directeur général ; Cabinet Ekilibre Conseil

1– La régulation d’équipe recouvre l’ensemble des dispositifs permettant aux membres d’un collectif de travail de mettre à plat leurs interactions, de clarifier leurs zones de tension, et de retrouver des modalités de coopération fonctionnelles. Ni supervision, ni groupe d’analyse des pratiques, ni cellule psychologique, c’est un espace structuré de paroles et d’élaboration partagée, centré sur les relations de travail. En pratique, il s’agit de : clarifier le cadre, poser les faits, exprimer les ressentis, identifier les besoins, explorer les options, et enfin formaliser un accord réaliste. La régulation d’équipe est toujours une démarche sur-mesure, qui s’ajuste à la nature des tensions (structurelles, relationnelles, diffuses) ; au degré de maturité du collectif ; au contexte d’exercice (hybride, éclaté, sous pression, fragilisé…), afin de remettre du mouvement là où le silence ou l’affrontement bloquent toute dynamique de groupe.